Une pièce cruelle et grinçante, troublante, une pièce inconfortable où les personnages sont tous moches d'une façon ou d'une autre, nous confrontant à notre propre mocheté comme Yvonne dévoile la leur.
La base de la pièce a quelque chose de très plaisant: le Prince, refusant de se conformer à cette loi "follement stupide, férocement vulgaire, absurdement inique" qui lui dicte de choisir une fille qui lui plaît, décide de se fiancer à l'inapétissante Yvonne, laideron apathique dénué de charme. Mais on n'est pas vraiment dans un conte de fée et les hypothèses que fait le Prince pour expliquer l'étrangeté de son choix sont plutôt dérangeantes:
" je me demande s'il ne s'agit pas plutôt de... d'une insupportable curiosité...tu sais, comme quand on tripote un ver de terre avec une brindille pour mieux l'observer."
À la cour, Yvonne, réveillant souvenir ou désir de violence, avivant les tensions, révèle la laideur de tout un chacun, dérègle, met le palais sens dessus dessous - et là encore, le plaisir de voir la mollichonne faire éclater le grotesque et la vacuité de la Cour se mêle au côté oppressant d'une monstruosité humaine qui se libère, se lâche, s'amplifie.
C'est une pièce vraiment intéressante, mais c'était mieux dans mes souvenirs. Peut-être que les comédiens donnaient aux personnages une profondeur que je ne suis pas capable de percevoir à la lecture, leur côté stylisé, dont je ne me souvenais pas, m'a un peu déçue. Le comique, le côté grotesque gagnent aussi à être mis en scène. Finalement, à la lecture, il y a une bonne idée que Gombrowicz déroule avec beaucoup de talent, mais sans laisser de place pour autre chose.
Challenge théâtre 2017-2018
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Si elle m'aime, c'est que moi...moi je suis aimé d'elle... Et si je suis aimé d'elle, c'est que je suis son bien-aimé... Je suis en elle. Elle m'a en elle. Je ne peux pas la mépriser...si elle m'aime. Je ne peux pas être méprisant ici, si là, en elle, je suis bien-aimé. Ah, moi qui pensais pendant tout ce temps-là que j'étais ici, que j'étais moi-même, en moi-même - et tout à coup clac ! Elle m'a attrapé - et je suis en elle comme dans un piège !
Le Roi :
Tu en as marre de tes études, Philippe ? Ton option "Construction de hauts chaudrons" à l'Ecole polytechnique ? Tu veux arrêter ton action idéologique dans le secteur civico-social ?
Philippe, nous respectons tes sentiments, reconnais-le. Nous sommes de vrais parents pour cette petite. Mais si seulement elle consentait à ... à communiquer un petit peu plus ! Aujourd'hui encore, mutisme absolu tout le temps du goûter ... Et du déjeuner ... Et du petit déjeuner ... D'ailleurs ça n'a pas de fin. Ce silence, de quoi est-ce que ça a l'air ? Et nous, de quoi avons-nous l'air là devant ? Philippe, la bienséance exige que ...
...celle-ci est une blondasse-hommasse, alors que l'autreétait une de ces guillerettes belettes brunettes.
Witold Gombrowicz : Entretiens avec Gilbert Maurice Duprez (1967 / France Culture). Diffusion sur France Culture du 14 au 20 janvier 1970. Photographie : L'écrivain polonais Witold Gombrowicz (1904-1969), portrait daté de 1967. - Sophie Bassouls/Sygma/Sygma via Getty Images. Ces entretiens avec le grand écrivain polonais, disparu en 1969, ont été enregistrés en 1967 et diffusés pour la première fois du 14 au 20 janvier 1970. Witold Gombrowicz a enregistré cette série d'entretiens avec Gilbert Maurice Duprez en juin 1967 alors qu'il venait de se voir décerner le prix international de littérature "Formentor". Plutôt que d'y voir une tentative d'exégèse de son œuvre par lui-même, il faut plutôt considérer ces entretiens comme une suite d'esquisses en vue d'un autoportrait que l'on pourrait intituler : Witold Gombrowicz par Witold Gombrowicz. L'écrivain polonais est mort en 1969 des suites d'une grave affection cardiaque. Gombrowicz n’a jamais pu jouir pleinement du succès de son œuvre, notamment à l’étranger. C’est en France, grâce notamment au vif succès des représentations du "Mariage" au théâtre Récamier en 1964 et de "Yvonne Princesse de Bourgogne" au théâtre de France en 1965, que son œuvre trouve l’un des retentissements les plus rapides. Polonais mais antipatriote visant une forme d’universalité humaine, il était important pour Gombrowicz que son œuvre dépasse les frontières de son pays. Witold Gombrowicz : « Mon histoire est celle-ci : j'ai quitté la Pologne en 1939, après j'ai passé vingt-trois ans en Argentine, puis après une année à Berlin je me suis établi ici, à Vence, à cause de ma santé qui n'est pas très bonne. Exilé ? Oui, premièrement je suis un exilé politique à cause du régime communiste en Pologne, mais aussi dans un sens spirituel. C'est-à-dire que je veux être un écrivain universel et dépasser ma situation particulière de Polonais, même je ne voudrais pas être un écrivain européen. Ma philosophie est de dépasser la nation. Je suis dans un certain sens un antipatriote. »
Grâce à ces entretiens, enregistrés en juin 1967, soit un an et demi avant sa mort, on découvre un Gombrowicz certes fatigué, à la voix enrouée, mais toujours plein de la vivacité intellectuelle et de cette lucidité presque déconcertante qui irrigue son œuvre. Posant un regard critique sur la société et notre façon d’être au monde, on y découvre un Gombrowicz qui exècre beaucoup de ses contemporains et la littérature moderne en général, déclarant la guerre à Joyce ou au nouveau roman, dont la forme trop complexe brouille toute possibilité d’une vraie expérience de lecture. Ces enregistrements sont des ressources rares et précieuses qui permettent aux auditeurs et auditrices d’entrevoir les mouvements intimes de l’un des esprits les plus excentriques et fascinants de la littérature européenne du XXe siècle.
Source : France Culture
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