Décidément, Frankenstein, le créateur comme sa créature, n'ont pas fini de faire couler d'encre, voire d'impressionner à n'en pas douter pas mal de rouleaux de pellicules et ce près de deux cents ans après leur naissance sous la plume de l'étonnante
Mary Shelley...
Mais il faut du talent, et finalement pas mal de culot pour s'y risquer, un oeil nouveau aussi - qu'a-t-on à apprendre de plus, au final qui n'ait déjà été dit ou illustré cent fois ?
Et la vérité est que
Peter Ackroyd s'en sort plutôt bien, très bien même, nous entrainant littéralement dans son récit, dès la première page tournée, comme si de rien n'était, comme si c'était bien la première fois que nous entrevoyions dans le miroir ou la fenêtre obscurcie, le visage déformée de la créature...
D'emblée il entrouvre pour nous les carnets de ce fameux Frankenstein, le créateur et non pas la créature, Victor lui-même, dont la destinée fut finalement effacée dans l'imaginaire populaire par LE monstre issu de ses mains, de sa science, de son imagination et de son idéal...
C'est par la bouche de Victor que nous entrons dans dans cette histoire, à priori fort connue donc et qui pourtant semble presque vierge tant le suspens y demeure entier... Point de
Mary Shelley comme relai ou interprète , mais la confession quasi directe d'un génie ou d'un fou de l'expérimentation, un démiurge, un Prométhée d'un nouveau type...
Nous sommes au tout début du XIXéme siècle, Victor quitte sa Suisse natale pour l'Angleterre où deux rencontres vont à tout jamais sceller son destin. Celle d'un pays et plus précisément d'une ville, monstrueuse, grouillantes, quasi abyssale : Londres, où le crime et la pauvreté se disputent à l'envie, où l'enfer côtoie le paradis à chaque détour de ruelle.... Londres, un monstre déjà qui lui révèle peut-être les véritables dessous de la nature humaine :
"Je pense sincèrement, que cette percée dans le ventre de Londres m'ôta les derniers vestiges de foi chrétienne. L'homme n'était pas la créature de Dieu.Je le pensais alors. Aujourd'hui, je le sais."
Et puis il y aura Bysshe, autrement dit Shelley, rencontré à Oxford avant que ce dernier ne soit évincé du collège, Bysshe et son extrême originalité qui le frappe dès le premier regard, lui le provincial un peu emprunté, Bysshe et son idéal politique, ses rêves de liberté et de justice.
La rencontre fracassante de ces deux entités, leur frottement donnera l'étincelle d'où jaillira finalement le feu créateur. Et s'il était en son pouvoir de trouver l'introuvable, d'atteindre l'inatteignable, pour le meilleur bien sûr ? ... Bannir à tout jamais la souffrance, peut-être pas du monde, mais de l'homme. Créer une nouvelle race d'hommes, ni plus ni moins...
"Je me concentrai sur la méthode de fabrication d'un être vivant, doué de sensations, qui ne serait pas encombré par les notions de classe, de société ou de confession ; ce serait l'enfant fétiche de Bysshe, pour ainsi dire, libre de toutes les mesquines tyrannies du préjugé qui entachent la société humaine."
Les récentes découvertes sur l'électricité, les théories de Galvani, les expériences de Mesmer et de Faraday, tout cela prend sens et corps, Victor franchit le pas, et sans le dire à son ami, se lance après des mois d'études dans l'expérimentation non plus seulement animale, mais humaine.
Sa visite inopinée à La maison des morts à Paris, sorte de morgue où sont entreposés des corps non identifiés afin qu'ils puissent être éventuellement reconnus par des proches, l'étrange vision qu'il eut alors devant la dépouille d'un vieil homme, une larme figée sur sa joue encore mouillée, puis la mort de sa soeur adorée quelques semaines plus tard, tout cela et bien plus encore propulse le jeune homme dans une autre réalité, bien loin de la morale et des valeurs ordinaires. Si Dieu n'existe pas, alors il faut le remplacer. Vision folle ou avant-gardiste ???
Plus rien dès lors ne freinera l'étrange passion qui le meut littéralement, le pousse à hanter les bars des "résurrectionnistes" ou "hommes du jugement dernier" afin de se pourvoir en cadavres.
Au fur et à mesure que ses expériences aboutissent plus ou moins victorieuses mais toujours porteuses de sens, les questions commencent à poindre, inquiètes et aussi fragiles qu'une flamme de chandelle vite mouchée.
"D'ailleurs j'avais peur de moi-même, pour ainsi dire, peur de ce que je pourrais accomplir, peur de ce dont je pourrais être témoin. Quels autre secrets allaient m'être révélés au fil de mes expériences ?"
Quels autres secrets, oui en effet... Vous en connaissez déjà quelques-uns, vous imaginez déjà à la lueur du récit de
Mary Shelley ce qu'il adviendra peu après, mais l'essentiel est encore ailleurs, dans une réalité toute autre, dans l'entre-deux, entre la vie et la mort, entre lucidité et clairvoyance. ...
La fin du roman de
Peter Ackroyd tombe comme un couperet, vous obligeant par là-même à revoir définitivement votre copie...
Enlevé, saisissant, pittoresque, "
Les carnets de Victor Frankenstein" n'en finiront décidément pas de vous hanter !
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