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Jacques Petit (Éditeur scientifique)Paul Morand (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070371150
544 pages
Gallimard (16/05/1979)
4.08/5   227 notes
Résumé :
Quatrième de couverture:
« C'est un chef-d’œuvre de style que je vous invite à découvrir, ou à redécouvrir. L'amour y est tragique et l'attraction fatale. Nous sommes en 1830. Un dandy très séduisant, Ryno de Marigny, va épouser une jeune beauté diaphane, Hermangarde. Mais il n'a pas soldé tous ses comptes avec une ancienne maîtresse espagnole, de qui il a eu un enfant. La Vellini s'est jurée de récupérer son amant. Patiemment elle attend et tisse sa toile da... >Voir plus
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Après dix ans d'une liaison passionnée et orageuse avec une mystérieuse et fantasque Andalouse au tempérament de feu, le séduisant et donjuanesque Ryno de Marigny tombe profondément amoureux de la sage Hermangarde de Polastron, une jeune beauté blonde qu'il décide d'épouser. C'est compter sans la détermination à le reconquérir de son ancienne maîtresse, La Vellini, qui ne tarde pas à rôder autour de la demeure des jeunes mariés, à Barneville dans le Cotentin…


En partie inspirée d'une expérience amoureuse de l'auteur, cette histoire d'un homme malgré lui incapable de se détacher de sa maîtresse, et qui finit par briser la vie de son couple, fit scandale lors de sa publication, suscitant la réprobation morale et religieuse d'un public habitué au fort engagement catholique de l'auteur. Pourtant, rien dans ce roman n'est aussi manichéen que le simple triomphe du Mal sur le Bien, de la passion charnelle sur la pure vertu, que semblent à première vue incarner les figures si contrastées de la démoniaque Vellini et de la séraphique Hermangarde.


Ici, point de cruauté ni de manipulation perverse comme dans Les Liaisons dangereusesDe Laclos, opposant, d'un côté, les libertins, de l'autre, leurs victimes : chez Barbey d'Aurevilly, aucun des personnages ne mène le jeu, mais tous le subissent avec un égal malheur. Ryno est sincère dans son amour pour Hermangarde, mais, tout comme sa sulfureuse maîtresse, s'avère prisonnier d'une addiction subie comme une malédiction, d'une fatale domination de la chair sur un esprit vaincu et une raison perdue, comme si un maléfice les liait à jamais dans une relation destructrice, voire vampirique, symbolisée par leur pacte de sang. La blanche épouse quant à elle, une fois revenue de son idolâtrie pour son mari, se mure dans sa blessure et son orgueil, se statufiant en être de glace privé de toute capacité de pardon, et laissant, sans dialogue et sans la moindre lutte, le champ libre au feu de sa rivale.


Dans le cadre d'un Cotentin sauvage propice à toutes les légendes et tous les ensorcellements, Barbey d'Aurevilly nous livre, dans un style de haute volée, une peinture et une analyse en profondeur de comportements humains, que la bonne société d'alors observe, commente et condamne sans comprendre. L'on ne s'étonnera dès lors plus que Théophile Gautier ait déclaré à son propos que "Depuis la mort De Balzac, nous n'avons pas encore vu un livre de cette valeur et de cette force."

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Tout est déjà dans le titre.

Une « vieille maîtresse », c'est-à-dire à la fois une ancienne maîtresse et une femme qui n'est plus de la première fraîcheur. Toute la Vellini est dans cette contradiction : elle est celle dont on ne peut se défaire alors qu'objectivement rien en elle ne justifie l'attachement qu'elle suscite. Elle est petite, olivâtre, maigre, serpentine, d'un exotisme de mauvais aloi - n'est-elle pas un peu gitane?...

Jusqu'au choix de l'article indéfini qui, à rebours de son usage habituel, souligne le caractère exceptionnel, proprement unique de cette Vellini que Ryno de Marigny n'arrive pas à quitter.
Ce n'est pas un archétype : c'est un monotype. On a cassé le moule….

On est délibérément dans l'exception, dans le paradoxe, dans l'irrationnel.

Dans la passion.

Et pour corser le goût de l'antithèse, Barbey fait brûler cette passion-là dans une Normandie maritime- son cher Cotentin- battue par les vents et humide à souhait, qui a presque des airs de Bretagne sauvage…

Ryno c'est un peu Barbey lui-même : monarchiste mais rétif à toute autorité, catholique mais impie, réactionnaire mais scandaleusement marginal- un vrai dandy, un homme à femmes, un viveur, un mondain.

Las de toutes ses tribulations passées, Ryno est décidé à « faire une fin » en se mariant, à rentrer dans le troupeau docile des bons maris bénis par la sainte Église et encensés par la famille de hobereaux dont il est issu. Il s'est épris d' Hermengarde, une oie blanche, blonde, sage, belle, jeune, de bonne famille : la conversion ne devrait pas être trop douloureuse…

Quand soudain lui revient en plein coeur une ancienne maîtresse avec qui il s'était lié par le sang : l'Espagnole Vellini…Les deux amants se retrouvent dans la lande traversée de tempêtes et d'orages tandis que la jeune Hermengarde dépérit…

C'est follement romantique, totalement immoral, excessif et échevelé, mais on en redemande !
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Cette "Vieille Maîtresse" n'est pas, nous le savons, le premier roman de Barbey d'Aurevilly mais assurément, c'est le premier qui arbore sa marque sans complexe aucun. Sur la route éreintante de l'écriture, l'auteur a peiné, trébuché, il est tombé aussi et il a, bien entendu, remis maintes et maintes fois, sur le métier avide et jamais satisfait, le style qu'il sentait vibrer en lui depuis toujours. Et le miracle s'est accompli : ce style, il a réussi non pas à le domestiquer - ses soudains emportements à bride abattue, sa causticité larvée, ses éclats de préciosité hautaine, il les conservera jusqu'à la fin, pour le meilleur comme pour le pire - mais à l'empêcher de fuir sous sa plume, de se dérober à sa vision cynique et furieuse de l'âme humaine. C'est ce style sans pareil, si aisément reconnaissable pour tout amateur de littérature que peut l'être, dans un tout autre genre, celui d'un Céline ou d'un Simenon, qui, malgré les longues et minutieuses descriptions, malgré les états-civils plus échevelés les uns que les autres, malgré le mélodrame indécrottable dans lequel l'oeuvre plonge ses racines têtues, malgré même les idées religieuses, fortement teintées de jansénisme, de l'auteur, et malgré un parisianisme parfois outré, charme et captive le lecteur. Il nous donne foi dans les paysages dépeints, dans les passions exprimées et dans les chutes élégantes et sans espoir : veut-on s'éloigner de Barbey, qu'il nous ramène à lui - on peut en faire l'expérience avec "Ce Qui Ne Meurt Pas", roman languissant, dans la veine de "L'Amour Impossible" mais en plus mûri et fort de toute la science accumulée par l'auteur en matière d'écriture, dont on cherche frénétiquement à se détacher au plus vite mais que, toujours sous l'enchantement, on lit jusqu'au bout.

"Une Vieille Maîtresse" reprend le classique triangle amoureux déjà étudié et réétudié par Barbey sous tous les angles mais les personnages ont cette fois dépassé le stade de la silhouette ou de la marionnette creuse que l'on fait volter et virevolter avec plus ou moins de conviction dans un décor esquissé. Il y a d'abord Vellini, la "femme fatale", celle par qui le scandale arrive et demeure, Vellini, petite, olivâtre, maigrelette et sans réelle beauté, Vellini, la brune Espagnole pimentée d'Andalousie qui a uni son sang à celui de son amant, Vellini qui, selon ses propres certitudes et superstitions, a ainsi créé entre eux un lien qui ne se peut rompre. Même quand elle n'est pas physiquement présente, Vellini s'impose à chaque page. A travers elle, c'est le Destin qui s'exprime ici, mais un Destin qui ne peut lui-même échapper à sa propre et implacable loi. Vellini, tout à la fois séduisante et redoutable, faite semble-t-il d'un seul bloc mais d'un bloc aux mille nuances, souvent incompréhensible, y compris pour elle-même - Vellini qui fait subir mais qui subit aussi. D'ailleurs, longtemps, le texte porta tout simplement son nom : "Vellini."

Cette femme forte, qui ne se laisse jamais détourner de son but, a pour amant un dandy libertin, Ryno de Marigny, qui, en bon dandy abonné à la pose de l'ennui, a déjà essayé de rompre avec elle. "Plus rien de physique, surtout !" a-t-il dit et répété. Mais en vain. Comme le lecteur s'en revient à Barbey, Marigny s'en revient toujours à Vellini - et la fin du roman, impitoyable dans sa constatation cynique, nous le prouvera largement. Pourtant, quand il tombe amoureux de Hermangarde de Polastron, blonde, jeune et superbe créature qu'il a croisée dans les salons qu'il fréquente, Marigny se dit que cette fois, c'est la bonne. Il déclare à une Vellini infiniment plus sceptique que tout est réellement fini entre eux et il court se marier.

Hermangarde est, comme il se doit, l'antithèse parfaite de Vellini, en tous cas physiquement et sur le plan de l'éducation reçue. (Sur le plan de la naissance, par contre, Vellini n'a pas beaucoup à lui envier mais je vous laisse découvrir pourquoi.) Mais les deux femmes ont en commun une passion sans limites pour Marigny, une passion qui, pour l'une comme pour l'autre, ne s'éteindra jamais.

Il ne faudrait pas oublier d'évoquer les "seconds rôles", plantés de façon magnifique par un Barbey qui n'est pas loin de les laisser "casser la baraque" - pour peu que ce trio d'aristocrates bon teint, rescapés d'une XVIIIème siècle finissant, nous permette cette expression un peu triviale. La marquise de Flers tout d'abord : elle a connu les bals de Marie-Antoinette aussi bien que l'ombre luisante de sang de la guillotine, elle n'ignore rien de ce que peut dissimuler le mot "libertinage" et elle a, comme nombre de personnes de son siècle, une grande ouverture d'esprit. Marigny la prend par la franchise en lui racontant l'étrange histoire de sa relation avec Vellini et Mme de Flers, se laissant prendre elle aussi à la sincérité du dandy (quand il assure avoir rompu, Marigny ne ment pas : il y croit aussi fort qu'il croit en sa nouvelle paire de bottes), lui accorde la main d'une petite-fille qu'elle voudrait pourtant tenir à jamais éloignée du malheur. Puis Mme de Mendoze : amie intime de la marquise, elle est née au même siècle, elle a traversé les affres de son agonie et la curieuse comédie des deux Restaurations mais, en tous cas au début, elle se montre plus réservée envers M. de Marigny avant de se laisser elle aussi séduire par la sincérité apparente de son amour. Enfin, le dernier en piste mais non le moindre, l'étonnant, l'excellent vicomte de Prosny, ancien galant de Mme de Flers et qui tient, durant tout le roman, le rôle de la Gazette vivante ou du Concierge A Qui Rien N'Echappe. C'est que, lorsqu'ils s'y mettent, les hommes font, en matière de commérages et de curiosité indiscrète, bien mieux que les femmes les plus avisées.


En toile de fond, bien plus réelle que les salons parisiens fréquentés par nos héros, la côte normande, essentiellement vue de l'automne et de l'hiver, une côte spectrale, hantée par les vents, la pluie et les légendes locales, où Vellini, puis Hermangarde s'en vont errer tour à tour, luttant contre les éléments déchaînés et la nuit qui n'en finit pas, dans leur quête effrénée, incontrôlable de leur boussole commune : Marigny.

"Une Vieille Maîtresse", à bien y regarder, c'est du mélo à l'état pur. Mais Barbey est comme Balzac : il nous attire, nous accroche, nous séduit aussi sûrement que sa Vellini. Et on lit, on lit, on ne peut pas plus renoncer à tourner les pages qu'on ne renoncerait à respirer. On passe bien sur quelques maladresses et quelques exagérations - elles aussi font partie de Barbey, on ne va pas le trahir en les lui reprochant. Sous nos yeux fascinés, l'écrivain normand assemble, mêle et démêle fils et récits. Ces derniers s'emboîtent l'un dans l'autre avec une précision de boîtes gigognes, un narrateur suit l'autre sans que le lecteur en soit déstabilisé un seul instant : c'est du grand art, la libération d'un homme qui, pour la première fois, maîtrise la force qui l'habite et le pousse à écrire. ;o)
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Ryno de Marigny , séducteur et libertin, est sur le point d'épouser la belle Hermangarde de Polastron. Mise en garde par sa meilleure amie, la grand-mère et tutrice de cette dernière, la marquise de Flers sonde l'âme du beau Ryno. Qui lui avoue une passion ancienne pour une sombre espagnole, Vellini, passion qui a duré dix ans mais qui est selon lui terminée. Car il est sincèrement épris d'Hermangarde qui personnifie la beauté, la grâce, la pureté, mais également une certaine rigidité d'une classe malmenée par la Révolution…

Vellini, qui n'est pas belle mais d'une sensualité brûlante est à la fois diabolique et profondément humaine. Libre mais possessive, possédée par l'unique loi de la passion amoureuse, elle mène à la mort ses rivales, liée par le sang avec son amant qu'elle n'aime plus. Rien ne peut dompter l'amour, surtout pas le mariage…

Pour échapper à la tentation de son ancienne maitresse, Ryno accepte d'emmener sa jeune femme en Normandie. Ils y passeront six mois de bonheur, sous le regard bienveillant de la marquise, avant l'arrivée de l'hiver…La vieille dame partie, ils se retrouvent seuls jusqu'au jour où Ryno va croiser le regard de braise de Vellini dans un sentier désert…Là où rodent les fantômes des âmes perdues. Et il n'y résistera pas.

Barbey nous peint alors une de ces scènes terribles dont il a le secret qui détruira définitivement la vie amoureuse des jeunes mariés…

La jeune Hermangarde trouvera dans la religion le courage de continuer et la force de renoncer à tout lien charnel avec son mari, tout pardon étant impossible. Ce dernier n'en sera que plus encouragé à reprendre sa fatale liaison…De retour à Paris, les langues vont bon train et les paris perdus ou gagnés. Est-ce Dieu ou le Diable le vainqueur ?

L'amour, la mort, la force du désir, l'impitoyable loi de la passion inscrite au plus profond des corps, on se plonge avec délices dans la violence de ces relations qui débordent les chemins étroits de la société à l'image d'une mer déchainée. Et ce qui nous frappe c'est l'étonnante modernité de ce roman qui touche le coeur de l'homme. Et qui n'a pas pris une ride. A redécouvrir.
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Etrange, étrange Berbey d'Aurevilly, tantôt pieu dévot, tantôt dandy fêtard ! Un dualisme que l'on retrouve au coeur de cette oeuvre au croisement de multiples influences. le héros, Ryno de Marigny, est un jeune aristocrate romantique qui semble tout droit tiré d'un poème d'Ossian : haute stature, vaste poitrine et oeil fière… Mais aussi libertin aux innombrables conquêtes. Et voici ce vaillant pris entre deux femmes.

D'un côté, la pure et blonde Hermangarde, qui du haut de ses dix-huit ans, incarne la dernière lueur de noblesse et de beauté jetée par le feu agonisant qu'est la noblesse française. de l'autre, la Vellini, une bâtarde d'hidalgo ayant roulé sa bosse d'un bout à l'autre de l'Europe et connu cents amants ; laide et terne quand son brasier intérieur s'éteint. Mais quand il se rallume, nulle ne peut lutter avec le pouvoir d'attraction qu'elle exerce. Et il le sait bien, puisqu'il en subit l'emprise depuis dix ans !

Et ce dantesque combat du bien contre le vice, de l'ange contre Lilith… Fait l'objet d'un pari général parmi ses amis. Pour corser le tout, et rompre la linéarité de l'histoire, certains passages-clés sont racontés par le biais d'un truchement : le vicomte de Prosny, antique aristocrate décavé passé par tous les régimes et toutes les époques avec la même indifférence et le même appétit, a courant de tous les ragots, et courtisan la même belle depuis soixante ans. Et celle-ci n'aime rien tant que connaître les derniers développements de l'affaire.

Un esprit fantasque ne manquerait pas de comparer ces protagonistes à la personnalité de Barbey d'Aurevilly lui-même. Hermangarde, c'est sa foi, son idéal et son désir de pureté fait chair. La Vellini, c'est le « Sardanapale d'Aurevilly » qui sommeille en lui, comme le surnommaient ses amis, jeté dans toutes les débauches et enchainant les passades. Et ces deux aspects antagonistes se combattent dans le coeur du beau, du mirifique et héroïque don Juan qu'est Ryno de Marigny dans lequel il s'idéalise… Même si son véritable portrait est plus proche du vicomte de Prosny.

En somme, on pourrait l'accuser d'hypocrisie et de bigoterie, s'il n'y avait deux choses. Premièrement, cette ironie féroce qui transforme la lutte entre le bien et le mal en pari sportif. Deuxièmement, son amour de la côte normande et de ceux qui y vivent. le naturel et la tendresse avec lesquels il en parle laisse peu de place au doute : il a fréquenté les pêcheurs et les mendiants, bu le cidre dans les bouges. Et là se révèle peut-être le vrai Barbey d'Aurevilly : rejeton d'une famille de coqs de villages ayant fait l'emplette d'une particule, prédestiné à vivre une vie paisible ente une famille et la gestion de ses terres… S'il n'était monté à Paris.
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De tous les bonheurs qui se payent, le plus joli, le plus gracieux et le plus pur, - mais aussi l'un des plus chers - c'est le bonheur qui précède le mariage, - qui le précède seulement de quelques jours. C'est vraiment délicieux; rien n'y manque, - pas même cette ombre de mélancolie qui veloute les pêches, quand on se retourne vers sa vie de garçon, du milieu des bijoux et des bracelets qu'on achète, anneaux symboliques, emprises pour deux! Chaque matin, on envoie pour soixante francs - ou davantage, selon la saison - des plus belles fleurs à sa promise, qui les effeuille en rêvant tendrement aux dentelles de sa corbeille; dernier rayon de chevalerie, mourant sur des fleurs qui vont mourir! dernier hommage que les hommes égoïstes offrent encore à la femme qu'ils aiment, - ou qu'ils n'aiment pas, - mais qu'ils épousent!
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[...] ... - "Non ! tu ne savais pas tout, [Vellini], - reprit [Marigny]. - Le malheur s'était abattu sur ma maison. Ma pauvre Hermangarde était en péril de mourir. Tu savais cela comme tous les autres, comme les domestiques qui m'entouraient, comme le village, comme le pêcheur qui m'apportait tes lettres et ne voyait que visages désolés au manoir. Mais il y avait quelque chose que tu ne savais pas, Vellini, car personne ne le savait, que moi seul et elle ... C'est que si elle souffrait des tortures d'âme et de corps, à la briser, malgré la force de sa jeunesse, c'était nous qui en étions cause. C'est que si elle fût venue à mourir, à la fin de bien des journées, c'est nous, Vellini, qui aurions été ses assassins !"

Elle le regarda avec un étonnement fixe. Ils étaient assis au pied de la voile, le dos tourné aux pêcheurs qui ramaient à l'extrémité de la barque. La brise soufflait ses plus favorables haleines et ils allaient, frisant les brisants, comme s'ils eussent voulu arriver en sept quarts d'heure à Jersey, qu'on voyait nettement dans les clartés du temps, blanc comme un linge étendu par des lavandières au soleil.

- "Oui, - reprit-il, comprenant son regard, - nous aurions été ses assassins ! Quand, au Bas-Hamet, je t'ai quittée, il y a trois semaines, toi, mon passé, rallumé avec des voluptés cruelles, et que je fus revenu à Carteret, je retrouvai Hermangarde au bord de son lit, habillée et sans connaissance ! Elle ! Cette femme élevée dans toutes les délicatesses de la vie, était venue seule, la nuit, à pied, en se cachant, au Bas-Hamet, par la neige et le froid sur ses grèves, exposée aux insultes des contrebandiers et des matelots. Elle avait tout bravé, mais elle y était venue, poussée par une jalousie couvée longtemps. Elle nous avait vus par la fente du volet de ta cabane, et elle n'avait pas crié ; elle avait eu la force de rester là et de s'en retourner comme elle était venue, mais avec des certitudes, des spectacles pires que la mort, dans le coeur. Dieu, qui avait eu pitié d'elle, lui avait mesuré ses forces et elle ne s'était évanouie qu'au pied de son lit, en rentrant. C'est là que je l'ai trouvée ... Ah ! Vellini, je n'oublierai jamais le moment où je la pris dans mes bras chauds de toi et où je la retiédis de la vie que tu y avais laissée. Elle fut longtemps dans un état désespéré. Son délire m'apprit ce qu'elle avait fait, - car depuis, le croirais-tu ? elle ne m'a rient dit qui fût une plainte ou un reproche. Elle a une fierté douce que tu admirerais." ... [...]
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[...] ... "- J'eus beau regarder [Vellini] avec toute l'impartialité qui était en moi - reprit Marigny - pour m'expliquer un peu davantage l'asservissement de mon pauvre ami de Mareuil, je restai dans mon opinion de la veille. C'était un visage irrégulier. Elle était vêtue d'une robe de coupe étrangère, de satin sombre à reflets verts, qui découvrait des épaules très fines d'attache, il est vrai, mais sans grâce plénitude et sans mollesse. On eût dit les épaules bronzées d'une enfant qui n'est pas formée encore. Ses cheveux, tordus sur sa tête, étaient retenus par des velours verts. Deux émeraudes brillaient à ses oreilles et des bracelets - faits de cette pierre mystérieuse - s'enroulaient comme des aspics autour de ses bras olivâtres. Elle tenait à la main l'éventail de son pays, de satin noir et sans paillettes, ne montrant au-dessus que deux yeux noirs, à la paupière lourde et aux rayons engourdis. Comme la conversation n'était pas très animée et qu'elle n'y prenait aucune part, j'eus le temps de l'examiner et de la détailler comme un tableau ou une statue. Le souper, qu'on annonça, interrompit mon examen. De Mareuil se précipita pour donner le bras à sa Malagaise, et je m'arrangeai de manière à marcher derrière lui pour juger d'une tournure que j'avais à peine entrevue. Mme Annesley [= nom d'épouse de Vellini] était petite, les hanches plus élégantes que fortes, mais la chute audacieuse des reins accusait l'origine Mauresque. Le mouvement qu'elle fit pour passer dans la salle-à-manger au bras de Mareuil révolutionna mes idées, bouleversa mes résolutions. C'était ce meneo des femmes d'Espagne dont j'avais tant entendu parler aux hommes qui avaient vécu dans ce pays. Une autre femme sortit de cette femme. Deux éclairs, je crois, partirent de cette épine dorsale qui vibrait en marchant comme celle d'une nerveuse et souple panthère, et je compris, par un frisson singulier, la puissance électrique de l'être qui marchait ainsi devant moi.

Deux heures après, marquise, je la comprenais bien davantage, ou plutôt, moi, je ne me comprenais plus ! Ah ! c'était vraiment par le mouvement que cette femme était reine et reine absolue, Reina netta, comme on dit dans la langue de son pays ! A ce souper étincelant et brûlant donné pour elle, il fallut la voir et l'entendre !!! D'autres sensations, d'autres sentiments, le bonheur, la possession et les mille désenchantements qui suivent l'enchantement épuisé, n'ont pu éteindre ce souvenir. D'où cette vie subite lui venait-elle ? Etait-ce de la coupe où elle trempait sa lèvre avec une sensualité pleine de flamme ? Etait-ce de l'esprit que répandaient alors, par torrents, ces spirituels et effrénés viveurs, excités par la présence de cette Sabran espagnole ? Qui le savait ? Qui pouvait le dire ? Même moi, qui ai pressé depuis toute cette vie sur mon coeur, je l'ai ignoré. Je n'ai jamais su d'où venait cette transfiguration impétueuse, cette ouverture d'ailes, poussées en un clin d'oeil, qui la ravissaient, nous emportant tous. Les prestiges de la laideur, que M. de Mareuil m'avait promis, apparurent en Mme Annesley. Son regard épais, qui ne tombait plus pesamment sur moi, mais qui m'échappait en brillant, me fascinait d'impatience par la mobilité de ses feux. Le sang de son père, le toreador, bouillonnait dans ses joues d'ambre devenues écarlates. On eût juré qu'il allait faire éclater les veines et couler dans ce souper, sous la force même de la vie, comme autrefois il avait coulé dans le cirque, sous la tête armée du taureau. Elle se renversait, tout en causant, sur le dossier de son fauteuil avec des torsions enivrantes, et il n'y avait pas jusqu'à sa voix de contralto - d'un sexe un peu indécis, tant elle était mâle ! - qui ne donnât aux imaginations des curiosités plus embrasées que des désirs et ne réveillât dans les âmes l'instinct des voluptés coupables - le rêve endormi des plaisirs fabuleux ! ... [...]
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Mais que voulez-vous, madame la comtesse ? Ce n'est pas ma faute, à moi, si on n'élève pas ses filles pour lutter avec de vieilles maîtresses qui ont toute honte bue, mais qui, à ce prix, font boire aux hommes toutes sortes de choses dont le goût ne se perd jamais.
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Elle parlait avec l'émotion qu'elle mettait à tout, quand Elle n'était pas indolente. Chaque mot prononcé par elle, avec son accent étranger, son regard, son geste, mille choses secrètes, invisibles, qui s'échappent des femmes que nous avons aimées, comme des parfums qu'on respira longtemps et qu'on recommence de respirer, tout reprenait Ryno, comme la mer reprend, pli par pli, atome par atome, avec ses petites vagues, fines comme des hachures, la dune de sable qu'elle finit bientôt par couvrir. Il le sentait bien ; il n'y consentait pas ! Cet homme de grand cœur se débattait contre les influences qui le cernaient. Il se roulait comme le lion dans un filet de soie, et comme le lion, il voulait en finir d'un seul coup.
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Des lettres inédites de la célèbre écrivaine, révélant des échanges inconnus avec de grandes personnalités du XIXe siècle. Un livre exceptionnel ! Lettres réunies et présentées par Thierry Bodin.
Ces 406 nouvelles lettres retrouvées couvrent presque toute la vie de George Sand, depuis ses quinze ans jusqu'à ses derniers jours. La plupart, du court billet à la longue missive, sont entièrement inédites et viennent s'ajouter au corpus de sa volumineuse correspondance. D'autres, dont on ne connaissait que des extraits, sont ici publiées intégralement pour la première fois. Plus de 260 correspondants — dont une cinquantaine de nouveaux — sont représentés, des moins connus aux plus illustres, comme Barbey d'Aurevilly, Hector Berlioz, Henri Heine, Nadar, Armand Barbès, Eugène Sue, Victor Hugo, Louis Blanc, Eugène Fromentin, Jules Favre, Pauline Viardot, la Taglioni, ainsi que les plus divers : parents, familiers, éditeurs, journalistes et patrons de presse, acteurs et directeurs de théâtre, écrivains, artistes, hommes politiques, domestiques, fonctionnaires, commerçants, hommes d'affaires... On retrouve dans ces pages toute l'humanité et l'insatiable curiosité de l'écrivain, que l'on suit jusqu'à ses toutes dernières lettres, en mai 1876, quelques jours avant sa mort. Les auteurs : George Sand (1804-1876) est une romancière, dramaturge et critique littéraire française. Auteure de plus de 70 romans, on lui doit également quelque 25 000 lettres échangées avec toutes les célébrités artistiques de son temps. Thierry Bodin est libraire-expert en lettres et manuscrits autographes. Ses travaux sont consacrés au romantisme français, en particulier Honoré de Balzac, Alfred de Vigny et George Sand.
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