Sépharade... voilà un mot qui recouvre pour moi toute une histoire : celle tout d'abord de sa découverte et de son sens. J'avais 19 ans et je poursuivais des études de lettres modernes à l'université de la Sorbonne. Venue de Basse-Normandie pour m'arracher à la province et me hisser au Panthéon de la littérature, je ne connaissais de la société française que ce que j'en avais vu dans ma région natale. le mot juif tout comme sa réalité se cantonnait à ce que j'en avais appris à travers ce feuilleton glaçant qui m'avait bouleversée à jamais dans mon enfance : Holocauste, et aux cours d'histoire du lycée.
J'eus à cette époque une camarade d'université qui m'apprit que Judith, une copine commune qui avait pour projet de vivre en Israël, était
sépharade. Elle m'expliqua alors la différence entre les Ashkénazes et les
Sépharades . Aussi en regardant Judith, avec sa peau mate, ses cheveux longs et noirs, ses yeux vert olive, son caractère naïf et ses rêves d'Israël, j'eus vraiment l'impression d'en apprendre beaucoup plus sur le monde que dans les livres. J'étais devant elle comme un enfant blanc qui voit pour la première fois un Noir dans sa vie!
Aujourd'hui, j'ai 53 ans. Ma connaissance de la culture judaïque s'est affirmée au gré de lectures et de films, dont, entre autre, le très réussi Kadosh, (dont j'ai lu sur Wikipedia qu'
Eliette Abecassis en avait écrit le texte) et plus récemment, plus concrètement, à travers un amant qui m'a expliqué que les
Sépharades vivant au Maghreb avait fui l'Espagne sous la menace de l'inquisition.
Je lis peu. Après avoir découvert l'immense George Eliott, dont le Moulin sur la Floss me manque autant que mon amant
Sépharade, j'ai erré pendant plus d'une heure dans la médiathèque de Taverny, qui ne possédait rien d'autre de cette autrice anglaise, sans savoir vers quoi me tourner, jusqu'à ce que mes yeux se posent sur ce roman :
Sépharade.De l'autrice, née en 1969 comme moi, je ne connaissais rien si ce n'est le nom amusant qui m'a toujours fait penser à Bécassine, mais qui incarnait pour moi ce que je n'ai su être : une écrivaine.
Ce long prélude pour bien rappeler qu'une lecture n'est jamais neutre. On la lit avec des attentes, des à priori. Pour moi, lire
Sépharade, c'était forcément être déçue, puisque une seule page suffisait pour me dire que l'autrice n'arrivait pas à la cheville de George Eliott, mais c'était aussi passer un bon moment en me plongeant dans cet univers oriental qui a tant à me dire.
Sépharade, c'est donc l'histoire d'une jeune femme juive vivant à Strasbourg sous la pression d'une famille extrêmement pesante, manipulatrice et qui cherche à s'émanciper. Alors qu'elle nous raconte ses amours et la préparation de son mariage avec Charles, elle nous fait part des contradictions qui l'animent: fidélité à sa culture , respect de ses parents et désir ardent de s'émanciper. Les préparatifs du mariage nous font plonger dans tous les rites et les croyances qui tissent les liens entre les membres de sa famille, amenant selon les événements la future mariée à revenir en arrière et à nous parler de tous les amoureux qu'elle a eus avant que son choix ne se fixe sur Charles, lequel va finalement se trouver de nouveau éconduit à cause de tous les obstacles culturels et familiaux qui se dressent devant elle.
Esther, c'est le prénom de la jeune femme, raconte tout cela avec beaucoup d'émotion, essayant de nous faire ressentir comment les choses, les rencontres masculines, la découverte de son identité, de ses identités, comme elle le dit elle-même à plusieurs reprises ont été éprouvantes. Elle introduit dans sa narration de longs passages très documentés sur l'inquisition espagnole, sur les persécutions des Juifs au Maroc malgré la bienveillance de Mohamed V et d'
Hassan II. Elle nous fait comprendre avec son raisonnement de femme française, de femme moderne, de femme libre, la violence qu'il y a à lire
L Histoire et faire corps avec elle quand 'il s'agit des vôtres, de vos aïeux.
Le roman fait quelques centaines de pages. Il aurait dû en faire des milliers. L'histoire d'Esther est si dense et se prête tant à l'anthropologie qu'elle aurait pu faire l'objet d'une oeuvre en plusieurs volumes. En 300 pages,
Eliette Abecassis raconte 30 ans d'existence, balayant les jours, les années pour atteindre le plus rapidement possible les événements qu ont heurté Esther, l'ont amenée à des prises de conscience fortes, à des choix difficiles. J'aurais aimé qu'elle "entre vraiment en littérature" comme je l'entends, à savoir, que le temps du récit tente de se rapprocher du temps de la fiction, qu'il distille les minutes, qu'il s'approprie l'instant, que les mots se fassent plus précis, plus charnels, que l'on voie par exemple la maison de son enfance, le visage de sa mère, qu'elle ne se contente pas de nous dire qu'Esther était brune et belle mais que son visage nous apparaisse à un moment particulier de son existence, comme dans un tableau.
Sépharade est un roman intéressant et instructif.
Eliette Abecassis à des choses essentielles à nous dire, à la différence de tant d'auteurs qui n'ont pas de sujet, qui cherchent à frapper le lecteur en trouvant l'inspiration dans l'actualité, les enjeux de notre société ou en faisant dans la "provoc'" comme on dit. Quel dommage qu'elle ne se soit pas donné pour projet de faire d'Esther un personnage de roman unique et singulier comme Madame Bovary, Anna Karenine, le comte de Monte Cristo, le père Goriot L'étranger...dont on pourrait parler encore dans cent ans !