J'avais déjà lu plusieurs romans de cet auteur et la référence de celui-ci apparaissait dans une bibliographie sur le deuil.
J'ai trouvé le début très fort parce que, si on oublie qu'on sait que le héros a perdu son père, les mots de l'adolescent sont comme un choc.
Ghislain n'arrive en effet pas à faire face à cette nouvelle réalité tout à fait imprévisible et imprévue : son père est mort d'une crise cardiaque à 42 ans.
L'adolescent s'est construit une armure en essayant de faire croire à son entourage qu'il est un dur mais au fond de lui il est en colère et désespéré et ne voit pas comment ni pourquoi continuer à vivre...
Il refuse l'aide de la psychologue scolaire et le soutien de son parrain, lui aussi psychologue, ne suffit pas sans parler de sa mère, elle-même enfoncée dans son chagrin.
Un texte puissant sur le deuil avec une fin plus apaisée.
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Ghislain vit difficilement le deuil de son père, décédé subitement. Malgré l'amour et l'attention de sa mère, de son parrain et d'Elsa, une camarade du lycée, Ghislain s'enferme dans sa douleur. Sa rencontre fortuite avec Amélie va petit à petit lui redonner goût à la vie.
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Papa, tu m'as tout apporté et l'idée d'être séparé de toi m'est complètement intolérable. Je pourrais écrire un livre pour raconter les moments complices que nous avons vécus, un autre pour décrire l'affection et l'attention que tu m'as offertes jour après jour, un autre encore pour dire combien, grâce à toi, maman était heureuse, combien ensemble vous me donniez l'image d'un couple équilibré et aimant.
Mais les livres ne servent à rien quand le bonheur s'est fait la malle. Tu n'avais pas à mourir, papa. Tu n'avais pas à nous quitter aussi bêtement. Tu n'avais pas à partir sans même nous dire au revoir. Un infarctus en voiture à trois kilomètres de la maison; tu as juste eu le temps de te ranger sur le bas-côté de la route. Tu as sans doute pensé à préserver les autres, tu t'es senti mourir : papa, papa, as-tu eu une pensée pour moi avant d'aller au milieu de nulle part ?
Je suis égoïste. Je ne songe ni à maman, ni à toi. Je veux savoir si j'étais dans ta tête au moment où tu es mort. Si j'étais dans ta tête comme aujourd'hui tu es dans la mienne. Si tu t'es dit avec angoisse : «Ghislain, mon chéri, à seize ans, il est insupportable de perdre son père. Pardonne-moi.» Je t'aime, papa, mais il faut que tu me demandes pardon pour ce que tu m'as fait parce que c'est mal, très mal. On ne meurt pas sans prévenir. Pas à quarante-deux ans. On attend d'être vieux, on tombe malade, on décline petit à petit, on écrit un testament, on murmure «Bye, bye, la vie» et l'on s'échappe sur la pointe des pieds.» Toi, tu n'as vraiment eu aucun tact.
Il paraît que ce n'est pas ta faute, il paraît qu'on ne choisit pas; c'est la mort qui élit le moment, la manière et l'endroit. Ce serait bien la première fois que tu t'es fait rouler, papa. Tu décidais si bien de ta vie; pourquoi n'aurais-tu pas pu décider de ta mort ? À seize ans et demi, il y a sans doute des faits de l'existence qu'on n'a pas la capacité d'intégrer. Avant que les flics ne viennent sonner à la porte de la maison, avant qu'ils ne me demandent d'une voix polie «Vous êtes le fils de monsieur André Leclercq ? Votre maman est-elle présente, s'il vous plaît ?», avant qu'ils n'annoncent, sur le même ton excessivement gentil, qu'hélas, ils apportaient une bien triste nouvelle, avant que maman ne pousse un grand cri et ne s'évanouisse dans les bras du policier le plus proche d'elle, avant que moi qui étais resté dans le couloir je comprenne à mon tour pourquoi ces hommes s'étaient donné la peine de venir jusque chez nous, avant tout cela, je n'avais jamais vraiment songé à la mort et certainement pas à la tienne. Tu étais insubmersible, papa. Comme le Koursk, comme le Titanic, comme tous ces navires qui font la fierté de ceux qui les construisent.
Je t’aime, papa, mais il faut que tu me demandes pardon pour ce que tu m’as fait parce que c’est mal, très mal. On ne meurt pas sans prévenir. Pas à quarante-deux ans. On attend d’être vieux, on tombe malade, on décline petit à petit, on écrit un testament, on murmure «Bye, bye, la vie» et l’on s’échappe sur la pointe des pieds.» Toi, tu n’as vraiment eu aucun tact.
Je ne vois pas ce que cette expression apporte de positif dans ton existence. On commence par agresser l'autre avec des mots, on continue avec les poings. Mieux vaut saisir le mal à la racine ; éviter les mauvais jugements et les mots blessants est un premier pas, tu ne crois pas ? (p.118)
J'étais fier de toi, très fier. Je ne te l'ai pas assez dit. Un adolescent, ça s'éloigne avant de pouvoir revenir. Mais, puisque tu es définitivement parti, je n'aurai jamais l'occasion de te rejoindre. Tu as tout gâché, papa : l'évolution naturelle des choses, la relation, les petites brisures, la tendresse. Je ne te le pardonne pas. A qui pourrais-je raconter que tu es un type bien, que tu vis de projets, que tu as du courage et de la persévérance ? Je ne supporte pas de parler d'une personne à l'imparfait et, en mourant, tu ne m'as pas laissé d'autres choix.
Mon père est un molosse qui dévore l'intérieur de mon crâne. Il est présent dans chaque recoin de mon cerveau. Il bouffe ma joie, il bouffe mes espérances. Durant la nuit, souvent, je reste éveillé et je l'écoute qui se promène dans ma tête, qui inspecte ma vie, qui en ravit tout ce que je voudrai beau. (p.11)
Livre-toi- Frank Andriat - 11 juin 2013
Ker Editions