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EAN : 9782020849531
256 pages
Seuil (16/02/2006)
3.8/5   487 notes
Résumé :
L'histoire « très horrifique » du Crédit a voyagé, un bar congolais des plus crasseux, nous est ici contée par l'un de ses clients les plus assidus, Verre Cassé, à qui le patron a confié le soin d'en faire le geste en immortalisant dans un cahier de fortune les prouesses étonnantes de la troupe d'éclopés fantastiques qui le fréquentent. Dans cette farce métaphysique où le sublime se mêle au grotesque, Alain Mabanckou nous donne à voir grâce à la langue rythmée et au... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (88) Voir plus Ajouter une critique
3,8

sur 487 notes
Bref.
J'ai découvert Verre cassé.

J'étais au resto chinois, un midi. Pause déjeûner vite fait avec une collègue. J'hésite entre rouleau de printemps et nems. Donc je prends une salade chinoise: une pousse de soja et une crevette. Mais taille xxl. Deux crevettes.

J'entends glousser à la table voisine.
Une femme, seule. Des nems dans l'assiette, un livre dans la main.
J'enquête. Pas longtemps, car je regarde les Experts: je suis une pro.
J'me dis: "C'est pas le nem qu'est drôle".
Je comprends que c'est le bouquin qui la fait rire. J'ai prévenu. Je suis une pro.
J'attends, l'ouïe en éveil. Elle rit encore.
J'me dis: "Mmmm... une nouvelle mission. Trouver le titre de ce bouquin."

Je me transforme en Horatio Caine. Rayban sur le nez et tête penchée. Incognito.
J'essaie de lire le titre à l'envers. J'vois pas le titre.
Je me contorsionne sur ma chaise pour voir le titre. J'vois pas le titre. 
Je fais tomber un truc par terre pour mieux voir le titre. J'vois pas le titre.
Je demande à ma collègue de lire le titre. Elle me dit: "Salade vietnamienne aux crevettes".

Plan B. Je décide de passer à l'interrogatoire direct. Je me donne une contenance, je la joue pro. Je garde mes lunettes de soleil et je continue à pencher la tête. Horatio Caine à s'y méprendre.
Je dis: "Echcusez moi m'dame, ch'est quoi che bouquin qui vous fait rire?" J'avais une crevette coincée entre les dents. Horatio Caine croisé avec Isabelle Mergault.
Elle dit: "Euh... c'est un petit livre conseillé par ma libraire."
Je dis: "Hey calmos. T'emballes pas. J'te demande pas de me raconter ta vie, j'veux juste le titre."
Bon j'dis pas vraiment ça en fait. Je suis polie.
Je dis plutôt: "Ah sympa votre libraire. Et le titre?"
Elle dit : "Verre cassé d'Alain Mabanckou. L'auteur qui a écrit Mémoires d'un porc-épic."
Je voulais pas avoir l'air cruche. Je pense: "Porc-épic et colégram?" Mais je dis: "Ouais ouais, je vois bien."

Bon je voyais que dalle en fait. Enfin si, je voyais. Mais de loin. Jamais lu Mabanckou, mais le nom me parlait vaguement. Donc je voyais sans voir. Je voyais plus le petit piment que le porc-épic mais je voulais pas entrer en terre inconnue. J'avais pas la tenue de Lopez.
Un hochement de tête, un clin d'oeil, un sourire, je fais genre on se comprend. J'ai quand même eu l'air cruche.

Je dis: "Ça parle de quoi?"
Elle dit: "C'est compliqué à expliquer. Mais c'est drôle. Enfin pas que drôle. Faut le lire."
Super. Elle joue aux énigmes l'insolente. J'avance à rien là. Je patine dans le canard laqué. Et elle se fout de moi en plus.
Du coup, j'abrège.
J'enfourne la deuxième crevette et je dis: "Merchi, bon appétit." Je suis polie.
Je remets ma tête droite, j'enlève mes Rayban. Et j'ai plus de crevettes.

C'était il y a un mois. J'ai trouvé le bouquin, j'ai lu le bouquin.
J'avais pas de nems mais j'ai riz aussi. Car c'est drôle. Enfin pas que drôle. Tragique, érudit, saugrenu, invraisemblable, des clins d'oeil littéraires en pagaille.
Finalement c'est vrai que c'est compliqué à expliquer Verre cassé. Elle s'est pas foutu de moi. Faut le lire.

Bref, j ai lu et adoré Verre cassé.

(Un vrai grand merci à la dame aux nems. Si elle se reconnait...)
 
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J'ai d'abord dit génial, unique, inattendu, lorsqu'un dictateur africain ( Mabanckou invente, c'est sûr, personne n'a jamais eu vent qu'il existait un seul dictateur africain ce serait presque « un mensonge gros comme une résidence secondaire de dictateur africain ») parle à bâtons rompus, il ne peut pas s'arrêter, il cherche LE mot qui lui ralliera les foules. Après maintes suggestions, il trouve : Je vous ai compris. Truculent.

Bourré de références livresques, ce livre : pour cela, lire la liste exemplaire de andras, car , en plus de clins d'oeil au cinéma ( Ascenseur pour l'échafaud, la vie n'est pas un fleuve tranquille, Orange mécanique) l'auteur utilise des phrases toutes faites, et aussi des expressions comme « à la cour du roi Pétaud, les tonneaux des Danaïdes ( africanisé en tonneaux d'Adelaïde, la brousse ou la vie), les chansons de Brassens ( les vieux cons des neiges d'antan, « ce chanteur m'apprenait que les gens qui demandaient aux autres de mourir pour les idées étaient les derniers à donner l'exemple ») , des chansons de Dalida ( paroles, paroles)en plus donc chaque page pratiquement inclut un titre, une référence, une citation, sans guillemets.
C'est donc drôle, très drôle, quand on sait combien ont souffert ses prédécesseurs accusés de plagiat.
Il serait beaucoup trop compliqué de démêler les centaines de bons mots, d'expressions, de titres appartenant à d'autres écrivains. La redondance tue l'action possible.


D'abord.

Ensuite, le but visé est sûrement, venant d'un homme aussi cultivé, de citer des amis à lui. Dans le roman, Verre cassé se voit confier les histoires des autres. Il doit écrire, pour immortaliser les aventures vécues, et chacun se prétend le plus digne d'être raconté, le plus indubitablement exceptionnel. Mabanckou a-t-il été, au cours de la rédaction, contacté par d'autres auteurs africains ? Verre Cassé cite ces auteurs, en ayant l'air de n'être qu'un instituteur sans diplômes, remercié par la hiérarchie, vieillissant. Il raconte, sur un air de Zao, les histoires des hommes qui hantent le café des bas fonds de Pointe Noire, tous se vantant de leur passé en France ou en Amérique, et tous trompés et rabaissés par une femme, qui les ont expédiés en prison.

Pas une pour rattraper l'autre.

J'ai ensuite applaudi le couplet sus Paris Match « Tout ce qui est dedans est vrai, et c'est pour ça que tout le monde l'achète, les hommes politiques, les grandes vedettes, les chefs d'entreprise, les acteurs célèbres se battent tous pour être dedans avec leur famille, devant leur maison, avec leur chien, avec leur chat, avec leur cheval et même, je vais te dire, quand ces hommes politiques de là-bas sont condamnés ou mis en examen dans de sales histoires de corruption, de fausses factures, d'attribution de marchés publics, de trafic d'influence et tout le bazar, ces hommes politiques veulent poser avec leur famille dans Paris Match pour montrer qu'ils sont des hommes bien et que ce sont les jaloux et les adversaires politiques qui leur cherchent noise pour qu'ils ne se présentent pas aux prochaines élections, est ce que tu vois le problème. »

J'aime cette écriture aux longues phrases qui ne se concluent pas, un peu comme dans la vie, où l'on met rarement des points.
Petit bémol tout de même : ce mélange d'érudition, de critique politique, d'humour pur, de récits de vie tragiques aussi bien écrits, de mots drôles aussi bien trouvés, n'avait pas besoin à mon sens d'un détail saugrenu et sans rapport avec l'histoire, les histoires..

Ceci dit, chef d'oeuvre.
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Voici un auteur manifestement fâché avec la ponctuation car, à part les virgules, il n'y a pas un seul point quelconque, ni de majuscules. Mais ne vous arrêtez pas à cela. Verre Cassé va nous conter les histoires singulières des assidus du Crédit a voyagé, un bar qui pourrait se trouver dans n'importe quelle ville d'Afrique noire.

L'auteur, Alain Mabanckou, a un talent certain de conteur. Je me suis laissée entraîner sans aucune difficulté dans les méandres des récits de vie qu'il nous présente avec infiniment de tendresse, malgré la souffrance et les malheurs que les protagonistes traversent.

Mais n'allez pas croire que l'histoire est simpliste. Car Mabanckou défie à tout moment son lecteur en émaillant son texte de références littéraires.
Ainsi un des clients raconte à Verre cassé que sa femme l'a fait passer pour un pédophile et se défend : "est-ce que tu me vois, moi, souiller le vestiaire de l'enfance, est-ce que tu me vois, moi, arracher les bourgeons, est-ce que tu me vois, moi, tirer sur les enfants, c'est impossible" et plus loin : " (un) policier de nationalité féminine (...) a dit que même mort elle me piétinerait, qu'elle irait cracher sur ma tombe, elle a dit que je ressemblais à un marin rejeté par la mer, que je devais savoir que chaque crime a son châtiment, (...)" et donc, si vous ne connaissez pas l'oeuvre du prix Nobel japonais Oé, celle de Vian, de Mishima, de Dostoïevski, vous êtes passés à côté de ses clins d'oeil.

Un coup de coeur assurément.
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C'est parce qu'il aime raconter des histoires qu'un jour, Verre Cassé s'est vu remettre un cahier à remplir par le patron de son bistrot préféré le Crédit a voyagé. Bistrot congolais ouvert vingt quatre heures sur vingt-quatre et où se croisent une multitude de personnages hauts en couleurs. Plus question que les histoires s'envolent, le patron se méfie des anciennes traditions orales et veut pouvoir relire les tribulations de ses habitués quand il veut et pour son seul plaisir.

Et pour le nôtre aussi !
C'est ainsi que nous rencontrerons, et toujours sous couvert d'humour bienveillant, Pampers un père de famille chassé de chez lui, L'imprimeur qui a fait la France, Mouyeke escroc féticheur, Robinette la plus douée des pisseuses, l'Escargot entêté patron du bistrot, sans oublier bien sûr Verre Cassé qui nous narre aussi ses propres aventures. Tous ces personnages qui auraient pu être des héros...

Et dans toutes ces histoires, sont pointées, l'air de rien, de petites attaques contre les autorités gouvernementales françaises ou congolaises, les intellectuels à cravate, les maux dont souffre la population africaine... le tout truffé de références littéraires. On s'amuse autant du récit qu'à retrouver les perches tendues vers d'autres lectures, aussi bien que vers des films et autres chansons. C'est drôle sans être cynique et finement construit. Et contrairement au voeu du patron du café, sont célébrés ici autant la tradition orale que l'écrit : d'ailleurs l'écriture ici est une longue narration presque sans point, ni virgule, ce qui rend le texte très vivant et très particulier.

Bref, un vrai plaisir de lecture et un vrai cri d'amour à la littérature de tous pays !
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"Verre Cassé",publié en 2005 est le cinquième roman de l 'écrivain frano-congolais Alain Mabanckou .Il a remporté de nombreux prix et a fait
l 'objet de plusieurs lectures et adaptations au théâtre .Verre Cassé est le nom d 'un des clients les plus assidus d 'un bar de Brazzaville : "Le Crédit a voyagé".Ce dernier est le lieu de rencontre des "éclopés", des marginaux et autres gens vivant au ban de la société .Verre Cassé s 'est vu confié par l''Escargot Entêté ,le patron du bar , une mission un peu spéciale : il doit immortaliser dans un cahier les aventures fantastiques des "éclopés" qui fréquentent le bar .
l''originalité de ce roman est ce clin d 'oeil subtil aux oeuvres littéraires africaines telles "L 'enfant noir"de Camara Laye ,et d 'autres de Aimé Cesaire, d 'Amadou Hampata Bâ ,Tchicaya Utamsi, Labou Tansi Sony ,Emmanuel Dongola ...
l''auteur témoigne ainsi son estime à ces grands auteurs , véritables maîtres à penser pour lui .Il fait même une référence à Céline , écrivain français auteur du célèbre roman :"Voyage au bout de la nuit"sans oublier
"Mort à crédit" .
l''auteur congolais examine les sociétés africaines "dans leur vie quotidienne du dehors ", sous l' angle de la rue , des marginaux ou des victimes du système familial .
Pour se mettre à la porté d' un large lectorat , l 'auteur n 'utilise pas de ponctuation exceptée la virgule et tout cela pour coller à l 'oralité .
Verre Cassé est un roman écrit dans un style léger ,ludique ,mordant et truculent.
On doit saluer , Alain Mabanckou pour ce beau roman .
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critiques presse (1)
LeFigaro
03 juillet 2020
Ce roman, truculent et plein de verve, brosse le portrait des habitués d’un bar congolais des plus démunis.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Citations et extraits (91) Voir plus Ajouter une citation
… il ose me traiter de capitaliste, je pouvais encore tout accepter d’un diable qui me dit va de retro Satana, mais pas être traité de capitaliste, est-ce que moi j’exploite les pauvres, moi, est-ce que moi j’aime le profit, moi, est-ce que moi je fais l’exploitation de l’homme par l’homme, moi, je suis quand même Zéro Faute, demandez à n’importe qui et on vous dira que moi j’ai fait recouvrer la vue aux aveugles, les jambes aux paralytiques, la voix aux muets, les ovules aux femmes stériles, l’érection aux hommes qui ne bandaient plus même le matin quand le pipi gonfle normalement la chose de tous les mâles, est-ce que vous savez au passage que j’ai aidé le maire de cette ville à se faire réélire à vie, … je ne parle non plus du retour au foyer conjugal de la femme du préfet de cette région, ce n’est pas pour rien qu’on m’appelle Zéro Faute…
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... le président camerounais Paul Biya a dit " Le Cameroun, c'est le Cameroun", et le chef des nègres a dit "non, c'est pas bon, tout le monde sait que le Cameroun restera toujours le Cameroun, et il ne viendrait à l'idée d'aucun pays du monde de lui voler ses réalités et ses lions, qui sont de toute façon indomptables, allez, on passe", l'ancien président congolais Yombi Opangault a dit " Vivre durement aujourd'hui pour mieux vivre demain", et le chef des nègres a dit " non, c'est pas bon, faut jamais prendre les gens de ce pays pour des naïfs, et pourquoi ne pas mieux vivre dès aujourd'hui et se moquer du futur, hein, d'ailleurs ce type qui a dit ça a vécu dans l'opulence la plus choquante de notre histoire, allez, on passe", Karl Marx a dit " La religion, c'est l'opium du peuple", et le chef des nègres a dit " non, c'est pas bon du tout, nous passons notre temps à persuader le peuple que c'est Dieu qui a voulu de notre président-général des armées, et on va encore dire des conneries sur la religion, est ce que vous ignorez que toutes les églises de ce pays sont subventionnées par le président lui-même, hein, allez, on passe", le président François Mitterrand a dit " Il faut laisser le temps au temps",et le chef des nègres s'est énervé, il n'aime pas entendre parler de ce type, et il a dit "non, c'est pas bon, ce président a pris tout le temps pour lui même, et il presque laminé et ses adversaires et ses amis avant de tirer sa révérence et aller s'installer à la droite de Dieu, allez, on passe", Frédéric Dard alias San Antonio a dit " Il faut battre le frère quand il est chauve", et le chef des nègres a dit " non, c'est pas bon, y a trop de chauves dans e pays, les gens du sud du pays vont croire que c'est une phrase en patois du Nord et les gens du nord du pays vont croire que c'est une phrase en patois du Sud,il faut éviter ces quiproquos, allez, on passe", Ponce Pilate a dit "Ecce homo", et le chef des nègres a dit "non, c'est pas bon, je fais la même remarque que pour les élucubrations de Caton l'Ancien, on passe", Jésus en mourant sur la croix a dit " Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez vous abandonné", et le chef des nègres a dit "non, c'est pas bon, c'est trop pessimiste, c'est trop pleurnichard pour un gars comme ce Jésus qui avait pourtant tous les pouvoirs entre les mains pour foutre la merde ici-bas, on passe", Blaise Pascal a dit " Le nez de Cléopâtre, s'il avait été plus court, toute la face de la terre aurait changé", et le chef des nègres a dit "non, c'est pas bon, il s'agit aujourd'hui d'une question de politique et non de chirurgie esthétique, allez, on passe", donc les nègres du président ont passé en revue des milliers de citations et bien d'autres paroles historiques sans vraiment trouver quelque chose pour le premier citoyen du pays parce que le chef des nègres disait chaque fois " c'est pas bon, allez, on passe", et puis, à 5 heures du matin, avant le premier chant du coq, un des conseillers qui visionnait des documentaires en noir et blanc a fini par trouver une formule historique.....
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.à midi pile, au moment où la population se mettait à table pour savourer le poulet-bicyclette, le président-général des armées a occupé les radios et la seule chaîne de télévision du pays, l'heure était grave, le président était tendu comme la peau d'un tambour bamiléké, c'était pas facile de choisir le moment propice pour laisser une formule à la postérité, et, en ce lundi mémorable, il était endimanché, paré de ses lourdes médailles en or, il ressemblait désormais à un patriarche à l'automne de son règne, et tel qu'il était endimanché, ce lundi mémorable, on aurait cru que c'était la Fête au bouc que nous célébrons pour perpétuer la mémoire de sa grand-mère, et alors, se raclant la gorge pour chasser le trac, il a commencé par critiquer les pays européens qui nous avaient bien bernés avec le soleil des indépendances alors que nous restons toujours dépendants d'eux puisqu'il y a encore des avenues du Général-de- Gaulle, du Général-Leclerc, du Président-Coti, du Président-Pompidou, mais il n'y a toujours pas en Europe des avenues Mobutu See Seko, Idi Amin-Dada, Jean Bedel-Bokassa et bien d'autres illustres hommes qu'il avait connus et appréciés pour leur loyauté, leur humanisme et leur respect des droits de l'homme, donc nous sommes toujours dépendants d'eux parce qu'ils exploitent notre pétrole et nous cachent leurs idées, parce qu'ils exploitent notre bois pour bien passer l'hiver chez eux, parce qu'ils forment nos cadres à l'ENA et à Polytechnique, ils les transforment en petits Nègres blanc, et donc les Nègres Banania sont bien de retour, on les croyait disparus dans la brousse, mais ils sont là, prêts à tout, et c'était ainsi que notre président s'exprimait, le souffle coupé, le poing fermé, et dans ce discours sur le colonialisme, le président général des armées s'en est pris au capitalisme avec ses outrages et ses défis, il a dit que tout ça, c'était de l'utopie, il s'en est pris en particulier aux valets locaux des colonialistes, ces types qui habitent dans notre pays, qui mangent avec nous, qui dansent avec nous dans les bars, qui prennent les transports en commun avec nous, qui travaillent avec nous aux champs, dans les bureaux, aux marchés, ces couteaux à double lame qui font avec nos femmes des choses que la mémoire de ma mère morte dans la Tchinouka m'interdit de décrire ici, or ces types sont en réalité les taupes des forces impérialistes, disons que la colère du président-général des armées est montée de dix crans parce qu'il haïssait les valets de l'impérialisme et du colonialisme comme on pouvait haïr les chiques, les punaises, les poux, les mites, et le président -général des armées a dit qu'on devait traquer ces félons, ces marionnettes, ces hypocrites, il les a carrément traités de tartuffes, de malades imaginaires, de misanthropes, de paysans parvenus, il a dit que la Révolution prolétarienne triomphera, que l'ennemi sera écrasé, qu'il sera repoussé d'où qu'il vienne, il a dit que Dieu était avec nous, que notre pays était éternel comme lui même l'était, il a recommandé l'unité nationale, la fin des guerres tribales, il a dit que nous descendions tous d'un même ancêtre, et il a enfin abordé " L'Affaire Le Crédit a voyagé" qui divisait le pays, il a vanté l'initiative de l'Escargot entêté, il a promis de lui décerner la Légion d'honneur, et il a terminé son discours par les mots qu'il voulait à tout prix laisser à la postérité, on a su que c'étaient ces mots là parce qu'il les a répété à plusieurs reprises, ses bras ouverts comme s'il enlaçait un séquoia, et il a répété " je vous ai compris", sa formule aussi est devenue célèbre dans le pays, et c'est pour ça qu'ici, pour plaisanter, nous autres de la plèbe disons souvent que "le ministre accuse, le président comprend"
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le lendemain de l'intervention du ministre Zou Loukia, le président de la République en personne, Adrien Lokouta Eleki Mingi a piqué une colèreen écrasant les raisins qu'il aimait pourtant manger comme dessert tous les jours, et nous avons appris par Radio-Trottoir FM que le président Adrien Lokouta Ekeli Mingi, qui était par ailleurs général des armées, manifestait sa jalousie quand à la formule "j'accuse" du ministre de l'Agriculture, en fait le président-général des armées aurait voulu que cette formule populaire sorte de sa bouche à lui, il ne comprenait pas que ses conseillers n'aient pas imaginé une aussi courte formule pourtant efficace sur le terrain alors qu'on lui faisait dire des formules ampoulées du genre " Tout comme le Soleil se lève à l'horizon et se couche le soir sur le majestueux fleuve Congo", et alors, vexé, mortifié, diminué, rabaissé, frustré, le président AdrienLokouta Eleki Mingi a convoqué les nègres de son cabinet qui lui vouaient un grand amour, il leur a demandé de bosser comme ils n'avaient encore jamais encore bossé jusque là, il ne voulait plus de formules ampoulées servies par une poésie faussement lyrique, et les nègres de son cabinet se sont mis au garde-à-vous, en ordre, du plus petit de taille au plus grand, comme les Dalton que traque Lucky Luke dans les champs de cactus du Far West, et ces nègres ont dit en choeur " oui, mon commandant", alors que notre président Adrien Lokouta Eleki Mingi était un général des armées, il attendait d'ailleurs avec impatience une guerre civile entre nordistes et sudistes pour écrire ses mémoires de guerre qu'il intitulerait en toute modestie " Mémoires d'Adrien" , et le président-général des armées les a tous sommés de lui trouver une formule qui pourrait rester dans la postérité comme le " j'accuse" qu'avait prononcé le ministre Zou Loukia, et les nègres du cabinet présidentiel ont travaillé la nuit entière, à huis clos, ils ont ouvert et feuilleté pour la première fois les encyclopédies qui prenaient de la poussière dans les rayons de la bibliothèque présidentielle, ils ont aussi cherché dans les grands livres écrits en tout petit, ils ont remonté depuis l'origine du monde en passant par l'époque d'un type nommé Gutenberg, et celle des hiéroglyphes égyptiens jusqu'aux écrits d'un certain Chinois qui avait parait-il disserté sur l'art de la guerre et qui avait vécu prétendument à l'époque où on ne savait même pas que le Christ allait naître par une opération du Saint-Esprit et se sacrifier pour nous autres les pécheurs, mais les nègres d'Adrien n'ont rien trouvé d'aussi fort que le "j'accuse" du ministre Zou Loukia, alors le président-général des armées a menacé de virer son cabinet entier s'il n'avait pas son mot pour la postérité, il a dit " pourquoi je vais continuer à payer un tas d'imbéciles incapables de me trouver une formule qui frappe, qui reste, qui marque, je vous préviens que si j'ai pas ma formule avant que le coq n'annonce l'aube d'un autre jour, y aura des têtes qui vont tomber comme des mangues pourries qui tombent d'un arbre, oui pour moi vous n'êtes tous que des mangues pourries, c'est moi qui vous le dis, commencez à faire vos cartons et à chercher un pays catholique pour votre exil, ce sera l'exil ou la tombe, je vous dis, personne ne sort de ce palais à partir de cette minute , que je ne sente même pas l'odeur du café depuis mon bureau, encore moins les cigares Cohiba ou Montecristo, pas d'eau à boire, pas de sandwiches non plus, rien, rien et rien, ce sera la diététique tant que vous ne trouverez pas ma formule à moi, et alors dites moi donc comment ce petit ministre Zou Loukia a trouvé son "j'accuse" dont tout le monde parle dans le pays, hein, les Services de sécurité présidentielle m'ont dit qu'il y a même des bébés qui se prénomment "j'accuse", et que dire alors de toutes ces jeunes filles en chaleur qui se sont fait tatouer cette formule sur leur paire de fesses, hein, et d'ailleurs, ironie du sort, les clients des prostituées exigent que celles-ci aient ce tatouage, vous voyez dans quelle merde vous me foutez, hein, c'était quand même pas sorcier à trouver, cette formule, voyons, est ce que les nègres du ministre de l'Agriculture sont meilleurs que vous, hein, est ce que vous êtes conscients que ses nègres à lui n'ont même pas chacun une voiture de fonction, ils prennent le bus du ministère, ils ont des salaires minables pendant que vous vous la coulez douce ici au palais, vous vous baignez dans ma piscine, vous buvez mon champagne, vous regardez tranquillement les chaînes cablées étrangères qui rapportent n'importe quoi sur moi, vous mangez mes petits fours, vous mangez mon saumon, mon caviar, vous profitez de mon jardin et de ma neige artificielle pour skier avec vos maîtresses, c'est tout juste si vous ne couchez pas avec mes vingt femmes, hein, finalement, dites moi, vous me servez à quoi dans ce cabinet, hein, est ce que je vous paye pour venir vous assoir comme des fainéants ici, hein, autant embaucher comme directeur de cabinet mon chien stupide, bande de bons à rien", et le président Adrien Lokouta Eleki Mingi a claqué la porte de son cabinet en criant de nouveau " bande de nègres, plus rien ne sera comme avant dans ce palais, y en a marre d'engraisser des limaces de votre espèce qui me bavent des conneries, vous serez jugés au résultat, et dire que parmi vous y a des énarques et des polytechniciens, mon cul, oui."
les nègres du cabinet présidentiel se sont mis au travail...
à suivre..



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..sans désespérer les nègres du président-général des armées ont trouvé un autre truc de dernière minute , ils ont décidé de mettre leurs idées et leurs découvertes dans une corbeille, ils ont dit que c'était ça qu 'on appelait le brainstorming dans les grandes écoles que certains d'entre eux avaient fréquentées aux Etats-Unis et ils ont écrit chacun sur une feuille de papier plusieurs formules qui sont entrées dans la postérité de ce monde de merde, et ils ont commencé le dépouillage comme on le fait dans les pays où on a le droit de voter, et ils ont commencé à tout lire d'une voix monocorde sous l'autorité du chef des nègres , on a débuté par Louis XIV qui a dit " L'Etat c'est moi", et le chef des nègres du président-général des armées a dit "non, c'est pas bon cette citation, on ne la garde pas, c'est trop nombriliste, on nous prendrait pour des dictateurs, on passe", Lénine a dit " Le communisme, c'est le pouvoir des Soviets plus l'électrification du pays ", et le chef des nègres a dit " non,c'est pas bon, c'est prendre le peuple pour des cons, surtout les populations qui n'arrivent pas à payer leur facture d'électricité, on passe", Danton a dit " De l'audace, encore de l'audace", et le chef des nègres a dit " non, c'est pas bon, trop répétitif, en plus on risque de croire qu'il nous manque de l'audace, on passe " ,Georges Clémenceau a dit " La guerre, c'est une chose trop grave pour la confier aux militaires", et le chef des nègres a dit "non, c'est pas bon, les militaires risquent de se fâcher, et c'est le coup d'Etat permanent, n'oublions pas que le président lui-même est général des armées,faut savoir où on met les pieds, on passe, Mac Mahon a dit " J'y suis, j'y reste", et le chef des nègres a dit " non, c'est pas bon, c'est comme si quelqu'un n'était pas sûr de son charisme et se raccrochait au pouvoir, on passe", Bonaparte a dit lors de sa campagne en Egypte " Soldats, songez que du haut de ces pyramides quarante siècles vous contemplent", et le chef des nègres a dit"non, c'est pas bon,c'est prendre les soldats pour des ignares, pour des gens qui n'ont jamais lu les livres du grand historien Jean Tulard, or nous avons pour mission de montrer au peuple que les militaires ne sont pas des imbéciles, on passe", Talleyrand a dit " Voilà le commencement de la fin" et le chef des nègres a dit "non, c'est pas bon, on croirait au commencement de la fin de notre propre régime, or nous sommes censés être au pouvoir à vie, donc on passe", Martin Luther King a dit " J'ai fait un rêve", et le chef des nègres s'est énervé, il n'aime pas entendre parler de ce type qu'il oppose toujours à Malcolm X son idole, et il a dit " non, c'est pas bon, y en a marre des utopies, on attend toujours que son rêve en question se réalise, et je vous dis qu'on attendra encore un bon paquet de siècles, allez on passe",.......
à suivre...

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Si je vous dit le Crédit a voyagé : à quel écrivain, qui connaissait bien l'Afrique, pensez-vous ? le voyage… au bout de la nuit… Mort… à crédit…
« Verre cassé », d'Alain Mabanckou, c'est à lire en poche chez Points Seuil.
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