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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Southern Bastards, tome 2 (épisodes 5 à 8) qu'il faut avoir lu avant. Il faut avoir commencé la série par le premier tome. Il comprend les épisodes 9 à 14, initialement parus en 2015/2016, écrits par Jason Aaron, dessinés et encrés par Jason Latour qui a également réalisé la mise en couleurs. L'épisode 12 est une exception puisqu'il est écrit pas Jason Latour, dessiné, encré et mise en couleurs par Chris Brunner. Ce tome se termine avec un texte de 2 pages rédigé par Jason Latour, écrit en petit caractère. Il détaille pour quelle raison il a réalisé une couverture avec un chien en train de déchirer un drapeau confédéré. Il explicite également sa position par rapport aux valeurs sudistes.

Épisode 9 - le shérif Hardy se tient devant les stèles funéraires des Tubb, en se disant qu'il approche de la quarantaine et que sa vie n'a aucune valeur. Pire, il a raté tous les moments qui auraient pu être significatifs. Coach Big (Beau Barclay) vient le rejoindre et lui demande si Euless Boss a vraiment tué un homme à coups de batte de baseball devant toute la ville. Big se dit qu'en réalité il n'a jamais réussi à éviter les débordements de Coach Boss. le lendemain, le shérif Hardy se tient devant le cadavre de Big, en présence d'Euless Boss. Ce dernier lui affirme qu'il a été assassiné, en contradiction totale avec les faits. Il exige que Hardy trouve le meurtrier au plus vite. Hardy sort du bureau de Big, prend sa voiture et se rend en ville, à la banque. Il est reçu par l'une des soeurs jumelles Compson et demande à avoir accès à son casier dans les coffres. Il demande des nouvelles de l'autre soeur et se fait rembarrer, celle présente lui conseillant de changer de banque. Il repense à l'époque où il était la star montante de l'équipe de football de Craw County. Épisode 10 - Donny Ray (le mari de Shelby) a décidé d'apporter la bonne parole de Dieu à Esaw Goings pour le convertir. À la demande d'Esaw, il l'accompagne pendant toute sa journée, passée à faire tourner les affaires.

Épisode 11 - Piney Woods fait partie d'une petite communauté qui vit presqu'en autarcie à l'écart de la ville. Il chasse le cerf à l'arc, et remplit la fonction de guide spirituel pour les autres, dans une forme d'expression de la foi très idiosyncrasique. Il a décidé d'exercer une justice directe contre un jeune de la ville qui a violé une jeune fille atteinte d'une déficience mentale. Épisode 12 - Tad Ledbetter est toujours dans le coma à l'hôpital. L'infirmière qui s'occupe de lui coupe la télévision qui diffuse des dessins animés décérébrés et quitte la chambre. Eugene Maples (Materhead) éprouve des remords quant à la situation de Tad Ledbetter et il lui rend visite en lui apportant tous les produits dérivés de l'équipe de football. Épisodes 13 & 14 - le temps est venu du match de football contre l'équipe de Wetumpka County à Craw County. Euless Boss est complètement désemparé du fait de l'absence de Coach Big à ses côtés, et ne sait pas comment établir une stratégie de jeu et en assurer son appropriation par les joueurs de l'équipe. En plus il est convoqué par Leddy, la femme du maire.

Après un tome 2 avec une forme déroutante, le lecteur ne sait plus trop s'il doit s'attendre à ce que les auteurs reprennent le fil de l'intrigue principale (enfin, de l'intrigue initiée dans le premier tome), ou s'ils vont continuer à digresser (enfin, à montrer la vie d'autres membres de cette communauté sudiste). Effectivement chaque épisode s'intéresse à un personnage différent. Si le lecteur se souvient du personnage figurant sur la couverture, il peut penser que le temps est venu de la vengeance. Mais en fait il faudra attendre car il s'agit de la couverture du dernier épisode. Donc il accompagne d'abord le shérif dont il apprend le prénom (Hardy), puis Esaw Goings, Piney Woods, Tad Ledbetter et Euless Boss. Parmi ces 5 personnages, il y a en 2 de nouveaux (le shérif dont on ne savait pas grand-chose, et Piney Woods apparu dans une seule page dans le tome précédent). Il a déjà pu observer les 3 autres dans des séquences précédentes. Effectivement chacun de ces 5 personnages méritent le qualificatif du titre de la série. Hardy a fait partie de l'équipe de football ce qui ne lui a pas réussi et l'a placé dans une situation où il se retrouve contrait à accepter compromission après compromission. Les dessins montrent un individu costaud, mais aux postures dans lesquelles se lit une forme de soumission à l'autorité d'Euless Boss, de résignation à sa condition, de défaitisme face à madame Compson. Ce ressenti est accentué par la banalité des décors qui montrent une petite ville sans panache, uniquement fonctionnelle, avec un bon niveau de détails.

Malgré son indépendance et sa rectitude morale, la vie de Piney Woods est tout autant dictée par son environnement et marquée par les us et coutumes du Sud. Jason Latour a l'art et la manière pour donner plus d'importance aux décors naturels du fait de la position à l'écart de cette communauté. Il montre des bâtiments plus anciens, moins solides. Les tenues vestimentaires sont moins variées, plus strictes, évoquant un cadre moral plus rigide. le lecteur a déjà pu voir comment le jeune Tad Ledbetter (encore un enfant) a été marqué de manière indélébile par le péché des adultes. S'il n'a pas consulté le détail de la répartition des tâches, il est possible que le lecteur ne se rende pas compte que l'épisode n'est pas écrit par Jason Aaron, mais par Jason Latour. de même, l'écart graphique n'est pas très important entre les dessins de Latour et ceux de Chris Brunner. Il note une petite exagération dans certaines expressions de visage et une gestuelle plus ample, ce qu'il peut mettre sur le compte du caractère juvénile de Tad Ledbetter et d'une manière différente dans les réactions émotionnelles parfois enfantines d'Eugene Maples.

Toujours aussi adroit, Jason Aaron consacre un épisode entier à montrer la vie sans retenue d'Esaw Goings, sans remord, sans regret, faisant usage de sa force, faisant preuve d'une énergie sans borne. Au fur et à mesure de sa journée, le lecteur le voit se conduire en butor, n'éprouvant aucune empathie pour les individus qu'il malmène, qu'il humilie, qu'il maltraite, qu'il utilise, qu'il frappe. Pourtant arrivé à la dernière page de cet épisode intense passé aux côtés d'un individu abject, le lecteur est aux premières loges pour constater l'intensité de son mal-être. Cela ne le rend pas sympathique, mais il est impossible de réprimer un élan d'empathie pour cette personne qui soufre. La crudité apparente des dessins de Jason Latour s'avère sans pitié pour Esaw Goings. Elle sert à montrer toute la crudité de cet individu, sa manière de réagir à toutes les situations par la force, en imposant sa masse, en utilisant l'énergie générée par ses émotions négatives, à montrer que son seul mode relationnel est la confrontation. Cette crudité se révèle également sans pitié quand Esaw Goings ne comprend pas ce qu'on lui dit, par exemple quand Euless Boos lui indique que ses actions n'arrangent rien. Elle souligne à quel point il ne dispose pas de maîtrise de soi, il se laisse porter par ses émotions, il est le jouet de ses pulsions.

Jason Aaron & Jason Latour avaient déjà réussi le même tour de force dans le tome précédent en montrant comment la rage intérieure d'Euless Boss avait été attisée et nourrie par les circonstances de sa naissance, par la vie de son père, par un système favorisant l'usage de la force et la maltraitance des faibles. Au cours de l'épisode 13, le lecteur se rend compte qu'il éprouve toujours des sentiments partagés vis-à-vis d'Euless Boss : de la répulsion pour ses méthodes abjectes, de la pitié pour un individu qui ne peut pas être heureux. À nouveau les dessins de Latour montrent une réalité crue, à commencer par la brutalité du football, encore accrue par le souvenir que le lecteur garde de la façon désespérée et écoeurante de foncer sur l'adversaire qu'avait Euless Boss étant jeune. La pratique du sport n'a plus rien de noble ; c'est une question primale de vie ou de mort. Dans ces conditions, il est difficile de ne pas éprouver d'inquiétude pour Euless Boss qui a perdu son conseiller littéralement à la veille d'un match crucial contre l'équipe de la ville d'à côté. En outre sa soudaine position de faiblesse provoque une réaction de la part de la femme du maire qui voit une opportunité d'enfoncer un individu incontrôlable. le face à face entre Euless Boss et Leddy ne dure que 3 pages, mais la mise en scène montre bien qui est le plus fort physiquement, et qui a le dessus psychologiquement, avec le maire impotent en arrière-plan, une grande réussite de mise en scène.

Le lecteur arrive au dernier épisode consacré au personnage de la couverture en salivant de plaisir par anticipation. Comme pour Earl Tubb, le scénariste et le dessinateur se font un malin plaisir d'introduire un doute raisonnable sur la possibilité pour cette personne d'être un héros. À nouveau le lecteur se souvient du titre de la série, ce qui provoque en lui une légère prise de recul quand il observe les décisions du personnage. Il sait qu'il est forcément marqué par son ascendance familiale, mais aussi par le ressenti de la communauté à l'encontre d'une personne de couleur. Il n'a pas oublié non plus comment s'est terminée la mission de vengeance d'Earl Tubb. Il s'insinue donc dans son esprit une saveur d'ambivalence sur les choix effectué par ce personnage, sur son degré de liberté vis-à-vis de son éducation. Tout du long de ces 6 épisodes, le lecteur voit des individus en proie à leurs névroses, à leur conditionnement socio-culturel, mettant en oeuvre des stratégies déviantes pour pouvoir concilier les contraintes extérieures avec un semblant de vie supportable. Ces comportements s'écartant de qui est accepté comme étant normal s'observent dans la violence, mais aussi dans les détails. le lecteur a du mal à retenir un haut-le-coeur quand il voit Euless Boss faire preuve d'un geste sentimental en déposant un objet souvenir dans le cercueil de Beau Barclay (Coach Big). C'est à la fois émouvant, mais aussi dérangeant car il s'agit de la friandise préférée de Big, à savoir une plaquette de beurre.

Ce troisième tome confirme l'intention de Jason Latour & Jason Aaron de brosser le portrait d'une communauté au travers de plusieurs des habitants de Craw County. Ils utilisent une structure qui n'est pas celle d'une aventure ou d'un récit focalisé sur un seul personnage, ou sur une intrigue principale devant avancer régulièrement. Les auteurs réussissent à nouveau à humaniser des individus au comportement moralement condamnables, voire aux actions abjectes. Les dessins crus de Latour sont sans pitié pour la veulerie des uns et des autres, mais aussi d'une grande honnêteté ce qui fait apparaître l'humanité de chacun et par moment leur fragilité. Alors qu'il peut être en droit de faire la grimace en constatant qu'un épisode n'est pas réalisé par l'équipe Aaron & Latour, le lecteur se rend compte à la lecture qu'il n'y a pas de solution de continuité narrative.
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