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Critique de Nastasia-B


Bien sûr, comme à chaque fois avec les sagas islandaises, il faut se familiariser avec le style, il faut accepter le long (ouh… trèèèès long) rappel généalogique avant la présentation de chaque protagoniste, et encore une ou deux petites conventions propre à ce type d'écrit si particulier (forme orale transcrite par écrit plusieurs siècles après les faits).

Mais lorsqu'on fait fi de tout cela, il reste des écrits particulièrement intéressants pour quiconque s'enquiert soit de l'histoire, tout simplement, soit de l'ethnologie, soit des croyances, soit de la sociologie de l'époque. Car malgré le miroir déformant des perceptions et des générations comme n'importe quel bon téléphone arabe, il y a forcément des altérations, mais certains éléments récurrents semblent avoir des fondements historiques tout à fait avérés de nos jours.

Ces deux courtes sagas, celle d'Eiríkr Le Rouge et celle des Groenlandais (qu'on désigne parfois sous l'enveloppe générique de sagas du Vinland) nous montrent d'une part comment les Scandinaves (Norvégiens et Islandais, ce qui revient, à cette époque, au même) ont d'abord prospecté plus à l'ouest et ont débarqué au Groenland.

Le personnage d'Eiríkr le Rouge ressort car il est d'abord banni de Norvège et s'installe en Islande, puis à nouveau a quelques démêlés en Islande, si bien qu'il reprend le bateau et échoue au Groenland.

Je précise, pour ceux dont la géographie nordique n'est pas extrêmement parlante que, malgré la situation particulièrement septentrionale de cette grande île, lorsqu'on part d'Islande, la pointe sud du Groenland se situe plein ouest, voire sud-ouest et donc qu'il n'est pas nécessaire de s'élever en latitude pour l'atteindre, bien au contraire.

Je signale enfin que le climat autour de l'an mille, date à laquelle se situent les faits mentionnés, était, semble-t-il, notoirement plus clément que ce qu'on a connu au XVIIIe et XIXe siècles, juste avant la grande phase de réchauffement actuel qui doit nous faire revenir à un climat assez comparable à celui qu'a expérimenté Eiríkr Le Rouge.

Le marrant de l'histoire, c'est que les sagas nous narrent de fréquents aller-retours entre le Groenland et l'Islande ou la Norvège et que c'est lors d'un de ces voyages retour qu'un fils d'Eiríkr loupe la pointe sud du Groenland à cause du mauvais temps et se retrouve encore plus à l'ouest, très probablement sur la côte de l'actuel Labrador canadien, terre nouvelle qu'ils désigneront plus tard sous le nom de Vinland car ils prétendent y avoir découvert de la vigne.

Très intéressant car on y lit encore la toute première rencontre entre des autochtones amérindiens et des explorateurs de l'ouest européen et la vision que ces derniers en donnent. Et, une fois n'est pas coutume, les Skraelingar (nom que les Scandinaves donnèrent aux autochtones, peut-être des Inuits) mirent la pâtée aux Européens, notamment en raison du nombre de combattants.

Les sagas sont peu claires sur les motifs qui ont conduit au conflit. Elles s'accordent toutefois sur le fait que c'est à la troisième rencontre que les choses ont mal tourné. Il semble que les Scandinaves, malgré le rapport qu'ils en ont fait ensuite, n'aient peut-être pas été irréprochables vis-à-vis des Skraelingar qu'ils semblent avoir très vite méprisés, tant pour leur " laideur " que pour leur mauvais sens des affaires ou encore leur méconnaissance de l'usage d'une hache, par exemple.

Donc, pourquoi l'Amérique s'appelle-t-elle Amérique ? Parce que, plus qu'être le premier à découvrir quelque chose, il faut être le premier à le maîtriser, or, les Scandinaves n'ont pas maîtrisé cette nouvelle terre pourtant prometteuse, ce qui fut le cas des Espagnols 500 ans plus tard.

Ensuite, plus qu'être le premier (le second en fait) Christophe Colomb ne croyait pas avoir découvert quelque chose de nouveau mais simplement une nouvelle voie pour aller dans un territoire connu, l'Inde. Il faut attendre Amerigo Vespucci pour tenir à la fois le discours de la découverte et celui de la nouveauté en plus de la maîtrise, d'où le nom d'America.

En somme, il y a la découverte et il y a la publicité faite autour de la découverte et, comme dans notre XXIe siècle triomphant, ceux qui ont la fibre commerçante et qui usent des moyens de communication recueillent les fruits des découvertes des autres. Une découverte non brevetée ne vous est pas attribuée, une découverte associée à une mauvaise campagne de com fait un flop. Bref, rien n'a changé…

Mais, revenons à notre livre, il y a encore des tas de notions abordées dans ces sagas et je me limiterai à une seule d'entre elles, celle de la position de la femme en cet an mille, époque qui correspond également à l'introduction du christianisme en Islande et, par contagion, au Groenland.

On constate sans peine que malgré (ou en vertu de, peut-être) leur statut de païens, les Scandinaves donnent notablement plus d'importance aux femmes que ce qu'on connaît en Europe médiévale continentale. Et ça aussi c'est intéressant quand on retrace l'histoire de l'émancipation des femmes, ou si l'on s'intéresse aux premiers auteurs, tels Henrik Ibsen, à promouvoir l'égalité homme-femme.

En somme, une plongée en immersion dans un mode de pensée et un mode de vie très éloigné du nôtre, très dépaysant et qui, en ce qui me concerne, m'a donné beaucoup de plaisir à la lecture, mais je conçois que ce type d'écrit ne soit pas du goût de tous. À vous de voir car ce n'est là qu'un avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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