Petit dictionnaire énervé de Tintin

Ce dictionnaire d'Albert Algoud nous offre des anecdotes parfois inédites sur le corpus tintinesque et nous permet de replonger dans cet univers si particulier qu'on apprécie tant.
On ressent néanmoins bel et bien l'énervement qui barre la couverture du livre, et ce dès les premières pages. L'auteur rédige en effet une charge en règle contre celui qu'il appelle "l'ayant-tous-les-droits", mari de Fanny, la dernière épouse d'Hergé et dépositaire des droits du reporter belge.
Loin d'être injustifié, ce règlement de compte permet d'ouvrir les yeux sur une mécanique mercantile bien huilée qui a fait du héros de notre enfance un produit de luxe désormais pour partir inaccessible à son nombreux public.
Que les abus d'usage des images d'Hergé soient contrôlés, rien de plus normal, mais interdire à un auteur de recourir à des vignettes de Tintin pour illustrer un ouvrage sur des héros de la série semble pour le moins exagéré.
Le contenu de ce petit dictionnaire est très riche, mais les différents règlements de compte qui l'émaillent, avec les psychanalystes, avec ceux qui ont décrié l'oeuvre d'Hergé, finissent par installer un climat qui rend la lecture un peu ardue.
Mais il ne s'agit pas de s'en plaindre, puisque l'auteur annonce d'emblée la couleur.
Et Albert Algoud demeure une référence incontournable en matière de tintinologie et de tintinolâtrie (épuisé, malheureusement, et pas réédité à ce jour...).

Avec le respectable Bob Garcia et son "Hergé, aux sources de l'oeuvre : Essai", Albert Algoud fait partie de ces tintinologues en délicatesse avec, pour reprendre le terme subtil qui ouvre ce livre "l'ayant tous les droits". Pour le dire vite, ils n'ont pas toujours obtenu l'imprimatur de la Maison Officielle Tintin.
Passé le début de l'ouvrage, consacré par l'auteur à un bref mais intense règlement de compte avec, justement, "l'ayant tous les droits", le livre prend son envol.
Il s'agit d'un tour de l'oeuvre, dans l'ordre alphabétique, ne laissant de côté aucun des sujets qui fâchent ou des objets de polémique : le Congo, les Juifs, les amis oubliés, les femmes, les sources non avouées de l'auteur. le tout sans aucun jugement, sans invective.
Ni hagiographie ni brûlot.

Un livre profondément honnête.

Certes, je crains devenir Algoudophile, avec les travers de la subjectivité que cela pourrait provoquer. Bref, j'ai beaucoup aimé, pour ne pas dire plus.
Je trouve ce petit dictionnaire indispensable pour garantir une lecture critique d'Hergé et de son oeuvre, mais aussi pour offrir une lecture critique de leurs critiques et analyses. Tout y est pertinent, souvent truculent, parfois insolent.
Albert Algoud semble naviguer entre le premier et le second degrés pour susciter notre attention et éprouver notre propre capacité de jugement.
Il pourfend, avec sa belle verve, les idéologistes et manichéistes de tous bords, ainsi que les extrêmistes tintinophiles comme tintinophobes. Il se fait le champion de la veuve et de l'orphelin en réhabilitant Lampion (cf. son intervention dans l'Archipel Tintin) et accusant Nestor.
Je ne peux que conseiller cette saine lecture où beaucoup de choses me semblent être bien remise en place et dans le contexte.
Merci Albert !