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Marcel Conche (Traducteur)
EAN : 9782130437857
256 pages
Presses Universitaires de France (01/08/1991)
4.12/5   8 notes
Résumé :
Anaximandre, ami de Thalès et représentant le plus notable de l’école milésienne, qui introduisit en philosophie les concepts de principe, d’élément et d’Illimité, était à l’époque de Platon tombé dans l’oubli. C’est à la curiosité d’Aristote, puis après lui aux soins de Théophraste et des doxographes, que l’on doit les fragments qui subsistent de son œuvre. Mais, du même coup, l’orientation unique des témoignages qui le concernent, fait naître des soupçons sur la s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
L'apeiron (en grec ancien : ἄπειρον / apeiron, « illimité ») désigne le principe originel de toutes choses. la notion nous vient d'Anaximandre, le premier grec à avoir pensé explicitement la nature.. Parler d'un « principe » est déjà trop, car l'apeiron est vie infinie, inengendrée et éternelle.

De l'apeiron éclosent toutes les choses qui vont s'entrelacer, s'épouser, se différencier pour former la nature dans ses formes infiniment changeantes. de sorte que la nature se définit comme éclosion perpétuelle, la phusis antique (en grec ancien : φύσις, traduit ordinairement par « nature » mais signifiant croissance) qui n'est pas seulement matière, mais la totalité physique et métaphysique qui nous contient.

L'apeiron est l'inaccessible dimension sensible de la vie, qui enveloppe et imprègne toute chose, dont tout procède et vers quoi tout revient pour rejaillir en de nouvelles formes ; dont tout porte dans sa forme même une empreinte qui n'est perceptible qu'au regard ignorant, primitif, c'est-à-dire qui est lui-même, inconsciemment, encore enveloppé et imprégné de la sensibilité matricielle originelle.

Ainsi la nature n'est ni matière, mécanisme, ni ce qui existe que les hommes n'ont pas créé ; mais elle est tout ce qui est et tout ce qui devient et advient. Autrement dit, la culture, que l'on oppose habituellement à la nature, n'en est qu'une manifestation – concordante ou discordante, harmonieuse ou chaotique -, cherchant à s'en échapper et à s'en différencier, mais qui de toute façon s'y résorbera tôt ou tard, car rien ne peut exister hors du tout.

Toute culture qui se pense opposée à la nature, supérieure à elle, n'est qu'une illusion provisoire, que le temps dissoudra, que l'espace recyclera. La seule culture qui puisse se maintenir et fleurir est celle qui rejoint sensiblement l'éclosion perpétuelle, s'y abreuve, et s'y inspire, pour en exprimer une des formes possibles parmi l'infinité des formes possibles qui reposent dans l'indétermination de l'apeiron.

De même l'opposition entre matière inanimée et matière vivante ne tient plus : car la matière inanimée (ce qui de toute façon est très relatif comme nous l'apprend la physique moderne) est animée par l'apeiron ; elle en est une expression sensible – à la sensibilité imperceptible à nos sensibilités cultivées -, sensibilité encore endormie pourrait-on dire, manquant de détermination formelle. Ce n'est qu'avec la première cellule que cette sensibilité prendra forme, s'éveillera dans l'éclosion à la vie-même – pourtant partout latente – et la manifestera distinctement, en se particularisant comme entité originale – signature de l'originel apeiron – en délimitant son être de toute matière extérieure au moyen de sa membrane.
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Ce travail de Marcel Conche (qui est malheureusement mort l'an dernier) publié aux Presses universitaires de France est des plus intéressants. Il ne s'agit pas d'un simple recueil de témoignages, mais d'une véritable étude qui présente le contexte, la doctrine, les réceptions du texte d'Anaximandre, le tout en argumentant face aux présentations contraires. le commentaire est passionnant et, loin d'être scolaire, il parvient à nous convaincre de la profondeur d'Anaximandre.

Anaximandre est le premier philosophe connu à avoir mis par écrit ses travaux. Son ouvrage, aujourd'hui perdu, aurait été écrit sans ponctuation et sans espace entre les mots. C'est pourtant grâce à l'alphabet, qu'un texte spéculatif utilise pour la première fois, qu'est née la philosophie, car c'est par l'alphabet que la possibilité d'une réflexion conceptuelle abstraite, différente de toute image, a pu voir le jour.

Deux concepts sont indispensables dans la pensée d'Anaximandre, et il semblerait avoir été les premiers à les utiliser dans ce sesn : l'archè et l'apeiron (l'indéterminé, l'illimité, l'indéfini, l'infini). L'apeiron n'est pas seulement un infini spatial, extensif, il s'agit d'un infini en grandeur total, d'un infini qui, précisément, ne se comprend pas sur le mode classique de la mondanité, et a aussi une valeur "temporelle". Pour Anaximandre, le monde, parmi d'autres mondes possibles, se génère et se détruit en vertu d'un infini extramondain, d'une indétermination radicale, dans laquelle les choses mondaines ne sont pas en puissance, comme si le visible serait en puissance dans l'invisible ou l'être dans le non-être, mais d'où procède ces choses - il s'agit d'une puissance en un autre sens, d'une puissance génératrice. Cet infini n'a donc rien d'ontique, il n'est même pas encore un être : on ne saurait le juger comme un être du monde. Parménide n'est pas encore passé par là, et l'être provient ici du non-être, dans une génération qui n'a pourtant rien de sophistique. Cet infini n'est donc pas une simple cause déterminée, par exemple un élément déterminé (la terre, l'eau, le feu, etc), ou une simple cause matérielle indéterminée, comme l'interprétait Aristote : il est radicalement indéterminé. L'archè, comme on appelle cette origine, n'a donc rien à voir avec un principe aristotélicien de premier moteur. Ce principe, chez Anaximandre, n'est pas comme suspendu à un monde sans origine. Quant au cosmos d'Anaximandre, il est changeant, en sursis. Il n'y a pas d'éternité du monde, pas plus qu'il n'y a de cyclicité : il y a plutôt multitude de mondes, et éternité de l'apeiron, de l'indéterminé, de l'infini. Quant à la mort, elle est dans ce cadre une forme de justice.

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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
"Puisque, dans l’infini, le « sans bornes » ["l'apeiron"] [...] tous les rapports entre les extrêmes – l’un positif l’autre négatif – sont essayés, dans une sorte de brassage éternel, il est inévitable que se réalise parfois, et d’innombrables fois, le juste rapport productif : tel est le gonimon. Et, grâce au gonimon, au juste rapport fécond, les extrêmes, jusque là irreprésentables, prennent la forme cosmique [...] (p.154)

"Chez Anaximandre, la nature se trouve dissociée du monde. Elle est, certes, le principe de la vitalité du monde, mais elle n’est plus la vitalité même du monde, immanente à celui-ci. Elle est au principe d’un monde viable, car d’elle se détache le gonimon, le germe cosmique. Et ce germe implique la juste définition du rapport des contraires qui rend ce rapport fécond. Mais si la nature y est parvenue, ce n’est pas comme à un effet de sa sagesse. Car elle est en elle-même non sage, non réglée. Simplement, le juste rapport fécond entre les extrêmes est un rapport parmi d’autres, et, comme aucune Providence négative ne s’y oppose, il n’y a pas de raison pour qu’il ne soit pas un jour réalisé, et même d’innombrables fois. Mais le monde issu de cette sorte de chance n’est qu’une production incertaine et contingente de la nature, qui, abandonné à lui-même, voit bientôt s’épuiser sa vitalité."(p. 169-173)
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"L’apeiron [...] n’est nullement donné. Il est ce qui est posé par la pensée pour rendre compte de ce qui s’offre au regard [...]. Il est posé seulement parce qu’il est ce qu’il faut nécessairement admettre si le Monde doit être compris [...].
Si l’on veut expliquer la particularité de ce Monde, il faut un principe qui ne soit pas lui-même particulier (ce qui serait expliquer une particularité à partir d’une autre restant, elle, inexpliquée). Mais alors, n’étant pas particulier mais universel, il ne sera pas le principe d’une certaine particularité seulement, mais aussi bien d’une autre. Ce Monde-ci, qui est né, périra. Mais il n’est pas le seul : il y en a, il y en a eu, il y en aura d’autres – une infinité. Au lieu d’expliquer le caractère particulier de ce Monde, sa structure, son ordre, en les présupposant (comme le fera encore Platon, expliquant le monde sensible par son modèle intelligible), on en fait des particularités parmi beaucoup d’autres, et l’on rend compte alors du particulier par le fait même d’en faire un cas particulier." (p. 235)
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"Trois évènements sans lesquels aucun être n’existe – venir au jour, séjourner, périr – trois évènements qui n’en font qu’un, puisqu’il s’agit des trois moments de cet évènement qu’est l’être lui-même (le fait même d’être) pour ce qui est. [...] Genesis, ousia et phtora désignent un seul évènement qui se continue – se continue jusqu’à son terme. Si donc, la genesis, l’ousia et la phtora sont temporellement déterminées, elles ne le sont pas à part l’une de l’autre : il s’agit de trois déterminations qui n’en font qu’une. Genesis, ousia, phtora, sont l’évènement génération-existence-destruction, ou des feuilles, ou des hommes, ou des cités, ou des nuages, ou des vagues de la mer." (p. 186)
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