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EAN : 9782264007223
10-18 (09/09/1998)
4/5   21 notes
Résumé :
Les récits d'aventures d'une pionnière du journalisme littéraire qui ont marqué une génération entière au côté des reportages d'Albert Londres et de Joseph Kessel. Bourlingueuse des années folles, Titayna parcourt le monde à la recherche d'expériences extrêmes et de sujets hors du commun. Au fin fond de la jungle indonésienne, elle rend visite aux Toradjas, aussi surnommés "les chasseurs de têtes".
Depuis la Perse, elle traverse le désert et accompagne des c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Le 23 mars 2019, je vous ai présenté Élisabeth Sauvy, soeur d'Alfred, sur la base de l'excellente biographie par Benoît Heimermann "Titaÿna 1897-1966" et dans laquelle j'avais promis le présent billet. Pour bien saisir les particularités de cette femme dans ses pérégrinations peu ordinaires, je me permets de vous renvoyer à ce billet.

Cette belle édition de la famille Marchialy de 2016 comporte les écrits suivants de Titaÿna :

1) Une femme chez les chasseurs de têtes, 1934 ;
2) La caravane des morts, 1929, page 142 ;
3) 10.000 Kilomètres à bord des avions ivres, 1929, page 210 et
4) Mes mémoires de reporter, 1937-1938, page 230.

Lorsque Titaÿna a débarqué dans l'île de Célèbes, Sulawesi en Indonésien, son arrivée n'est pas passée inaperçue. "Une femme, son enfant sur la hanche, me regardait la bouche ouverte, un Chinois était sorti de sa boutique, des enfants couraient autour de nous dans la poussière". Ce "nous" était elle et son cheval, traversant 30 kilomètres seuls d'une "jungle presque inviolée (qui) ont émietté le souvenir de la civilisation", le pays Toraja, le pays des chasseurs de têtes.

L'Indonésie, 17.500 îles, un tiers inhabité et 4 fois la superficie de la France, a de quoi offrir du beau comme Java, Bali et le Bornėo sauvage, mais c'est la 4e île du pays, Sulawesi, avec seulement 7% de la population sur un territoire presque aussi vaste que la Roumanie, qui eût la préférence de notre courageuse voyageuse.
Les Toraja, nom dérivé de "to ri aya" ou "gens d'en haut", sont actuellement à peu près 650.000 et la grosse majorité vivent toujours dans leur région d'origine. Ils sont connus pour leurs rites funéraires compliqués. En 2003, le réalisateur français, Christian Crye, a produit un documentaire remarquable "Les Toraja d'Indonésie : Laissez entrer ceux qui pleurent".

De nos jours, l'expression "chasseurs de têtes" est réservée aux innombrables et souvent prétentieux bureaux de recrutement de collaborateurs prometteurs dans des villes comme Paris, Bruxelles, Milan etc. Dans les années 1930, là-bas, vivaient encore des tribus de mangeurs de têtes. En fait, le groupe ethnique des Asmat était anthropophage jusque dans les années 1960. En 1995, "Libération" a reporté l'existence d'une tribu cannibale en Irian Jaya et juste quelques années avant avaient été signalés des mangeurs d'hommes dans les tribus des Daos et Liawep dans la même partie indonésienne de la Nouvelle-Guinėe occidentale.

Drôle d'endroit donc pour une jeune et belle Française de 37 ans, entre les rizières, les cocotiers, les buffles noirs... et les crânes humains, trophées de chasse, suspendus au sommet des demeures et les mangeurs de bétel édentés. Notre exploratrice téméraire remarque cependant certaines caractéristiques de ce peuple primitif qu'elle apprécie et met en exergue : l'hospitalité complète, les Torajas offrent ce qu'ils ont et ne veulent rien en retour ; ils pratiquent un système de gestion communiste et "la hiérarchie ignore les marques extérieures du respect". Titaÿna a de la sympathie pour ce peuple "au regard droit, dont la brutalité de vie n'a tué la délicatesse d'aucune émotion humaine" (page 38).

L'auteure raconte avec forts détails la place importante que le culte des morts occupe dans la vie de tous les jours des Torajas. Elle déplore que la colonisation par les Hollandais et son volet religieux entraînent fatalement une perte d'authenticité. le Toraja apprend que tout s'achète et se paie. Élisabeth Sauvy est choquée lorsque des jeunes locaux, après lui avoir chanté sans y avoir été invités une prière, estiment qu'elle doit les payer pour leurs services !

La seconde partie de son premier livre est située à Bornėo. Quarante après Titaÿna, en 1974, j'ai effectué un assez long périple dans la partie nord de cette 4e île du monde (après l'Australie, le Groenland et la Nouvelle-Guinée) qui comprend la Malaisie orientale avec les provinces de Sabah et Sarawak, le sultanat de Brunei Darussalam et le Territoire de Labuan (une zone franche et centre de toutes sortes de trafics, légaux et un peu moins légaux). Kalimantan est le nom de la partie indonésienne de l'île (73%), que je n'ai pas visité, mais qui est célèbre grâce aux romans de Joseph Conrad, "Lord Jim" de 1900 et spécialement "Au coeur des ténèbres" de 1899.

En l'espace de 4 décennies l'évolution de Bornéo a été terrible. Surtout du point de vue touristique. Quoique dans un coin isolé, j'ai fait un tour d'une demi-journée en pirogue avec des rameurs avec qui toute communication était exclue, mais qui adoraient les cigarettes belges. le récit de Titaÿna me rappelle cette randonnée, mais sans les dangers d'antan évidemment. L'eau brune de la boue, pas de côtes définies, des cabanes sur pilotis et les crocodiles. Sauvage, impressionnant et spectaculaire par endroits. Un Anglais lui avait dit "Borneo it's hell (l'enfer)" et un Néerlandais l'avait rectifié : "No, it's mud (la boue)".

Les Kayans, Kenyas et Bahâous, les derniers Dayaks préservés, ne s'attaquent pas à un blanc ou une blanche. le danger y provient de la multitude d'insectes et le fléau de Bornéo, plus redoutés que les tigres, sont les sangsues que rien n'arrête, qui détruisent le gibier et déciment les troupeaux de buffles. Leur morsure provoque de nombreuses morts en forêts et villages.

Le récit de la caravane des morts date de 1929 et est moins bien écrit, comme si l'auteure cherchait encore son style à elle. Chaque année, des frontières de l'Inde et de l'Afghanistan se déroule la Caravane de Shiites morts vers les lieux saints (des partisans d'Ali, après la mort du prophète Mahomet) de Nedjef et Kerbala en Irak. Notre globetrotteuse a entrepris le même long voyage de Téhéran en passant par Ispahan et Chiraz aux cimetières sans limites avec des tombes à perte de vue des endroits précités.

Les 2 derniers chapitres, sur ses nombreux kilomètres à bord de toutes sortes d'avions à une époque où l'aviation était encore au stade des aventuriers et pionniers, ainsi que ses mémoires de reporter sont d'une lecture passionnante, mais ne se laissent, bien entendu, pas résumer.

Je regrette qu'en 1940, Titaÿna ait fait des malheureux choix politiques, d'autant plus qu'elle a été une voyageuse hors pair, disposant d'un sens d'observation exceptionnel et de talents d'écriture indéniables.
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Merci tout d'abord à Babelio et aux éditions Marchialy pour cet ouvrage reçu dans le cadre de Masse Critique.
Découverte totale pour ma part, aussi bien de la maison d'édition que de Titaÿna, née Elisabeth Sauvy en 1897, écrivaine, reporter et véritable "aventureuse" des années folles, parcourant le monde à pied, à cheval, en canoë, en chaise à porteurs ou en avion, échappant de nombreuses fois à la mort, vivant des existences diverses, connaissant le luxe et la pauvreté, interviewant Mussolini et Hitler, montant à bord du Queen Mary et du dirigeable Hindenburg lors de leurs premiers voyages... avant de s'installer définitivement aux États-Unis en 1952 et de décéder, oubliée de tous, en 1965.

Reprenant des textes publiés chez 10/18 dans les années 80 et complété par des inédits, Une femme chez les chasseurs de tête, "élaboré avec patience et obstination dans les chais familiaux de la famille Marchialy, au milieu des effluves de Cognac de contrebande", est la seconde sortie de la toute jeune maison d'édition Marchialy après Tokyo Vice de Jake Adelstein.
Une petite visite sur leur site m'apprend qu'ils veulent, à travers leurs parutions, "racont[er] le monde à leur manière. Histoires incroyables ou récits inédits, ils forment une « littérature du réel » : des histoires vraies au long cours, portées par une exigence littéraire".
Voilà qui donne envie et ne laisse augurer que du meilleur pour la suite !

Première impression: Une femme chez les chasseurs de tête est un fort bel objet ! La présentation est très soignée, la typographie et la mise en pages sont fort plaisantes, la gravure constituant la couverture est tout à fait dans le ton et quelques images viennent illustrer les différentes parties du bouquin.


La première moitié du recueil relate les voyages entrepris par Titaÿna en 1934 chez les Torajas en Indonésie puis chez les Dayaks du Centre-Bornéo.
Elle y décrit, à travers une fort belle plume sachant se faire poétique et dans un récit tenant à la fois du récit de voyage et du reportage, sa visite de plusieurs villages et ses rencontres avec les occupants, ses nuits sous les orages, sa fastidieuse traversée en pirogue...
Sont particulièrement marquants les rites funéraires auxquels elle peut assister, vastes fêtes hypnotiques au cours desquelles «  la foule fête ses morts dans l'orgie de la viande et l'ivresse des chants ».
On y découvre un voyage halluciné dans un autre monde, proche de la nature, aux moeurs différentes, mais dans lequel Titaÿna «  retrouve cette quiétude que [lui] donne l'éloignement de l'Europe, cette douceur de respirer un air privé de haine », ou elle peut dormir parce que «  nul ne heurte [sa] Paix ».
Elle n'hésite d'ailleurs pas à ponctuer son récit de critiques sur les moeurs en vigueurs en Europe et de réflexions sur le sauvage et la civilisation. « Ceux que l'on appelle sauvages ne commirent jamais crime plus grand que celui de détruire leurs ennemis; la civilisation perfectionna seulement les moyens de destruction et transforma en vertu le goût du combat. »
A la découverte succède le désenchantement et on sent venir la fin des Torajas et des Dayaks, rattrapés par la civilisation et ses missionnaires, avec la pudibonderie, l'appât du gain, la compétitivité et « l'organisation sans place pour la Fantasie » qui la caractérisent.
« Aucun regret n'arrêtera l'évolution du monde vers la grande uniformité et la conduite de sa transformation ne sera jamais confiée aux poètes. »


« Un goût de poussière, un cube de terre au coin de la piste, quelques notes de flûte, et l'Orient surgit. »
Le second texte du recueil, Caravane des Morts, nous plonge dans l'Orient de 1929. Après diverses escales au cours desquelles nous découvrons les lieux et les modes de vie en vigueur, Titaÿna se rend en Perse afin d'assister à la fête de l'Achourah et ses reconstitutions sanglantes du massacre d'Ali.
« Jeunes, Privations, Prières exaspèrent, durant deux semaines, le fanatisme des croyants : la Perse entière livrée à l'hystérie se prépare aux jours où les plus beaux de ses fils se massacrent et se mutilent. »
Elle tente ensuite tant bien que mal de suivre une caravane des morts jusqu'à Kerbela, avec ses chameaux transportant des corps momifiés afin qu'ils y soient inhumés.


Suivent ensuite 10.000 km à bord des avions ivres, série de quatre petits textes relatant des « randonnées en taxi aérien » à travers les États-Unis alors en pleine prohibition.
Rupture totale de ton, donc, avec des textes tenant plus de l'anecdote que du reportage, légers et amusants et dans lesquels on découvre trafic d'alcool, pilote bourré au whisky et soirée arrosée au Mexique.


Mes mémoires de reporter, dernière partie du recueil, inédit publié à l'origine dans le magasine Vu entre décembre 1937 et janvier 1938, est un ensemble de textes dans lesquels Titaÿna revient sur ses débuts et sur ce qui lui a donné le goût du voyage et du journalisme.
De son premier reportage non publié en Turquie au tournage de son documentaire au Yucatán en passant par ses aventures en Pologne ou au Maroc en tant que correspondante de guerre, on y découvre une véritable aventurière, pleine de doutes mais n'hésitant jamais à se lancer corps et âme dans sa passion, sans un sou en poche. En résulte un récit autobiographique passionnant, touchant et haut en couleur.


Merci donc aux éditions Marchialy pour cet ouvrage réservant de fort beaux moments et m'ayant fait découvrir la plume et la personnalité atypique de Titaÿna !
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Livre découvert par hasard, d'une auteure que je ne connaissais pas mais d'un thème et d'une époque qui me plait. L'édition de Marchialy est très belle, donc je saute le pas.

Elisabeth "Titayna" Sauvy est grand reporter française dans les années 1920 et 30. Aventurière dans l'âme, elle a la bougeotte et parcourt le monde à une époque où on ne faisait pas Paris-Bucarest en 2h avec Ryan Air, mais plutôt en 12 jours dans un coucou les cheveux aux vents. Quatre de ces récits sont présents dans cette compil : un premier où elle rencontre les tribus d'Indonésie, le second où elle suit les rites funéraires en Perse, un groupement d'anecdotes sur la prohibition aux USA et enfin une brève autobiographie.

Force est de constater que malgré ce qu'elle répète à longueur de pages, elle sait écrire. Par moment, elle fait preuve de beaucoup de lucidité sur l'avenir de son métier (l'abondance de l'information dans les médias, "tout le monde est journaliste" déplore-t-elle), l'avènement du tourisme de masse et l'uniformisation du monde.

"Aucun regret n'arrêtera l'évolution du monde vers la grande uniformité et la conduite de sa transformation ne sera jamais confiée aux poètes."

Elle exècre l'uniformité et la banalité du quotidien "métro-boulot-dodo" des occidentaux, et surtout leur manière de l'imposer ailleurs. C'est d'ailleurs dans ce registre de critique de notre civilisation qu'elle est la meilleure, notamment dans le premier texte. Elle prend souvent le parti des prétendus "sauvages" (elle va même jusqu'à défendre le cannibalisme) et s'oppose aux occidentaux qui veulent leurs faire adopter des coutumes ou des religions qui ne sont pas les leurs. Cet article, qui donne son titre au bouquin, est de loin le meilleur du recueil.

"Les touristes, comme les fourmis, arrivent pour dévorer les morts."

Dans "La Caravane des Morts", son ouverture d'esprit semble s'être volatilisée. Si elle dit aimer la Perse, on comprend bien qu'elle n'aime ni ses habitants, ni sa religion. Elle n'y va pas de main morte puisque tous ceux qu'elle croise sont menteurs, voleurs, peu fiables, cupides, fanatiques. Les femmes sont laides, les villes sales, la bouffe insipide, et les enfants viennent vous tourner autour tels de petits animaux... Mouais, le voyage a été aussi désagréable pour moi qu'il l'a vraisemblablement été pour elle...

"10000km à bord des avions ivres" est une courte collection d'anecdotes dispensables, et "Mes Mémoires de Reporter" est intéressant au début mais vire rapidement à l'énumération de ses rencontres de personnalités célèbres, desquelles elle semble d'ailleurs tirer une grande fierté.
Cette fierté s'additionne parfois avec un brin de supériorité, de celle qui a tout vu et tout compris.

"Parce que je fais partie de cette collectivité, je pressens ses oscillations ou émotions avant même leur naissance, alors qu'elles échapperaient à un observateur indépendant."

Elle prend aussi un malin plaisir à mettre en scène la difficulté de son périple, puisque tous les 3 pages elle souffre le martyr, est alitée suite à une longue maladie, n'a pas mangé depuis 5 jours, s'est évanoui, a survécu au crash de son avion...
Elle fait souvent du sensationnel et ça m'a déplu. Sa participation par la suite a tout et n'importe quoi (publicités, reportages bidonnés, journaux collaborationnistes, vol d'antiquités...) laisse quand même penser qu'elle était prête à faire de l'audience par tous les moyens.

Une femme chez les chasseurs de têtes est un bon récit de voyage (surtout dans sa première partie), qui présente une personnalité forte mais qui peut agacer par moment.
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Après avoir découvert les Editions Marchialy avec leur superbe premier livre Tokyo Vice de Jake Adelstein, j'ai décidé de continuer à les suivre et soutenir en achetant cette seconde sortie.
Il est vrai que j'adore la « creative non fiction » qui est la ligne éditoriale de cette jeune maison d'édition.
Après le Japon, ce livre nous fait suivre les péripéties de Titaÿna, une des premières femmes « grand reporter » de France, à l'époque des années folles. Et au début du XXème siècle, voyager au bout du monde n'était pas aussi simple qu'aujourd'hui et il n'était pas rare de mettre plus de 3 semaines à atteindre son but.
Le livre rassemble 4 textes racontés à travers la plume de Titaÿna. le premier nous amène dans l'enfer vert de Bornéo et ses tribus de « chasseurs de tête » tandis que le second nous transporte en Perse à suivre la caravane des morts pour un dernier voyage vers La Mecque.
Le troisième texte est plus fragmenté et nous raconte quelques uns de ces voyages en avion aux USA au temps de la prohibition. le livre s'achève par un texte jamais publié dans lequel Titaÿna nous raconte en accéléré comment elle est devenue journaliste ainsi que ses principaux reportages.
J'ai beaucoup aimé ce livre car Titaÿna écrit très bien et ses voyages sont passionnants (plus que leurs buts en fait). A certains moments, je me suis même demandé si elle n'en rajoutait pas tellement certaines scènes sont hallucinantes d'un point de vue occidental. A mon avis, seul le 3ème texte est dispensable et n'apporte pas grand-chose au livre mais il reste très court et tout de même agréable à lire. Pour finir, je vais parler de l'objet « livre » qui est encore une fois très beau avec une superbe mise en page et un papier d'excellente qualité. Typiquement, le genre de livres que l'on a envie d'offrir.
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Elisabeth Sauvy, alias Titaÿna, était grand reporter dans les années 1920-1930. Il est curieux de voir comme elle a été très vite oubliée. Peut-être parce que c'est une femme ? Ou bien parce qu'elle a publié pendant la guerre dans des journaux collaborationnistes ? En tout cas L Histoire est bien injuste avec elle car les reportages réunis dans ce livre sont assez exceptionnels.

Elisabeth Sauvy était une femme éduquée, mais les seuls emplois disponibles pour une femme à son époque étaient "femme à la maison" ou bien "secrétaire". Ne pouvant se résoudre à cette limitation, elle a choisi l'aventure en allant visiter les coins les plus reculés de la planète, pour en ramener des reportages magnifiquement écrits. de Bornéo à la Malaisie, de l'Irak aux USA, elle nous fait revivre une autre époque où l'on ne voyageait pas si facilement. Ses descriptions sont à couper le souffle. Ne manquez pas ce livre !

Ps : c'est un sans-faute pour ce nouvel éditeur "Marchialy", après le superbe Tokyo Vice... Vivement leur troisième livre !
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
Pour comprendre l'Oasis, il faut avoir vécu le bled. Il faut avoir senti cette joie étonnante que donne soudain la vue d'un arbre. Il faut avoir eu soif pour adorer la déité de la rivière de boue.
Qui dira la complète volupté de l'étape lorsque les lits de camp se dressent à l'abri du sable, et qu'un peu de thé chante dans le samovar? Alors que varie la valeur des monnaies, comment se servir des mêmes mots? Je sais telle maison qui vaut tous les Louvre du monde, parce qu'il y a quelques fleurs dans la cour et des nattes sur le sol.
Connais-tu la douceur d'une eau claire, ce joyau inconnu? Il ne faut pas venir si tu aimes la Normandie, cette saoulerie pour vaches.
Arabie, terre ascétique, que de joies tu réserves à tes élus, s'ils n'ont pas craint de déchirer leur chair aux épines de ta route! Je pense à toi, Mystique, mon amie: "Il faut d'abord avoir soif."
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Que la chair dévorée légalement, soit humaine ou animale ne fait aucune différence d'un point de vue moral, à partir du moment où l'assassinat est admis. Tuer des gens à la guerre et laisser leurs cadavres la proie des corbeaux ne constitue par un progrès sur le fait de leur rôtir la cervelle. Ceux que l'on appelle sauvages ne commirent jamais crime plus grand que celui de détruire leurs ennemis; la civilisation perfectionna seulement les moyens de destruction et transforma en vertu le goût du combat.

Reste ce mépris sans raisonnement pour toute pratique anthropophage popularisé par l'image chère au XIXe siècle, de l'explorateur ligoté sur une broche et roulant des yeux effarés vers ses bourreaux coiffés de plumes. Or, du corps humain rituellement tué, suivant les peuples, d'un coup sur la tête ou d'égorgement, les cannibales ne mangèrent jamais que les centres vitaux: cervelle, glandes, cœur ou foie. Vous pouvez en faire autant en achetant dans n'importe quelle pharmacie des remèdes préparés sous le nom d'hormones: chaque jour, en Europe et en Amérique, se débite une drogue qui, pour avoir changé de nom n'en n'est pas moins de l'extrait d'urine de femme enceinte. L'opothérapie, si à la mode aujourd'hui, est-elle autre chose que de l’anthropophagie par l'intermédiaire d'un laboratoire?

(Chez les Toradjas du Centre-Célèbes)
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Le village approche. Encore quelques mètres et nous l’atteindrons. Je passe ma main sur mon front pour chasser un malaise : une odeur fade se dégage des pierres, l’air semble lourd de miasmes. C’est la chaleur sans doute ; de larges gouttes de pluie tombaient tout à l’heure. Pourquoi ai-je un désir d’air pur dans cette montagne ? Le Malais vers lequel je me retourne tient sa main sur sa bouche. Éprouverait-il la même oppression ? Son regard fuit le mien, il paraît vouloir éviter toute conversation.
Le soleil est presque tombé, dans quelques minutes il fera nuit. Brusquement, à la suite de mon guide, je me trouve au milieu du village toradja.
L’étonnement coupe ma fatigue et mes pensées. Saisie, je regarde les demeures inattendues. Sont-elles maisons, autels, tombeaux ? Je ne sais pas encore. En deux rangées parallèles elles bordent une place centrale. Des crânes humains suspendus à leur sommet attestent la vaillance des habitants. Chaque case est une sorte de caisson surélevé à deux mètres du sol par des piliers de bois lisse. La disproportion entre la puissance de ces fondements et la légèreté de ce qu’ils supportent évoque ces dragons massifs chevauchés d’une princesse rayon de lune.
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Un jour, dans une colonie européenne, j'ai demandé à un blanc :
- Comment dit-on "merci" en langue indigène ?
Sa réponse fut claire :
- On ne dit pas merci à un indigène.

(page 27).
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Dans l'ombre, le Toradja remue des objets, j'entends respirer les femmes. Mon oreille discerne le bruit d'une natte déroulée à mes pieds. Dehors la pluie à commencé sa cascade, une pluie tropicale dense et rapide à renverser un enfant. La maison tremble sous le choc. Vais-je m'allonger et dormir dans cette puanteur ?
J'hésite à braquer ma lampe de poche, mon hôte se froisserait peut-être de mon inspection. Pourtant je ne peux me décider à m'étendre: mon expérience redoute la présence de je ne sais quelles bêtes, imagine des rats crevés dans un coin.
Sans bouger, je reste debout contre la porte basse, assourdie par la pluie, malade d'étouffement. Cela ne peut durer, il faut prendre une décision. Ma main glisse dans la poche de ma culotte, saisit ma torche, presse le déclic.
Dans le rond de lumière, à deux mètres de moi, ligoté sur un siège, est un homme mort, en plein état de décomposition.

(Chez les Toradjas du Centre-Célèbes)
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