Note: Pour les trois lecteurs qui viendraient ici par hasard (quoi faire?) , non je ne suis pas obsédé par les nazis, oui je fais de recherches.
Pour être parfaitement honnête j'ai choisi ce livre un peu au hasard dans le but essentiel d'avoir des images, des représentations, des visages de tous les personnages que je suis depuis... hem... bientôt 2 ans...Or ce livre est vraiment bien plus que ça et il m'a gentiment renvoyé dans mes cordes ..
Ainsi, loin de la classique accumulation d'images, "l'oeil du III° reich" est avant tout la biographie d'un homme :
Walter Frentz, joyeux kayakiste nazi (oui bon faut le dire) dont la route a croisé un jour celle de
Albert Speer (lui même assez fan de kayak) et qui devint alors cameraman pour Leni Riefensthal (la très "glamour" réalisatrice officielle du parti) puis carrément photographe officiel et personnel du führer.
Cette position plus que privilégiée lui permettra alors de vivre toute la guerre auprès tous les dirigeants nazis et en outre de profiter en avant première du matériel pour les premières photos couleurs...
Après la guerre il passe finalement entre les mailles du filet et reprendra une vie de conférencier kayakiste un peu oublié de tous jusqu'à ce que son fils, après sa mort (en 2004 !!!?!) rouvre les archives de la famille et sorte de l'oubli certains "trésors".
La biographie de Frentz est donc le premier aspect intéressant de ce livre: Étrange parcours s'il en est (!) même pour un gai kayakiste rompu aux valeurs viriles de l'effort et du feu de camps. Parcours d'ailleurs étonnamment proche de celui de Speer dont je parlais plus tôt (même si Frentz est lui assez ouvertement nazi, en tous cas clairement antisémite bien qu'il s'en cachera après la guerre); parcours archétypal de ces gens qui pris dans la dynamique obsédante et névrotique du "bien faire" du "bien plaire" et des "honneurs" se sont retrouvés "par hasard" au milieu de la plus grande boucherie du siècle...
Toutefois même s'il sont arrivés par hasard, ils ne pouvaient pas rester "par hasard" et c'est là que s'ouvrent les abimes. On sait que Frentz savait pour les massacres de Minsk, on sait qu'il est allé dans les mines de où se fabriquaient les V2 (Les fameuses mines ou Speer est passé aussi et où les gens mourraient par centaines)... Il savait, il a vu, il a photographié...
... Et c'est tout!
Il a vu tout ça et à la fin de la guerre il a repris son kayak...
Pour ne rien vous cacher ce sont bien ces gens là qui me fascinent.
L'autre aspect de ce livre est bien évidemment le choix des photos qui sont de plus mises en perspective dans un travail historique et idéologique totalement rigoureux. Dans ce cadre les photos deviennent alors polysémique: elles sont le reflet d'un fait bien sûr, d'une biographie, d'une époque mais aussi et surtout d'une idéologie, et tout le travail de textes qui les suit en parallèle aide à vraiment (de)construire le regard.
Ainsi on voit que Frentz offre en permanence de "belles images " des dirigeants nazis au repos, souriants, du Berghof ensoleillé, d'un monde presque idyllique, humain et chaleureux et grâce au travail qui les encadre on réalise à quel points elles pourraient être, elles sont encore (!), froidement vénéneuses.
Évidemment la question du but final de ce travail reste en suspend même pour les spécialistes: Frentz a-t-il sciemment composé ses images ou s'est il simplement laissé aller à un humanisme naturel, à une pente naturelle de style ?
Pour finir le seul et unique reproche que je ferais (oui quand même, faut pas trop rêver non plus ;) ) est de ne pas avoir mis en relation les photos que fait Frentz des villes en ruine qu'il a traversées à la fin de la guerre avec la théorie des ruines si chère à Speer (encore lui ) et Hitler. Il y a pour moi dans ces photos une volonté d'apaiser, d'amoindrir les dégâts en posant dessus un regard d'un romantisme assez "typiquement allemand"... M'enfin ce n'est que mon avis...
"L'oeil de troisième Reich" est donc une très bonne surprise à des kilomètres de ce pour quoi je l'avais pris au départ c'est à dire un livre d'images sur les méchants nazis comme il en pleut maintenant de plus en plus (y compris en film avec les images d'Éva Braun dont je n'ai toujours pas compris l'intérêt historique de leur présentation ni celui de sa diffusion sur tf1...). Au contraire donc de tout cela ce livre est un ouvrage historique sérieux et référencé qui nous fait d'une part découvrir un nouveau personnage de la galaxie nazi et d'autre part pose des questions fondamentales sur l'utilisation de la photos en iconographie historique, nous rappelant que les images n'arrivent jamais par hasard et que donc la question minimale à se poser est de toujours savoir qui les donne et pourquoi...
En ces temps où l'image nous est bombardée (au sens propre et figuré), déchiquetée, malaxée , détournée tous les jours; en ces temps où les images deviennent un espéranto universel alors que les moyens de les manipuler n'ont jamais été aussi accessible ce genre de réflexion, de remise à plat du pouvoir des images me parait absolument nécessaire et salutaire.
Un très bon livre à plus d'un titre donc.
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