Les mamelles de Tirésias

Apollinaire et moi ne sommes pas des copains et ça date du Pont Mirabeau appris à l'école. Et pourtant je reviens toujours vers lui m'y brûler encore parce que sans l'aimer, je le reconnais. Je reconnais surtout le précurseur, l'avant-gardiste (et non pas l'avant-garagiste que me suggère le correcteur d'orthographe, surréaliste aussi quand il s'en donne la peine), celui qui avait raison avant les autres. Il y a dans l'oeuvre d'Apollinaire des idées à foison ; mais je le quitte là où je trouve qu'il les gaspille plutôt de s'en construire une échelle de génie qui irait jusqu'aux étoiles. Sans revenir (voir Alcools) sur la versification et les rimes pauvres, Les mamelles de Tirésias en est un bon exemple : une conception nouvelle du théâtre, les canons qui éteignent les étoiles, le mari qui enfante des myriades d'enfants, etc. Quoi de plus enthousiasmant que de tout bousculer ? Mais pour quoi faire en définitive ? Un "drame-bouffe" un peu prétentieux qui file trop vite et qui transpire la crainte que les femmes osent sortir du rôle confié par les siècles et renoncent à pondre leurs moutards réglementaires ! Apollinaire était en avance sur son temps en ce qui concerne les arts mais bien en phase avec son époque pour sa vision de la condition féminine. Rendez-vous au prochain arrêt Guillaume, on s'est encore loupés ...

A Zanzibar, Thérèse annonce à son mari qu'elle est féministe et qu'elle compte se faire soldat pour aller combattre l'ennemi au même titre qu'un homme. Suite à cela, la barbe lui pousse et sa poitrine s'envole. Son mari se retrouve alors en charge de repeupler le pays en produisant des enfants tout seul.

Ecrite en 1903, mais remaniée en 1916, alors que l'auteur avait participé aux opérations militaires de la Première Guerre mondiale, la pièce se fait l'écho des bouleversements qu'a connu la société de l'époque et des traumatismes vécus par les soldats. le tout est présenté comme « surréaliste » et, effectivement, l'intrigue n'a ni queue ni tête. J'avoue que je suis loin d'avoir tout compris, mais les quelques idées qui m'ont paru claires dans l'affaire m'ont fait grincer des dents. Si on en croit la préface de l'auteur, c'est censé tenir à la fois du drame et de la comédie. En ce qui me concerne, je me suis prodigieusement ennuyée.

A part des étudiants qui travailleraient sur l'auteur ou sur le théâtre de cette époque, je ne vois pas qui pourrait être intéressé par cette pièce. La seule qualité que je lui vois est sa brièveté et le seul souvenir que j'en garderai est cette citation que je connaissais déjà: « il est grand temps de rallumer les étoiles ».

A lire si vous êtes curieux. (...)
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Pour des très bonne raisons on accorde beaucoup moins d'importance à la pièce de théâtre de Guillaume Apollinaire "Les Mamelles de Tirésias" qu'à l'opéra qu'elle a inspirée de François Poulenc. Cependant, il faut reconnaitre que l'opéra n'aurait pas été un si grande réussite si Apollinaire n'avait pas écrit une très bonne pièce qui en plus semble être l'oeuvre fondatrice du mouvement surréaliste.
Apollinaire explique dans son introduction: "Pour caractériser mon drame je me suis servi d'un néologisme qu'on me pardonnera car cela m'arrive rarement et j'ai forgé l'adjectif surréaliste. ... Quand l'homme a voulu imiter la marche, li a créé la roue qui ne ressemble pas à une jambe. Il a fait ainsi du surréalisme sans le savoir. " (pp. 2-3)
Pour moi, la pièce est plutôt dadaïste et a très peu en commun avec surréalisme d'André Breton. Montée en 1917, pour "Les Mamelles de Tirésias" est avant tout une satire du lutte entre la France et l'Allemagne pour la suprématie d'Europe. L'on croyait depuis quelques décennies qu'à longue terme l'Allemagne devrait emporter à cause de son taux de natalité nettement plus élevé que celui de la France. Parce que la France semblait être sur le point de perdre la première grande guerre, Apollinaire a décidé de proposer une solution: à la place des françaises, les francais devaient commencer à mettre des enfants au monde. Malheureusement, on n'a pas retenu la proposition. Peu après la première représentation, Apollinaire est mort dans la guerre à laquelle il ne croyait pas.
"Les Mamelles de Tirésias" qui a seulement trente pages prend moins qu'un demi-heure à lire. Tous ceux qui s'intéresse au cheminement de la littérature française entre le dadaïsme et le surréalisme devront la lire.

Merci Wikisource de m'avoir fait découvrir cette pièce. Me plongeant dans le mouvement surréaliste en ce moment (par la fenêtre de l'art), le nom d'Apollinaire est arrivé dans le viseur. le spécial de Télérama sous la main m'a convaincu et puis les calligrammes tout de même. Or donc, je me suis penché sur cette pièce réjouissante à la durée contenue, non délayée et au propos frais, gai et déluré. On fait exploser les étoiles du théâtre dans le théâtre. L'héroïne féministe change de sexe. le mari enfante palanqué de bambins. La cartomancienne promulgue des conseils avisés. le choeur achève le tout en chanson. C'est furieusement actuel, antimilitariste, féministe, décomplexé de tout. Une fois que c'est dit en effet, il n'y a pas vraiment d'intrigue qui questionne ou repositionne les choses, mais parfois juste une explosion de sens fait du bien par où ça passe. Merci l'artiste. Je serais bien curieux de voir cette oeuvre sur scène !

Premier texte classé "drame surréaliste", cette qualification proposée par Apollinaire lui-même, est en parfaite adéquation avec le texte.
Drame par la discorde et les désaccords semés tout au long du récit, et surréaliste à tout point de vue, à commencer par la métamorphose qui constitue la trame de cette étonnante pièce, "Les mamelles de Tiresias" est une oeuvre à savourer par la beauté de son texte entièrement en rime, et les thèmes très modernes qui y sont développés. Comme dans l'ensemble de son oeuvre, Apollinaire s'affirme comme un génie, visionnaire, qui initia une nouvelle ère dans la littérature.