Tous les chemins de la poésie mènent à
Guillaume Apollinaire…
Avec
Alcools, Calligrammes (
poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916) est son recueil que j'apprécie le plus.
Publié en 1918 aux Éditions du Mercure de France,
Apollinaire l'a écrit à son retour de guerre. Blessé, « le poète à la tête étoilée » revint très éprouvé du conflit, mais l'esprit encore plein de projets de création.
Calligrammes en est la plus belle des preuves.
Calligrammes* justement, ce mot valise né de la contraction de calligraphie et idéogramme définit l'idée nouvelle d'une poésie graphique, d'une simultanéité dans laquelle se confondent la forme et le thème du poème.
Par ces
poèmes épris de forme (La cravate et la montre, Il pleut, La colombe poignardée et le jet d'eau, La mandoline, l'oeillet et le bambou,…),
Apollinaire interroge le rapport au texte. Ce que l'oeil perçoit dans le calligramme doit toucher l'esprit. La vision globale de l'écrit, concentré dans le dessin, pour révéler au mieux son idée, son concept.
Les
calligrammes composent une partie seulement du livre. Ils sont pour la plupart intercalés entre des
poèmes en vers libres ou de forme plus classique avec usage de la rime et le respect de la métrique.
Dans les textes, les références d'
Apollinaire au quotidien de sa vie de soldat sont évidemment les plus nombreuses, mais d'autres touchent aux thèmes de l'amour, de la nature et du monde de l'art, parisien en particulier. Si dans ses
poèmesApollinaire emprunte le registre de l'élégie où apparaît l'effroi face à l'épreuve de la guerre, on y décèle aussi une certaine nostalgie, un espoir diffus, un élan qui donnent à son écriture une véracité et une générosité vraiment singulières, comme une parole retrouvée, débordante.
« Mais entêtons-nous à parler
Remuons la langue
Lançons des postillons.
On veut de nouveaux sons de nouveaux sons de nouveaux sons
On veut des consonnes sans voyelles
Des consonnes qui pètent sourdement
Imitez le son de la toupie
Laissez pétiller un son nasal et continu
Faites claquer votre langue
Servez-vous du bruit sourd de celui qui mange sans civilité
Le raclement aspiré du crachement ferait aussi une belle
consonne
Les divers pets labiaux rendraient aussi vos discours claironnants
Habituez-vous à roter à volonté
Et quelle lettre grave comme un son de cloche
A travers nos mémoires
Nous n'aimons pas assez la joie
De voir les belles choses neuves
O mon amie hâte-toi
Crains qu'un jour un train te t'émeuve
Plus
Regarde-le plus vite pour toi
Ces chemins de fer qui circulent
Sortiront bientôt de la vie
Ils seront beaux et ridicules
Deux lampes brûlent devant moi
Comme deux femmes qui rient
Je courbe tristement la tête
Devant l'ardente moquerie
Ce rire se répand
Partout
Parlez avec les mains faites claquer vos doigts
Tapez-vous sur la joue comme sur un tambour
O paroles
Elles suivent dans la myrtaie
L'Éros et l'Antéros en larmes
Je suis le ciel de la cité
[…] » **
Calligrammes est un ensemble composite de souvenirs, d'impressions, mais aussi d'expérimentation polysémique. Malgré les références, les emprunts, les sources d'inspiration dont était friand
Guillaume Apollinaire,
il y a toujours dans sa poésie quelque chose qui nous est familier, de foncièrement proche.
J'aime cette poésie qui va à l'unisson des mots et des images, qui vide son sac de la réalité du dehors pour le remplir d'une intériorité jamais épuisée, d‘une réserve d'humanité jamais éteinte.
« Carte postale -
Je t'écris de dessous la tente
Tandis que meurt ce jour d'été
Où floraison éblouissante
Dans le ciel à peine bleuté
Une canonnade éclatante
Se fane avant d'avoir été »
(*) Si
Apollinaire a popularisé le calligramme, il ne fut pas le premier à l'utiliser ; on en retrouve trace au XVIème siècle, chez
François Rabelais dans La Dive bouteille.
(**) extrait de la Victoire in La Tête étoilée. - p. 181
(***) extrait de la Tête étoilée. - p.165
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