AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Zebra


« le Voyageur sans bagage » est une pièce de théâtre en 5 tableaux de Jean Anouilh. Créée au théâtre des Mathurins en 1937, cette pièce fait partie des Pièces Noires de l'auteur.

Résumé de la pièce : À la fin de la Première Guerre mondiale, Gaston est retrouvé amnésique, errant dans une gare, au milieu de soldats français. Recueilli par le directeur d'un asile, qui l'emploie pendant dix-huit ans comme jardinier, Gaston est ensuite réclamé par plusieurs familles, dont la famille Renaud, à laquelle il est présenté : c'est que l'homme, qui est pensionné depuis dix-huit ans et qui ne dépensait pratiquement rien, est à la tête de deux cent cinquante mille francs or, une petite fortune qui suscite des convoitises ! Car, oui, plusieurs familles réclament Gaston, ce cher disparu ! D'un caractère doux et gentil, Gaston découvre avec horreur -lors d'une conversation avec la famille Renaud- l'identité qu'on lui attribue : de son vrai prénom Jacques, Gaston serait un personnage violent (il prenait plaisir à tuer des oiseaux alors qu'il n'était qu'un enfant) et sans scrupule (il aurait été l'amant de Valentine, la femme de son frère présumé, frère qu'il aurait fait dégringoler du haut d'un escalier et qui en serait devenu infirme) ! Gaston ne se reconnaît pas dans ce portrait terrible, mais, quand il découvre sur lui la cicatrice d'une blessure infligée par l'aiguille à chapeau de Valentine, il n'a plus aucun doute sur sa famille d'origine. Abasourdi, inconsolable, décidé à ne pas endosser des habits de scélérat, prêt à fuir les méfaits dont on lui rebat les oreilles, voulant refaire sa vie coûte que coûte, Gaston va prendre une décision de la plus haute importance : je ne vous en dis pas plus !

Dans cette histoire de soldat amnésique, Jean Anouilh –qui s'est basé sur la vie d'Anthelme Mangin, dit « l'amnésique de Rodez »- met en scène la douloureuse servitude de la mémoire. Gaston a perdu son identité et oublié l'ensemble de ses souvenirs personnels (son nom de famille, les membres de sa famille, sa profession, etc.). Aujourd'hui, on sait que même les malades atteints d'Alzheimer à un stade avancé se souviennent de leur nom et du métier qu'ils ont exercé. La perte d'une information aussi fondamentale que l'identité est très frappante, car cette information –qui compte parmi les souvenirs les plus anciens d'un individu- est ordinairement préservée, dans la mesure où elle est consolidée de longue date dans le cerveau de l'individu. Les grands amnésiques ont souvent connu des chocs émotionnels traumatiques, et c'est évidemment le cas de Gaston qui a été témoin de scène de guerre et de morts violentes (ah les joies de la baïonnette et du gaz moutarde !). Normalement, ces malades peuvent se reconstruire, et c'est ce qui arrivera à Gaston (je vous renvoie au 5ème et dernier tableau de la pièce). Gaston choisira peut-être la fuite en avant, mais ça n'est pas de la lâcheté : il refusera d'endosser un passé, un milieu et des relations faites de faux-semblant et pleines de zones d'ombre. L'oubli, au lieu d'être subi, se transformera en une énergie que Gaston mettra au service de sa propre reconstruction.

Jean Anouilh utilise dans cette pièce différents registres émotionnels : l'indifférence, la résignation, la culpabilité, le malaise, l'angoisse, la curiosité, le désespoir, la fuite et l'espoir. Les neuf personnages de la pièce sont incroyablement typés (Valentine, Monsieur Renaud père, etc.), le suspense va grandissant et conduit au surprenant retournement de situation initié au 4ème tableau. L'écriture est finement ciselée, empreinte d'un profond réalisme, et l'humour ne manque pas. L'ouvrage se lit d'une seule traite. L'auteur nous chante un hymne à la liberté, glorifiant –face à la dure loi du destin- le libre arbitre de l'individu. Je mets 4 étoiles !
Commenter  J’apprécie          550



Ont apprécié cette critique (43)voir plus




{* *}