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EAN : 9782072753473
624 pages
Gallimard (03/05/2018)
3.87/5   46 notes
Résumé :
" Sur toute la contrée, depuis les rebords amers du plateau dont les flancs se craquelaient de combes où les torrents menaient sans relâche leur tapage jusqu'aux mornes pentes des Hautes Brandes dont les sentes s'engonçaient sous des arceaux d'aubépines tassées comme des fous rires et, entre les deux, bien sûr, sous les denses nuées de la forêt qui étirait ses membres gourds au vent soudain tiédi, sur toute la contrée, en tout lieu et tout asile et même sur l'onde s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
J'adore parcourir le monde imaginaire de monsieur Jacques Abeille, mais alors, quelles lectures laborieuses nous réserve-t-il ! Et quelle pugnacité réclame-t-il de nous autres lecteurs pour enfin s'extirper fourbus, épuisés mais heureux d'une telle aventure !

Lire Abeille, c'est comme aller au combat. Il faut chaque fois se préparer, s'entrainer et ne pas croire à l'avance que l'issue sera facile. C'est une bataille dont l'issue reste toujours incertaine ; peut-être que vous n'en reviendrez pas… à moins ne vous n'en revinssiez pas. Mais chaque fois, le retour à la vie civile honore le lecteur-combattant du passage sous un arc de triomphe lumineux telle une porte ésotérique que les valeureux franchissent pour se décharger des énergies noires potentiellement funestes rapportées avec eux des campagnes.

Cette fois, il m'a fallu pas loin de 4 semaines pour venir à bout de cet étrange Veilleur... A bien des moments j'ai douté, gagné par une lassitude extrême, mais souvent aussi, aux pires moments d'hésitation, je me retrouvais comme attiré par un enchantement à vouloir parcourir encore et encore les rues et venelles de Terrèbre à la poursuite du voyage initiatique de Barthélémy Lécriveur ou m'intéresser à ses rencontres avec Zoé, le patron de l'auberge, Coralie, l'inspecteur de police Molavoine, le chancelier ou bien Barbarine…

Ici, c'est d'une échoppe vide et poussiéreuse que jaillissait l'intérêt, là d'une artère ensoleillée qu'une multitude empruntait, ou bien là encore d'un étrange édifice que l'éternité avait voilé de mystère. Aux plus sombres moments de ma lecture, englué dans de longues descriptions contemplatives de ce monde parallèle, alors que je croyais devoir rendre les armes, un soupçon d'intrigue comme placé là par un démiurge faquin qui guettait mon assoupissement venait réveiller mon intérêt et me replonger dans les eaux grasses et tumultueuses du Veilleur du Jour.

C'est tout un monde merveilleux et cruel que ce paradis littéraire qui s'offre à nous et nous ne le savons pas.
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"Le veilleur du jour" précède, pour son action, "Un homme plein de misère", récit de l'invasion barbare de Terrèbre. Tout se déroule ici aux derniers temps de l'empire terrébrin, suivant le destin d'un personnage, Barthélémy Lécriveur, engagé comme "veilleur de jour" et chargé de la surveillance d'un étrange monument. Il n'est pas impossible que le véritable sujet soit ce monument secret, recouvert comme le Sphinx ou une ancienne pyramide par le tissu urbain. C'est peut-être lui le héros véritable de tout l'ouvrage. L'action est lente, à la mesure de l'exploration méthodique du monument par son gardien, salle par salle, secret après secret, pendant que la vie extérieure se déroule au-dehors. Le monument aimante de nouveaux personnages, de nouvelles intrigues : Coralie, Zoé, le Chancelier, le policier Molavoine, figures magnifiques, tandis que les intrigues sont un peu laissées dans l'ombre. L'auteur, dirait-on, ne leur accorde que peu d'intérêt. On pense beaucoup à Julien Gracq, lui aussi narrateur négligent, ou encore à Ernst Jünger, dont les romans symboliques, Héliopolis ou Eumeswil, ne se lisent pas ... comme des romans.

Malgré la splendeur de la langue et du style, celle des deux histoires d'amour, et toutes les richesses, ce roman se lit malaisément. Le mystère y est épais, sa résolution lente à venir, les descriptions immenses. La prose se déploie parfois pour elle-même à la façon d'un grand discours qui jouirait de sa propre éloquence : parfois, c'est un poème un peu gratuit, dont le grand style constamment élevé et tenu, sans pause ni variation d'intensité, finit par fatiguer. C'est un reproche que je fais à moi-même plus qu'au livre. Lecteur trop impatient, j'ai mal accepté le rythme de promenade et la hauteur de langage auxquels j'étais invité. Je sais que je suis passé à côté de mille choses, et il me faudra tout relire un jour pour mesurer la beauté de l'ensemble.
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Les désastres qui s'ensuivirent appartiennent à l'histoire officielle de Terrèbre...

Dans ce second tome du cycle des Contrées, souple suite du premier, Jacques Abeille nous entraîne dans une cité ancienne et complexe, capitale de l'empire de Terrèbre, dans le sud lointain des pays des « Jardins statuaires ». Un héros improbable, récent immigrant dans cette métropole nourrie de la ville de Bordeaux familière à l'auteur, se voit assigner une étrange mission de « veilleur du jour » dans un édifice qui est beaucoup plus que ce qu'en indiquent les premières apparences... Intrigue amoureuse et érotisme, beaucoup plus marqués dans ce deuxième volume, rythment une trame qui se révèlera aussi au fond beaucoup plus politique qu'il ne semble, où la sombre guilde des Hôteliers et l'empire barbare que l'on avait vu en gestation jouent pleinement leur rôle... Déroutant par moments, le cheminement est pourtant d'une sûreté implacable, pour une conclusion inattendue, résonnant avec celles du « Rivage des Syrtes » ou du « Désert des Tartares »...
Le style précis et imagé d'Abeille se développe encore, prenant par moments des accents dignes du meilleur Saint-John Perse, et parfois un souffle de l'ironique érudition d'un Borges.
« Alors il s'engageait heureux et d'un pas plus confiant dans la paix des banlieues. le tissu des établissements humains se desserrait et s'usait. On ne rencontrait bientôt plus que de petites maisons isolées dans des jardins clairs parmi lesquels les chemins bifurquaient et, plus profondément encore, des venelles poudreuses à jamais immobiles entre des murettes bancales qui enserraient des potagers toujours déserts. »
« - Tu es un somnambule ; tu ne sais rien, tu ne vois rien et pourtant chacun de tes pas est infaillible. Quelque chose t'attend, j'en suis sûre à chaque mot que tu prononces. »
« Lui regardait toujours la voûte. Il eut le sentiment qu'il avait découvert un secret dont la présence dans une conscience humaine, et non plus seulement à la surface muette des pierres, retentissait comme un scandale qui rouvrait des hostilités inhumaines et hors d'âge entre des puissances monstrueuses. »
« - Et vous êtes le héros du bien ?
- Non. Présenter les choses ainsi ne pourrait que faire sourire. Je dirais plutôt qu'il est l'homme du projet et moi celui du sacrifice, ou encore qu'il est le profanateur et moi le magicien. L'existence de chacun borne celle de l'autre et nos entreprises se contrecarrent sans qu'aucun de nous puisse prétendre en dresser l'exact bilan. »
Et la terrible phrase finale : « Les désastres qui s'ensuivirent appartiennent à l'histoire officielle de Terrèbre. On ne saurait en donner le détail, si vaste est un pays ravagé. »
La suite dans « Les Barbares » et dans « Les voyages du Fils » !
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"Le Veilleur du Jour" continue "Le cycle des contrées" après "Les Jardins statuaires" ; on nous avait évoqué la cité décadente de Terrèbre, cette fois on plonge en plein dedans. Nous retrouvons la démarche du premier tome consistant à dresser un roman d'attente, ce que ne refera pas la saga par la suite. Et autant être franc tout de suite, c'est tant mieux. le pari était effectivement risqué : on connaît l'influence de Julien Gracq sur Jacques Abeille, cet intérêt pour l'errance dans des lieux sombres voire lugubres à grands renforts de dialogues méditatifs, alors comment appliquer ces codes encore plus que le roman précédent pour cette fois un pavé faisant deux fois "Le Rivage des Syrtes" ? Sans surprise, on se retrouve avec un livre particulièrement
L
E
N
T.
"Le Veilleur du Jour" n'est pas une énorme déception pour autant : on y suit Barthélémy Lécriveur, vagabond venu trouver de l'embauche à Terrèbre, qui se retrouve employé à monter la garde devant un cimetière souterrain où, affirme-t-on, un grand conquérant se rendra un jour. L'univers s'affirme, et on découvre que l'empire terrébrin se rapproche bien moins du Moyen Âge que d'un XIXe siècle sans la Révolution industrielle. On s'amuse de la petite vie minable de l'inspecteur Molavoine, on s'attache à l'universitaire Destrefonds, les scènes érotiques sont décrites avec poésie. Les descriptions dressent peu à peu une cité immense et labyrinthique, avec un monde du dessous qui ne l'est pas moins ; enfin, les révoltes étudiantes vers la fin dressent par analogie un constat pessimiste de la société post-68.
Pourtant, très vite, le manque de rythme commence à se faire sentir : de longues visites sans évènement marquant ont lieu, augurant quelques éléments de l'intrigue ne devenant importants que bien après coup, et les personnages se perdent en longs dialogues alambiqués. Une histoire d'amour se noue bizarrement suite à une idée de prédestination, puis s'effiloche, une autre commence et la première passe à la trappe durant de longues centaines de pages. Où sont les grands atouts du premier tome, l'exploration ethnologique et le sense of wonder inventif ? On passe à une littérature blanche n'ayant presque plus aucun lien avec la fantasy, et à peu près tout ce que je fuis dedans : des histoires au plaisir purement intellectuel, ne laissant de place au coeur ou à l'émerveillement que pour amorcer de longues divagations sur la condition humaine.
Alors quand j'entends la team « C'est-plus-que-de-la-SF » affirmer que ce tome-ci est plus épique, je pouffe joyeusement sous ma cape de critique sanguinaire : un roman quasiment sans la moindre effusion de sang, on est bien loin des batailles homériques du Seigneur des Anneaux. On pourra me rétorquer qu'il y a de nombreuses références à la littérature et à l'ésotérisme, mais ne les ayant pas plus que pour Julien Gracq, ce roman ne comporte finalement pour moi qu'un intérêt mineur. J'ai essayé de m'accrocher, mais rien à faire : en matière de contemplatif, autant les films et les musiques m'attirent, autant les textes n'ont jamais marché sur moi. Mais au-delà de la dimension subjective, ce roman n'est que peu représentatif de la fantasy, même française ; je ne peux le conseiller qu'à ceux parmi vous qui sont fans de littérature blanche, n'ont qu'une vague idée de l'Imaginaire, et ne tiennent pas spécialement à creuser le sujet davantage.

Un mot sur la parution

Jacques Abeille a la poisse auprès des éditeurs, ça, on le savait déjà ; ses deux premiers tomes du Cycle des contrées sont d'abord parus chez Flammarion, avant que toute la saga ne migre vers les confidentielles éditions Gingko — sur lesquelles j'ai eu le malheur de tomber : illustrations et couverture médiocres, numérotation des pages contre-instinctive (à gauche quand c'est à droite et à droite quand c'est à gauche) alors que celle du Tripode avait beau ne pas être habituelle, elle possédait sa propre logique, bref ça ne vaut pas tripette pour 25€ (le tout pour 600 pages, à part dans ses éditions luxueuses, je ne suis même pas sûr que Bragelonne nous ait déjà fait le coup). J'ai bien entendu préféré vous montrer la couverture du Tripode (sans doute la plus belle de François Schuitten !), cette autre petite maison qui, elle, décidément ne démérite pas.
Et c'est sans compter le parcours bordélique des autres tomes de la série : en 1991 paraît La clé des ombres (non numéroté), en 1993 Les carnets de l'explorateur perdu (non numéroté), en 1999 et 2003 respectivement les nouvelles Louvanne et L'Écriture du Désert chez Deleatur, en 2008 seulement le tome 3, Les voyages du fils, paru en même temps que le suivant et donc considéré par certains comme le tome 4, que l'on considère habituellement comme étant Les chroniques scandaleuses de Térrèbre (donc numéroté… mais publié sous un nom différent), en 2010 le roman illustré Les Mers perdues (non numéroté), et les tomes 5 et 6, Les Barbares et La Barbarie, paraissent en 2011 chez Attila avant d'être repris par Folio SF en un volume unique, Un homme plein de misère ; enfin sortiront en 2016 La grande danse de la réconciliation, une nouvelle illustrée, et en 2020 La vie de l'explorateur perdu, sorte d'épitaphe à la saga (tous deux non numérotés).
C'est donc dans une logique chronologique que je continuerai la saga par La clé des ombres. Mais pas sûr que j'irais plus loin ! Enfin bon, si ça intéresse votre culture…
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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Un homme s'approche d'une ville, Terrèbre, capitale immense d'un empire, dans le but de s'embarquer pour les îles lointaines. D'îles il n'en verra pas, mais plongera au coeur de l'immense cité dans laquelle se déploie peu à peu la médiocrité de la vie moderne dans l'ombre d'une pyramide mystérieuse laissée en héritage par un peuple oublié.

Le roman est le second de ce que l'on désigne habituellement comme « le Cycle des contrées » de Jacques Abeille. Indépendant des Jardins statuaires, se situant, dans la chronologie de l'univers, en parallèle, il explore la capitale de l'empire de Terrèbre, qui constitue une véritable figure centrale du texte.
Le désenchantement d'un empire qui se tourne vers l'industrialisation et l'anonymat de la vie au sein d'un État moderne est bouleversé par le poids d'un passé lointain mais aussi par des luttes de pouvoir internes et l'arrivée, réelle ou fantasmée, de hordes de cavaliers barbares.

Il s'agit d'un récit mêlant grande histoire d'amour, complot politique et constructions symboliques hermétiques. Barthélémy Lécriveur, le protagoniste du roman, se voit confier la garde d'un étrange bâtiment à l'organisation labyrinthique, orné de symboles mystérieux, dont il pressentira peu à peu qu'il est issu d'un passé dont la mémoire a depuis longtemps été occultée.
La prose d'Abeille, déjà ample dans le premier roman du cycle, se fait ici aussi labyrinthique que le récit. Disons-le : il s'agit sans doute du texte le plus difficile d'accès de l'auteur. Pourtant quelle récompense pour ceux qui accepteront de s'égarer dans ses phrases! Véritable coeur symbolique de tout le cycle romanesque des Contrées, il en est une étape indispensable, même s'il est vrai que les lecteurs pressés ou rebutés par cette prose exigeante pourront passer des Jardins statuaires au roman les Barbares sans trop de dommages en apparence.


« Le coeur de la ville est-il au centre, sous toutes les constructions que les hommes imaginent, sous celles même qui n'existent pas? Ou bien, s'il y en eut jamais, n'y a-t-il plus de coeur? »
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critiques presse (1)
Chro
30 juin 2015
Il est difficile (...) de ne pas céder au pouvoir d’ensorcellement de cette prose altière et de cet univers complet, qui accomplit la tâche magique des romanciers : inventer d’autres mondes.
Lire la critique sur le site : Chro
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
"Vous ne lisez plus ?" demanda la marchande en le scrutant.
Il sursauta comme si elle l'avait pris en défaut.
"Ne craignez point, poursuivit-elle, que je prenne ombrage de votre rêverie. Il n'y a pas de meilleurs lecteurs que les rêveurs.
- Ils sont inattentifs, pourtant.
- Que non point ; mon métier m'a accoutumée à les reconnaître ; eux seuls savent faire fleurir comme il convient les virtualités de l'écrit. Ce qui est écrit à besoin d'être déplié et c'est tout un art que de donner leurs aises aux mots ; aux lieu de faire effet, il faut s'abandonner, vous comprenez ?
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Tout ce que je puis faire revient donc à te donner une représentation de ce que je suis et à t'en laissé penser ce que bon te semblera. Cela seul peut te faire saisir pourquoi mes semblables et moi ne pouvons être ni des partisans de l'ordre, que tu te représente comme le souverain bien, ni des fauteurs de troubles.
_C'est pourtant bien ainsi que tour à tour apparaissent les professeurs, ne put se retenir de remarquer Lonvois.
_N'en jugeons pas d'après les extrêmes, répondit Destrefonds. Ceux qui n'ont pas la force de soutenir une certaine tension et s'égarent par faiblesse ne peuvent être considérés comme exemplaires. Toutefois, en considérant les cas extrêmes qui ne sont guère que des échecs, peut-être parviendrait-on à mieux comprendre, à cerner de plus près l'étrangeté de cette fonction. Des professeurs qui ne montreraient que le ridicule des principes sur lesquels se fonde une société - ceux qu'il te plait de nommer des fauteurs de troubles et qui n'en sont tout au plus que les modestes thuriféraires, car on ne les voit guère surgir en période de crise - sont condamnés d'eux-même au silence puisque le contenu de leurs propos, sauf à être de mauvaise foi - ce qui est souvent la cas - ruine l'autorité de leur parole. Ceux qui règlent leur conduite sur un conformisme utilitaire - et qui sont malheureusement bien plus nombreux que les précédents - finalement n'enseignent rien et se contentent de surenchérir l'obligation faite déjà de toutes part à la jeunesse d'imiter et de répéter les rôles et les conduites établis quand elle entre dans le monde.
_Le bon professeur se tiendrait dans le juste milieu", observa Lonvois non sans ironie.
Destrefond à son tour sourit.
"Ce serait là un bien plat aboutissement pour une si longue discussion. Mais en vérité, comment pourrait on parler de juste milieu à propos d'une vie qui par son expérience de la solitude confine à la folie? La banalité, la médiocrité, la disparition des originaux, c'est le plus grave danger qui puisse guetter la profession enseignante, car cette fonction se définirait plutôt par une sorte de paradoxe social. Toute société se caractérise par un certain nombre de luxes, de dépenses intempestives, d'excès dont l'utilité immédiate est fort douteuse et qui contredisent ouvertement les règles pourtant inflexibles de son fonctionnement. C'est sans doute à ce registre qu'appartient la fonction pédagogique. Dans le meilleur des cas, le corps enseignant constitue un autre monde en celui-ci. Au sortir de l'influence de ses maîtres, la jeunesse n'est aucunement conforme au monde comme il va, elle n'est pas non plus en opposition irréconciliable, en sécession; elle dispose seulement d'une réserve d'étrangeté, d'une distance qui est l'espace de son souffle. Ainsi puis-je en juger d'après ma discipline, mais peut-être est-ce trop d'honneur à lui faire. Rien n'interdit de penser qu'elle est le site où se laisse pressentir avec le plus d'acuité - parce que c'est de la culture et de la vie qu'on débat en ses parages - le brutal resserrement de la société auquel tu présides et qui, étrangement, fait que ce monde, d'être policier à l'excès, revient à quelque monstrueux état de nature."
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Sur toute la contrée, depuis les rebords amers du plateau dont les flancs se craquelaient de combes où les torrents menaient sans relâche leur tapage jusqu'aux mornes pentes des Hautes-Brandes dont les sentes s'engoncaient sous des arceaux d'aubépines tassées comme des fous rires et, entre les deux, bien sûr, sous les denses nuées de la forêt qui étirait ses membres gourds au vent soudain tiédi, sur toute la contrée, en tout lieu et tout asile et même sur l'onde sans remords, cette odeur verte comme une femme. Et, quand le vent se suspendait, le goût sauvage du silence. Jour après jour, de chemin en chemin selon des pentes capricieuses qu'il ne choisissait jamais, il devait arracher douloureusement chacun de ses pas à ces enchantements, comme si, sans le savoir, il eût poussé devant lui une naissance sourde. Alors il souffrait peut-être, mais les charmes se dispersèrent dans les collines et, lorsqu'il eut atteint la grande plaine des vignes, halluciné dans l'incessant éventail de leurs rangs, il connut l'angoisse de ne plus rien sentir qui méritât d'être aimé et n'aspira plus qu'à mettre enfin le pied sur la route qui entrait dans Terrèbre. (p. 15)
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Ils retrouvèrent d'abord la première avenue qu'ils avaient empruntée, puis, l'ayant parcourue jusqu'au bout, s'engagèrent dans une autre, [...] large et lumineuse celle-ci, qui leur ouvrait la ville sur une grande profondeur pour se disperser en pattes d'oie contre la butte. On eût dit que le soleil voulait épouser la ville jusque dans c'est plus intimes recels, et elle s'abandonnait à ses lents assauts, vautrée dans la chaleur, assoupie de bien-être et les membres disjoints.

Ville de Terrèbre (allégorie)

Page 119 (édition LE TRIPODE)
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"Pardonnez-moi, depuis que j'ai appris cette mort, je sens de toutes part monter en ce monde des menaces contradictoires. Au point où j'en suis, je n'ai plus rien à perdre; mon dernier désir sera que vous échappiez à tout. Il faut vivre en faveur de la vie" ajouta-t-il d'une manière égarée avant que le silence ne tombât entre eux.
[...]
"Vous savez, Monsieur, je ne comprends guère ce qui se passe, mais je m'étonne de vous voir imaginer que l'on puisse et que l'on doive accueillir la mort de ce tout jeune homme avec tranquillité - ou me faut-il comprendre que vous plaidez maintenant pour une résignation désespérée ? - alors que vous semblez vous-même tout bouleversé.
_Éprouvez toute l'indignation qui vous agite le cœur, ce qui n'est certes pas de la tranquillité, encore moins de la résignation, mais ne donnez à vos sentiments, quelle qu'en soit la noblesse, aucune dimension démonstrative et surtout ne les laissez pas paraître au grand jour. A partir de cette épreuve, sachez avec quoi vous ne pactisez pas, ne pactisez jamais, mais n'entrez en lutte avec rien, car c'est la lutte, l'apparence de désordre qui sont souhaitées pour que puisse s'établir sous le jour le plus légitime un régime de contrainte et de terreur policière. La question est de parvenir à ne pas trahir des idéaux qui nous trahissent. Nous sommes engagés dans un paradoxe que seule une abstention radicale peut nous aider à dénouer.
_Vous craignez une insurrection ?
_Je crains pour les insurgés. Tout me porte à croire qu'une telle explosion aura lieu et que ses suites seront catastrophiques.
_Que feront-nous ?
_Notre travail, dans la plus triste banalité, quitte à en réserver les fruits pour des temps meilleurs."
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Videos de Jacques Abeille (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jacques Abeille
Maison de la poésie (10 nov 2017) - Texte et Lecture de Jean-Philippe Domecq, extrait du Dictionnaire des mots en trop (dirigé par Belinda Cannone et Christian Doumet, éd. Thierry Marchaisse, parution novembre 2017).
Le Dictionnaire des mots en trop :
Comment ? s?entend-on déjà reprocher, des mots en trop ? Mais les mots, on en manquerait plutôt.
Et pourtant. Ame, artiste, coach, communauté? ils sont légion ceux qui éveillent notre résistance intime à tout ce qu?ils charrient d?affects, d?idéologie, de pseudo-concepts ? notre résistance mais pas celle du voisin ! ? Quarante-quatre écrivains explorent ici les raisons pour lesquelles ils renâclent devant certains mots, et leurs réflexions critiques témoignent autant d?un état de la langue que des poétiques et des enjeux de notre temps.
Une expérience littéraire qui vient compléter, en l?inversant, celle du Dictionnaire des mots manquants.
Auteurs : Malek Abbou, Jacques Abeille, Mohamed Aïssaoui, Jacques Ancet, Marie-Louise Audiberti, Michèle Audin, Olivier Barbarant, Marcel Bénabou, Jean Blot, Jean-Claude Bologne, François Bordes, Lucile Bordes, Mathieu Brosseau, Belinda Cannone, Béatrice Commengé, Thibault Ulysse Comte, Seyhmus Dagtekin, Louis-Philippe Dalembert, Remi David, Erwan Desplanques, Jean-Philippe Domecq, Christian Doumet, Renaud Ego, Eric Faye, Caryl Férey, Michaël Ferrier, Philippe Garnier, Simonetta Greggio, Cécile Guilbert, Hubert Haddad, Isabelle Jarry, Cécile Ladjali, , Marie-Hélène Lafon, Sylvie Lainé, Frank Lanot, Fabrice Lardreau, Mathieu Larnaudie, Linda Lê, Guy le Gaufey, Jérôme Meizoz, Christine Montalbetti, Christophe Pradeau, Marlène Soreda, Abdourahman A. Waberi.
http://www.editions-marchaisse.fr/catalogue-dictionnaire-des-mots-en-trop
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