Après avoir livré des romans à la veine autobiographique,
Vassilis Alexakis revient aux nouvelles dont quelques unes plairont aux amateurs de 'gore', mais risquent de heurter les âmes sensibles. Fidèle à ses origines , l'auteur franco grec campe ses protagonistes tantôt en France: en passionné de football , il ne manque pas une finale au Parc des Princes tantôt en Grèce avec son komboloï, ses kiosques à journaux , ses îles, la place Colonaki,à Athènes, déplorant les grèves et les faillites.
Dès la première nouvelle:
Papa, éponyme au titre du recueil, le narrateur sait piquer notre curiosité. Que va-t-il faire de ce gosse égaré, fatigué, affamé, qui le prend pour son père? Que cachent ces mots « pauvre Jean! »? la souffrance, le désarroi d'une épouse ? Pourquoi le tutoie-t-elle? Se jouent-ils la comédie?La photo, les clés mettent fin à ce mystère. En filigrane, on sent rôder Miss Alzheimer et la vieillesse. La fille de Jannina qui a retrouvé ses traces serait-elle sa fille?
Les femmes fascinent le narrateur, attisent son désir et inspirent sa plume érotique et sensuelle. Leurs corps, la peau blanche ou « un petit bout de tissu noir » le font chavirer et fantasmer. Ne rêve-t-il pas de laver les pieds de Zoë ou de « baiser la face intérieure de ses cuisses », son regard étant toujours aimanté par de jeunes et charmantes créatures. « A croire que les yeux ne vieillissent pas », en déduit-il! N'est-t-il pas en proie au doute quant à l'amour de Despina? Il drape de tendresse sa Belle Hélène dans une lettre à l'absente, implorant son pardon, tant il est rongé de remords .
Dans le taxidermiste,une des plus truculentes nouvelles, riche en rebondissements, l'auteur revisite le mythique catalogue Manufrance. Au fil des pages, au gré de son imagination fertile , le narrateur exhume des êtres statiques, les transplante dans son récit d'action, leur donne vie, en dispose à sa guise, leur invente des parentés, des idylles, les équipe
D D objets hétéroclites, dont des pièges broyeurs. Il y distille humour , jalousie et pulsions vengeresses , machiavéliques. Quel plaisir pour le lecteur d' être plongé dans les coulisses de la création!d'autant qu'il forge parfois un destin extraordinaire à ses personnages. Si certains font don de leurs organes, lui se verrait bien tronçonné, dépecé , servi en mezzés avec un verre d'ouzo!et finir dans la bouche d'une fille ou dans sa soupe « pour lui faire de l'oeil », n'ayant pas déposé les armes de la séduction. Pour pimenter le tout , l'auteur nous rappelle qu'en 1977, la peine de mort n'était pas abolie. La camarde est en embuscade. le narrateur tente de l'apprivoiser: « en n'attachant pas plus d'importance qu'au point final d'une phrase »mais s'interroge sur l'au-delà. L'auteur excelle à modifier les tonalités, sait ménager le suspense,nous tenir en haleine jusqu'au dénouement cruellement comique, absurde, déjanté, la justice divine n'ayant pas dit son dernier mot !Il s'éclipse à bord d'une montgolfière, régnant en maître sur l'océan des mots, évoluant en totale liberté, invitant le lecteur à prendre aussi du recul.
Vassilis Alexakis signe des nouvelles qui flirtent avec le roman noir,offrant quelques scènes sordides, insoutenables,écoeurantes, où s'échouent des êtres au bout de leur destin. Toutefois,
rien à craindre , le recueil bénéficie des bons auspices de cet oeil de verre bleu vif, le kalo mati.
Un recueil étrange , réjouissant , aux détails terrifiants à faire frissonner comme un thriller.