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Svetlana Alexievitch, Prix Nobel de Littérature en 2015, a donné la parole à une quantité de personnes de tous bords pour cette supplication, La supplication, Tchernobyl, chronique du monde après l'apocalypse.

Elle aurait pu écrire une fiction, romancer ce drame survenu le 26 avril 1986, en Ukraine, tout près de la Biélorussie, au temps ancien de l'Union Soviétique, l'Urss. Elle qui est originaire de cette région, aurait pu aussi effectuer un reportage sur les lieux mais elle a choisi de laisser parler les gens, de recueillir une quantité impressionnante de témoignages dont se dégage une immense douleur, une formidable incompréhension devant cette catastrophe nucléaire mettant à bas la foi de l'homme dans sa maîtrise de la technique, de la physique, de cette énergie que beaucoup ont considéré, considèrent encore comme miraculeuse, produisant tant d'énergie pour si peu de combustible.
Toutes les précautions étaient prises, les sécurités assurées, les ingénieurs préparés et tout a foiré en quelques minutes causant une catastrophe d'autant plus incompréhensible et dangereuse que ses conséquences sont invisibles et pourtant bien réelles, loin du réacteur en fusion, arrivant même jusqu'en France.
En lisant ce livre si poignant, si bouleversant, j'ai retrouvé beaucoup d'éléments mis en scène dans la série Chernobyl. Craig Manzin, le réalisateur, s'en est inspiré pour le personnage de Lyudmilla Ignatenko, l'épouse du pompier Vasily Ignatenko parti combattre l'incendie alors qu'il était de repos et qui périt, comme beaucoup d'autres, dans d'atroces souffrances, jamais abandonné par son épouse.
Beaucoup de livres ont été écrits à ce sujet, d'autres le seront et il le faut. Des films ont été consacrés à cela, une série évoquée déjà mais il fallait donner la parole à celles et à ceux qui ont subi, subissent encore des dégâts matériels et surtout physiques et psychologiques irréparables.
Le mot qui ressort de tous ces témoignages, c'est souffrance. Qu'ils soient travailleurs de la centrale, enfants, anciens fonctionnaires du parti, médecins, soldats, émigrants, croyants, athées, paysans ou intellectuels, la catastrophe nucléaire a détruit des vies, brisés de simples bonheurs familiaux, pollué une terre immense, réduit la ville de Pripiat, construite pour abriter les employés de la centrale, à une ville fantôme, pour une éternité.
Il fallait faire ce travail et Svetlana Alexievitch l'a accompli remarquablement pendant trois années entières. Cela donne une suite de monologues et un choeur d'enfants, chacun avec un titre et une signature précise. Si elle laisse la conclusion à Valentina Timofeïevna Panassevitch, épouse d'un liquidateur, c'est pour mieux montrer la douleur, la souffrance intolérable d'une femme qui a accompagné son mari jusqu'au bout alors que tout le monde la suppliait de l'abandonner puisqu'il n'y avait plus rien à faire. Quel amour, profond, sincère, admirable !
Alors, un court épilogue, une annonce d'agence de voyages de Kiev promet : « … pour de l'argent. Visitez La Mecque du nucléaire. » Ces visites ont été montrées à l'écran. Alexandra Koszelik a très bien raconté cela dans À crier dans les ruines mais rien ne remplacera jamais tous ces témoignages recueillis par Svetlana Alexievitch, témoignages débordant d'une douleur incroyable dans un pays immense où la centralisation bureaucratique permettait tant d'erreurs et de mauvaises décisions.

En terminant ces lignes, l'émotion me brise en pensant à toutes ces vies sacrifiées ou saccagées et à tous ces gens qui souffrent encore…

Merci à Élodie de m'avoir permis de lire ce livre.
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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La lecture de cette supplication est singulière. Il faut y être amené par des voi(x)es détournées. J'aurai beau vous expliquer pourquoi je pense que sa lecture est nécessaire, qu'il vous fau(t)drait le lire au risque de vous voir ravir la sérénité de vos prochaines nuits, s'il n'y a rien au fond de vous même qui vous y pousse, si vous n'avez pas envie de franchir ce pas, vous ne le ferez pas.

Ce livre est un concentré de douleur et d'amour, d'humanité et de monstruosité, de résignation et de colère, d'héroïsme et de lâcheté que l'on confond à chaque page avec l'abnégation et la préservation de soi (plus que l'égoïsme)... Quand on me dit que l'on n'a pas envie de lire « ça », actuellement, qu'on sait ce qui s'est passé « là-bas » et qu'on n'a pas besoin de penser à « ça », j'ai envie de répondre : La parole n'est pas donnée ici à « ce qui est arrivé » mais à « ceux à qui c'est arrivé ». On n'est pas dans un cours d'histoire, dans une tentative de rationalisation ou de compréhension, on est dans le vécu. Avec ses silences et ses non-dits, ses pleurs et ses cris. Et sa dignité, aussi :

«Je me tais. Personne ne trouve les mots qui me feraient répondre. Dans ma langue à moi... Personne ne comprend d'où je suis revenu... Et il m'est impossible de le raconter ! »

«Toute ma vie, je serai reconnaissante à Angelina Vassilievna Gouskova. Toute ma vie ! »

« (Silence.) Je peux en parler, maintenant... Avant, je ne le pouvais pas... Pendant dix ans, je me suis tue... Dix ans. (Silence.) »
  
« Si les autres se taisent, moi, je vais parler. »

« L'Afghanistan, où j'ai passé deux ans, et Tchernobyl ont été les deux moments de ma vie où j'ai vécu le plus intensément. »

« Lorsque je suis rentré d'Afghanistan, je savais que j'allais vivre. Mais Tchernobyl, c'était le contraire : cela ne tuerait qu'après notre départ... »

« Là-bas, mon âme était morte... Comment donner naissance avec une âme morte ? »

« Écrivez un livre honnête... »
Je pourrais continuer encore...

Une des questions que posent certains des témoins à qui Svetlana Alexievitch a donné la parole est : Pourquoi y a t-il si peu d'écrits sur Tchernobyl ? Pourquoi n'écrivons-nous pas sur Tchernobyl ? Il y a de la littérature sur les camps, la guerre à foison mais si peu sur cette tragédie (?), catastrophe (?) - quel devrait être le mot « juste » et est-ce qu'il y en a un ? - ?
Est-ce encore trop récent ? Tels, au sortir des camps de concentration, les déportés à qui la société n'a pas su laisser d'espace de paroles. Est-il trop tôt pour pouvoir le penser ? Mais quand « penser » Tchernobyl : dans des milliers d'années, à la date de ce qu'on évalue comme la fin de la « nocivité » des radiations ?
Est-ce la continuité d'un processus naturel de l'esprit humain : la nécessité de vivre qui l'emporte ? continuer à vivre « comme si » rien ne s'était passé, pour préserver un système politique, un mode d'exploitation et de profit ? Comme un refoulement à l'échelle planétaire, hors de la conscience de l'humanité... Tous les verrous bloqués à triple tour. En face : Fukushima affleure sans rien y changer. Ou si peu...

Il faut souligner que ce livre est toujours interdit en Biélorussie. Pourquoi est-ce que ces témoignages de simples gens devenus des victimes honteuses réduites au silence et les paroles de toutes celles qui suivront sont-elles jugées inaudibles, privées du droit de citer sur les terres biélorusses ? Pourquoi cette réalité ne peut-elle exister dans ce monde d'après ?

Est-ce compatible et cohérent ? Pourquoi n'arrivons-nous pas à Penser Tchernobyl autrement que comme une exception qui ne se renouvèlera pas dans l'univers de l'exploitation du nucléaire, civil et militaire ? Et quand la bête immonde se réveille que faire avec Fukushima ? Rien ! On laisse couler. Et qui vivra, verra !

Transparent, Incolore, Inodore, volatile et libre... : « Nous sommes l'air, pas la terre » (Merab Mamardachvili, en épigraphe). Et Tchernobyl poursuit sa course folle... plus de 200 m2 d'interstices et de fissures épars dans le bouclier qui tombe en ruines et toute cette radioactivité qui continue à s'échapper dans l'air. L'effondrement, c'est pour quand ?

Je me suis souvent demandée après avoir achevé la lecture de ce livre, quelle était la raison du choix de ce titre : La supplication.
Est-ce que toutes ces voix des témoins, livrées, confiées, déposées dans la peur, la douleur, l'incrédulité ou la colère, sont une sorte de supplique, de prière lancée à la face du monde ou à cette seule femme, Svetlana Alexievitch, qui aura su les entendre, faire silence pour laisser toutes ces paroles émerger et les diffuser ?
Est-ce pour nous, les ignorants, les auto-proclamés épargnés au sursis précaire, qui vivons nos vies dans l'inconscience de cette tragédie ?
Est-ce pour ceux qui savaient, qui auraient dû « écouter », en 1986 et qui ont bâillonner ces bouches et obstruer l'écoute ?
Est-ce une supplication contre l'oubli ? Ou plutôt, ce satané refoulement d'une conscience auto-protectrice : conscience collective, conscience individuelle... celle de la Société, de l'Histoire et de l'Humanité.

Ce livre est construit comme une tragédie grecque : un prologue, des choeurs et des acteurs, bien malgré eux, qui avancent pour certains masqués, et cette supplication qui tient lieu de lamentation. Il y est question de mythe (de la science et du nucléaire), de dépassement de soi (lisez les témoignages) et de destin (ce vers quoi on va, mais qu'on ne saurait voir). Et cette catharsis qui libère les paroles !
« Dans la tragédie, en effet, tout est là, sous les yeux, réel, proche, immédiat. On y croit. On a peur. […] Parce qu'elle montrait au lieu de raconter, et par les conditions mêmes dans lesquelles elle montrait » (c'est moi qui rajoute cette définition si juste de la tragédie, faîte par Jacqueline de Romilly).

C'est notre humanité que nous montre Svetlana Alexievitch et c'est de là, également, qu'elle nous écrit... en espérant un sursaut, avant la mise à mort.
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Un recueil de témoignages des suppliciés de Tchernobyl. Sapeurs-pompiers, militaires, réquisitionnés, volontaires pour quelques centaines de roubles, pilotes d'hélicoptères, liquidateurs, infirmières, épouses, ou simples paysans des environs de la centrale nucléaire qui cultivaient leurs concombres…
Svetlana Alexievitch donne la parole aux Tchernobyliens, devenus au fil des ans des curiosités ambulantes, des repoussoirs, des objets radioactifs non identifiés.
C'est poignant, c'est insupportable, c'est révoltant, c'est terrifiant, c'est parfois drôle, c'est toujours digne…
Un accident nucléaire majeur survenu dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, un drame écologique sans précédent dans l'histoire de l'humanité remis au niveau de l'Homme, du petit homme sans importance qui essaie de survivre, et de croire malgré tout en l'avenir…
On va combattre gaiement les radiations avec des pelles ; on se soigne avec de bonnes rasades de vodka ; à ce beau verger en fleurs, il manque son odeur ; un gosse est en train de perdre ses cheveux ; dans la forêt, les animaux sauvages sont d'une inquiétante lenteur ; dans les villes évacuées, les loups reviennent ; on croit aux mensonges d'état ou bien on fait semblant ; on entre dans l'inconnu, on côtoie la démence, on ne sait plus faire la différence entre le réel et l'irréel ; enfanter devient un péché ; puis on meurt à petit feu, caché des autres, au milieu d'insupportables souffrances…
Personne ne sait ce qu'est Tchernobyl. Il n'y a que des suppositions. Des pressentiments. Ce drame dépasse notre entendement, notre « temps humain ». Même trente années plus tard, nous ne savons toujours pas en parler, ni même en évaluer toutes les conséquences. Nous n'en sommes pas capables.
Allons-nous oublier Tchernobyl ?

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Un essai sur les suites de la catastrophe de Tchernobyl, un essai sur l'humain, sur ses sentiments et ses ressentiments.
Un essai coup de poing...
Il faut avouer que pour moi, et pour beaucoup de personnes, Tchernobyl est une catastrophe nucléaire arrivée en Russie en 1986 (j'avais 15 ans). Aujourd'hui, cela est un évènement historique sans vraiment de liens avec notre vie actuelle, à nous français, avec notre petite vie tranquille de consommateurs du XIXème siècle.
Je me souviens à l'époque des reportages d'informations à ce sujet, de ce nuage radioactif qui n'a, semble-t-il, pas passé la frontière française ! Ou si peu...!!!
Aujourd'hui, c'est de l'histoire ancienne. Lorsqu'on entend parler de cet événement, ce sont des chiffres qui ressortent. Des chiffres expliquant les gens déplacés, les chiffres expliquand ce qui a été fait à l'époque au niveau technique, quelques chiffres sur les morts et les malades, le dôme protecteur construit peu après et celui 20 ans plus tard.
Ici, l'auteur partage les témoignages d'hommes et de femmes, qu'ils soient paysans, professeurs, médecins, physiciens.. mais qui ont vécu au plus près cette catastrophe.
Ce qui en ressort est un méli-mélo de sentiments : la peur, l'incompréhension, la crédulité, le désespoir, le fatalisme... mais aussi la survie, la foi. Chaque témoignage rapproche cet accident à la guerre.
Il ne faut pas oublier que c'est arrivé en Biello-Russie, sous un système politique communiste. J'avoue ne pas trop m'y connaître en histoire politique. Ce que j'ai ressenti est qu'il y a eu beaucoup d'acceptations dans les décisions prises. Cette acceptation est due à la culture, à la politique, à l'histoire de ce pays. Ce qui ressort aussi, c'est le désir du retour à une vie normale, le retour à leur lieu de vie.
Dans ce livre, pas de jugements sur les évènements et les causes. C'est arrivé. Chacun tente de vivre ensuite...
Ce livre n'apporte pas de réponse. Cela reste une catastrophe écologique, environnementale et humaine qui perdurera sur des décennies.
Comment cela se passerait-il aujourd'hui ? Que ce soit en Russie ou dans un autre pays ? Y aurait-il autant de mensonge ? le mensonge est-il justifiable pour que le peuple ne panique pas ? Car finalement la panique ne résoudrait absolument rien. Quelle serait la solution ? Y-a-t-il seulement une solution ?
Au final, plus de questions m'assaillent maintenant que j'ai refermé ce livre. Et je pense sincèrement qu'il n'y a pas de bonnes réponses...
A lire, pour ne pas oublier que des milliers de vies humaines ont été bouleversées à tout jamais, et des générations à suivre qui seront tout autant bouleversées, ceci dans un oubli international...
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Deux jours. C'est ce qu'il m'a fallu pour lire ces 249 pages. Parce que ce n'est pas un livre qu'on dévore, il faut le temps de "digérer", de se remettre de l'uppercut qu'on reçoit, de phrase en phrase, de paragraphe en paragraphe.
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Svetlana Alexievitch a recueilli les témoignages des survivants de la catastrophe. Tout le monde connaît Tchernobyl, mais peu savent comment l'ont vécu et le vivent encore les habitants des zones contaminées.
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Et il serait illusoire de croire que c'est terminé.
Le quatrième réacteur, nom de code "Abri" conserve encore vingt tonnes de combustible nucléaire et nul ne sait ce qu'il advient de cette matière.
Le sarcophage, bâti à la hâte, a été monté à distance, à l'aide de robots et d'hélicoptères, d'où des fentes, dont la surface dépasse les 200 mètres carrés et des aérosols radioactifs continuent à s'en échapper.
Si ce sarcophage tombait en ruine, ce qu'il est impossible de prévoir puisque personne ne peut s'en approcher pour en déterminer l'état, s'il était détruit, les conséquences seraient encore plus horribles que celles de 1986.
****
En prologue, "Une voix solitaire", celle de l'épouse d'un pompier nous happe.
Le jeune couple réside au foyer de la caserne, avec trois autres familles.
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Le 26 avril 1986, à 1 h 23, le jeune pompier est appelé sur un incendie.à la centrale.
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De la lucarne de leur logement, sa femme voit la flamme, tout le ciel semblait luire, puis de la suie et une horrible chaleur.
Le bitume qui recouvrait le toit de la centrale brûlait et les pompiers marchaient dessus pour étouffer les flammes.
Avec leurs pieds, ils balançaient le graphite brûlant. Ils ne portaient pas leurs tenues en prélart. Personne ne les avait prévenus...
Quelques heures après, les familles étaient informées que les jeunes hommes étaient à l'hôpital...
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Si ma mémoire est bonne, ils étaient sept. Les tout premiers intervenants. Ils n'avaient qu'un peu plus de 20 ans.
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Et les témoignages se succèdent. L'auteure par elle-même, Piotr S., psychologue, des résidents sans autorisation, des pères, des mères, des enfants. Ceux qui sont partis, ceux qui sont restés. Mais aussi des soldats, des enseignants, des médecins, des scientifiques, des liquidateurs, .
Des chasseurs ont été envoyés pour tuer les animaux domestiques, chiens, chats...
Ils enterraient la terre dans la terre.
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Ce livre est un concentré de peur, de douleur, d'abnégation, de colère, mais aussi d'amour et de solidarité.
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Ce qui frappe également, c'est l'ncompréhension et le manque d'informations. Comment informer quand personne ne sait ce qui se passe ?
Le matériel de protection, tels les masques, était obsolète ou inadapté.
Ça m'a d'ailleurs rappelé quelque chose...
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Un livre à mettre entre toutes les mains. Je ne savais pas du tout comment rédiger ce retour, alors j'ai utilisé des bribes du livre.
D'autres retours beaucoup plus élaborés ont été écrits, n'hésitez pas à les parcourir.
Au passage, je remercie mon ami Meps qui m'a incitée à choisir ce livre avec son retour percutant.
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Certains comparent Tchernobyl à la dernière guerre mais « Tchernobyl, c'est une guerre par-dessus toutes les guerres ».

Tous supplient qu'on les laisse chez eux. Dans la maison qu'ils ont toujours connue avec leurs animaux familiers. Mais la milice vient pour les déloger. Alors ils se cachent dans la forêt. Ceux-là n'ont plus de pays, plus de patrie, l'Union soviétique n'existe plus. Mais ils continuent à vivre, plutôt à survivre.

Les habitants de la région contaminée par l'explosion de la centrale de Tchernobyl racontent et se racontent. Tout comme les liquidateurs, dosimétristes, miliciens, soldats qui sont allés après, par devoir, bravache ou sur ordre, construire un sarcophage, déplacer la population, décontaminer. Ils témoignent de l'ignorance dans laquelle le gouvernement les a laissés. de l'interdiction qui leur a été faite de parler de ce qu'ils avaient vu.

Ce sont des récits de Tchernobyl pendant et après. de maladie et de mort. Beaucoup sont bouleversants, tel celui de la jeune épouse d'un pompier de la première brigade d'intervention, qui enceinte est restée près de son mari, se cachant pour le soutenir dans sa terrible déchéance. Mais il est mort, comme tous ses camarades, mort au bout de quatorze jours.

« Le mal, au fond, n'est pas une chose en soi, mais la privation du bien, de même que les ténèbres ne sont que l'absence de lumière... »
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Ce livre m'a touchée. Tous ces témoignages convergent vers cette idée d'impuissance mais aussi d'inexpérience, de vérité cachée. Lorsque le 26 avril 1986, un accident se produit à la centrale de Tchernobyl, on envoie les pompiers, comme s'il s'agissait d'un simple incendie. Les pauvres hommes vont ainsi se confronter à la radioactivité, marcher sur ces particules vectrices de mort, respirer à plein poumon la nocivité incarnée. La population, laissée volontairement dans l'ignorance va avoir deux réactions : les courageux vont êtres volontaires pour aller "nettoyer" le sol. Les autres ne voudront pas, pour la plupart, quitter leur maison lorsqu'on évacuera. Car la pollution ne se voit pas, et c'est bien là le problème. Les gens ne comprennent pas pourquoi, d'un seul coup, ils ne peuvent plus boire le lait de leurs vaches, manger les pommes de terre de leur jardin ou les volailles de leur poulailler. Tout a l'air si beau, si sain...

De même, beaucoup de témoignages comparent cela à la guerre. Mais ici, elle est invisible et c'est ce qui les dérange. Dans un conflit, on connaît l'ennemi et on choisit de le combattre. Là, les informations arrivent par bribes. On sait, on sent qu'on va mourir... Mais pourquoi ?

J'avais déjà lu l'excellent livre de Cécilia Colombo, Pripyat, vert comme l'enfer. Celui-ci complète les données. Un conseil : gardez une boîte de mouchoirs à portée de main !
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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Je me rends compte au fur et à mesure de mes lectures à quel point le vécu de notre enfance influence nos réactions par rapport à certains évènements. Je suis particulièrement sensible aux grandes catastrophes ou aux moments de l'histoire que j'ai vécu sans doute sans bien les comprendre à l'époque: guerre du Liban, chute du mur de Berlin, guerre du Golfe, guerre du Rwanda... et bien sûr la catastrophe de Tchernobyl. Je les ai toutes abordées par le prisme de la télévision, recevant les informations sans tout comprendre mais choqué par les images, touché par la détresse (ou l'émotion pour la chute du mur) des protagonistes. C'est encore renforcé pour Tchernobyl puisque j'ai même à l'adolescence participé à une pièce qui avait permis de recueillir des fonds pour une association qui permettait aux enfants touchés par la catastrophe de venir faire des soins en France. L'effet miroir et l'impression que cela pourrait nous arriver à tous fonctionnait également à plein.

Je me suis donc lancé dans cette lecture de la supplication en sachant à l'avance que l'émotion allait être au rendez-vous. Et pour le coup, l'auteure ne nous ménage pas, le choc est puissant dès le témoignage qui forme le prologue. le choix de passer par la voix directe des témoins (que l'auteure utilise pour l'ensemble de ses oeuvres) est évidemment très pertinent ici puisqu'on est en prise directe avec l'émotion. Il y a quasi forcément un travail de réécriture des "monologues", ne serait-ce que pour faire disparaitre les questions de l'enquêtrice et fluidifier le tout ; mais on sent toute la sincérité qui se dégage de ces récits, de ces multiples narrateurs d'une réalité horrifiante.


Le choix des différents témoins est également extrêmement bien calibré, et permet de basculer de l'émotion pure en prise directe avec l'évènement et ceux qui l'ont vécu dans leur chair et leur sang à certaines analyses politiques ou philosophiques, notamment par le biais de certains responsables ou spécialistes de l'atome. Ces parties sont le plus souvent terriblement dénonciatrices de ce qui s'est passé, des responsabilités de chacun. le doigt est mis sur les fautes commises par les autorités, mais n'oublie pas les négligences commises par chacun, l'incrédulité devant une menace invisible, impalpable, qui n'incite pas à prendre toutes les précautions nécessaires (pour ceux qui ont été bien informés...). On ne peut pour ces passages que ressentir un parallèle (toutes proportions gardées) avec notre époque actuelle et la crise sanitaire que nous traversons, entre incurie des dirigeants et insouciance coupable de certains citoyens.


L'effet sur le lecteur est particulier puisqu'on est très souvent à la limite de l'écoeurement et en même temps pressés de lire la suite. Ce n'est pourtant pas à notre côté voyeur que l'auteure fait appel puisque pour paraphraser Alexievitch "Un évènement raconté par une seule personne est son destin. Raconté par plusieurs, il devient l'histoire". Une des grandes prouesses du livre est également de parvenir à nous faire rire par plusieurs blagues ou anecdotes qui émaillent les témoignages, même si l'humour de certaines blagues ne peut visiblement être ressenti qu'en ayant vécu le drame (avec le magique "C'est pas drôle ?" de certains interlocuteurs se rendant compte de la subjectivité de l'humour).


On peut également souligner la pertinence des moments où l'interrogé s'adresse à l'enquêtrice pour l'encourager dans son travail de restitution ou pour demander l'anonymat, moments qui impliquent d'autant le lecteur dans la démarche entreprise. On peut pointer l'intérêt du choix des témoignages chorals (ceux des habitants d'un village, des médecins, des enfants) qui forment comme des symphonies dramatiques où on entendrait chaque voix comme un instrument déchirant. Je finirais tout de même par ma seule incompréhension, je ne suis pas parvenu à comprendre exactement les séparations entre les trois parties, les titres très poétiques ne sont pas parvenus à m'éclairer sur la logique qui a prévalu pour organiser le sommaire.


Cela ne reste qu'un détail dans un texte qui m'aura touché au plus profond de ce qui fait notre humanité, parce qu'il vient, comme l'expose si bien un des témoins, toucher des questionnements très enracinés, autour de l'insécurité d'un progrès que l'on croit au premier abord inoffensif. le destin vient régulièrement nous démontrer notre fragilité et l'importance de la solidarité dans les moments où c'est l'humain qui semble attaqué, sans qu'on puisse trouver un seul coupable mais où on se rend compte que nous sommes bien l'espèce qui parvient le plus à se mettre en danger par elle-même.
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Je suis juste un amateur de littérature. Comment pourrais-je séparer ce qui est du journalisme, de la littérature, de la philosophie ? le jury du prix Nobel a décidé que Svetlana Alexievitch faisait de la bonne littérature, ou plus vraisemblablement de la littérature importante. Les media que je suis ont bien dû écouter les jurés Nobel et parler de ses livres, et à la fin moi aussi j'ai voulu en lire un, au hasard. Je ne sais toujours pas ce que j'ai lu, mais je dis aussi qu'il faut le lire.
Même pour du journalisme, la forme surprend : c'est une enquête, mais elle ne fait que rapporter des paroles entendues.* L'autrice ne prend pas position, ne fournit pas de « faits » et même le chapitre intitulé Conclusion est un témoignage. Son travail se bornerait à collecter, trier, mettre dans l'ordre et ajouter quelques titres ? Peut-être, mais alors ce livre est un tour de magie.
La mort, l'amour, le pouvoir, l'avenir de l'humanité. L'héroïsme, l'hypocrisie, la corruption, le vol pour survivre, la peur, le mépris, la souffrance. Ce putain de bouquin ne parle que de sujets tellement importants. Enfin presque : il traite aussi de la fin du communisme, tué par la guerre en Afghanistan et par Tchernobyl, de l'âme slave (poncif constitué de pessimisme auto-complaisant, de bravoure et de vodka) et même des amoureux des chats...

Après ce remarques superficielles sur la forme et le fond, j'aurais envie de vous raconter tout à ma manière. Tout sur la catastrophe de Tchenobyl, et ses conséquences humaines, surtout en Biélorussie. Mais qui suis-je pour prendre la parole, alors que même Svetlana Alexievitch se refuse à le faire ? Qui suis-je même pour tenter de vous convaincre ? Serez-vous comme moi stupéfait, ahuri, atteint d'une tristesse et d'une peur profonde, ému par l'amour, la foi, révolté par l'injustice et par l'usage atroce d'un pouvoir totalitaire... je pourrais continuer longtemps, mais votre réaction sera -t-elle la même ? Seule solution : lisez pour savoir.

* du moins en apparence, ce n'est pas dit dans le livre et je sais pas ce que l'autrice en a dit.
**J'avais pensé vous écrire quelques lignes pour expliquer les mesures dont parlent beaucoup d'acteurs : rem, röntgen, curie... mais c'est trop compliqué pour quelques lignes. Et comparer ce qu'ont subi les acteurs héroïques et les populations passives aux limites du dangereux est encore plus compliqué. A défaut, je me borne à remarquer qu'en URSS avant 1986, le régime croyait tellement à la possibilité d'une guerre nucléaire qu'il avait préparé la population à ses conséquences prévisibles... probablement avec son inefficacité habituelle. Pour le reste, voyez comme moi les discussions sur Wikipédia.
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Que dire ?

Que dire, qu'écrire après un tel livre constitué de dizaines de témoignages de (presque) survivants de l'apocalypse de Tchernobyl ? Devant un tel désastre humain, scientifique, politique, économique, sanitaire, social, environnemental, mondial, on reste humble et apeuré. On peine à se représenter l'horreur et son étendue, ses conséquences à long terme sur les espèces humaine, animale, végétale et minérale.

L'explosion du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl, le 26 avril 1986 (j'avais six ans), a signé l'arrêt de mort d'un nombre incalculable de victimes mais aussi celui d'un régime, quelques années en amont de la chute du Mur de Berlin.

Les témoignages des témoins, liquidateurs, familles évacuées, etc. sont plus que touchants, ils sont hurlants, cauchemardesques et fascinants. Ils décrivent l'indescriptible, l'ennemi invisible, l'atout d'hier, l'atome.

Ce qui m'a le plus frappée dans "La supplication", c'est la description de la mentalité soviétique et ses manifestations dans les décisions des autorités et le traitement du désastre. Son absurde quête d'héroïsme jusqu'au sacrifice, son abnégation inutile jusqu'au ridicule, l'ineptie de sa gouvernance, la violence de sa politique et de ses moeurs.

Plus que jamais - c'est dit et redit tout au long du récit - la vie de l'homme soviétique (comprendre russe car l'homme russe d'aujourd'hui est toujours l'homme soviétique) ne compte pas. La dissection de l'état d'esprit soviétique/russe est très fine et rejoint parfaitement ce que j'ai moi-même pu en découvrir lors de mes trois séjours chez l'habitant en Russie.

Il faut lire Svetlana Alexievitch, non seulement parce qu'elle a reçu le Nobel de littérature, non seulement parce qu'elle est née en Ukraine et qu'elle est biélorusse, non seulement parce que son approche documentaire est saisissante, mais parce que son oeuvre éclaire avec réalisme et crudité la réalité slave.

"La supplication" est un livre bouleversant, renversant ; il va me hanter longtemps.


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