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Michel Décaudin (Préfacier, etc.)
EAN : 9782070300099
243 pages
Gallimard (09/05/1969)
4.14/5   371 notes
Résumé :
"Nice, 28 septembre 1914.
Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d'hier soir, j'éprouve maintenant moins de gêne à vous l'écrire..."
"18 janvier 1916.
... Je te souhaite de belles amours et beaucoup de bonheur. Alors, on s'habitue à la guerre, moi j'ai participé aux coups de chien de la cote 194 près de la butte de Tahure. Enfin je m'en tire pour l'instant sans dégâts c'est pas mal après tout. Gui."
Que lire après Poèmes à Lou - Il y a Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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Ce recueil est magnifique et très particulier, dans l'oeuvre d'Apollinaire. Comme le titre l'indique, ces poèmes sont dédiés à Lou, alias Louise de Coligny-Chatillon.

Cette jeune femme, il l'a rencontrée à Nice, en 1914, à une époque où il pensait déjà s'engager comme soldat dans la guerre. Leur relation est complexe, Lou est fantasque, se donne puis se dérobe. C'est lorsqu'il pense leur liaison rompue qu'il se décide à partir sur le front. Elle le rejoint pour lui dire au revoir.

Entre prose, poèmes et lettres, ce recueil est riche, novateur et surtout , dans sa spontanéité, sincère et touchant. Depuis les premières lignes, où il est artilleur, Apollinaire , fasciné malgré lui par le feu et les obus, offre une vue saisissante de la guerre, où s'entremêlent ses sentiments pour Lou et le quotidien d'une armée en action.

Tour à tour plein d'espoir, jaloux, désespéré, se sentant souvent abandonné, oublié d'elle, il n'en continue pas moins, même s'il est assez désabusé, à en glorifier la beauté, les métaphores sublimes d'imagination jaillissent, la sensualité , très audacieuse ( parfois trop...) explose, sur fond de tirs de canons...

" Quatre jours mon amour pas de lettre de toi
le jour n'existe plus le soleil s'est noyé
La caserne est changée en maison de l'effroi
Et je suis triste ainsi qu'un cheval convoyé"

C'est toute la sensibilité blessée d'un homme qui s'exprime, un homme qui garde pourtant de l'humour et de l'auto-dérision, un homme qui sait qu'il peut mourir à tout instant.

L'éphémère de la vie, les beautés et les fêlures de l'amour, le cruel décor guerrier, tel Cyrano écrivant à Roxane, Apollinaire fait entendre une voix unique, magique et si émouvante...



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Derrière chaque poète il y a souvent une femme.
Derrière chaque poème s'y dévoilent souvent les femmes, les muses, qui les ont inspirés.
C'est en septembre 1914, alors qu'il séjourne à Nice, que Guillaume Apollinaire rencontre Louise Coligny-Châtillon, surnommée Lou. Elle est décrite comme une jeune femme « spirituelle, dégagée, frivole, impétueuse, puérile, sensible, insaisissable, énervée, un peu éperdue en quelque sorte ». D'emblée sa personnalité fantasque fascine le poète. Elle l'aiguillonne, l'exalte, l'enflamme et lui inspirera nombreux de ses plus beaux poèmes.

Poèmes rimés ou en prose, lettres en vers, comptines, fabliaux, acrostiches, calligrammes, Lou s'anime, vibre, palpite comme une flamme vive, s'inscrit en toute lettres dans ce recueil qui lui est dédié, les « Poèmes à Lou ».
Apollinaire la chante tout entière et loue son corps tant désiré au détour de rimes qui ne laissent pas d'étonner par la hardiesse, l'audace, l'érotisme et même la crudité de leur évocation, à une époque que l'on s'imagine encore bien chaste et pudibonde en matière de relations charnelles.
Nombreux sont pourtant les poèmes qui vont clamer cet appétit physique et cette avidité sensuelle qui galvanisent l'homme et l'artiste.
Lou est l'incarnation de la Femme. Idéalisée, déifiée, réifiée aussi parfois, elle est celle qui s'offre mais ne se livre pas, celle qui aime sans se donner, fille, petite soeur, amante, déesse, Lou insaisissable, évanescente, fugitive, inconstante, lascive, maîtresse ardemment fantasmée…

Mais son coeur convoité se refuse, son âme si rêveusement espéré reste inaccessible, Apollinaire, alors engagé volontaire et affecté dans un régiment d'artillerie, se languit et s'exaspère de lettres qu'il attend avec impatience et qui viennent peu, ou pas.
Ses rimes se font alors désabusées, désespérées, pleines de regrets et de douleur, qui plus est en pleine période de guerre.
La Première Guerre et ses atrocités s'amalgament à cet amour perdu.
Les vers pleurent, s'insurgent, se lamentent, disent leur incompréhension, se résignent enfin.
En une sorte de sublimation de l'amour et de la mort, le poète enchevêtre son vécu au front, la vie des soldats de caserne, les horreurs des champs de bataille, les éclairs des obus, avec cet amour qu'il aspire à voir renaître mais qu'il sait pourtant désormais révolu.
C'est l'acrostiche formant le nom de Lou comme une dernière supplication désillusionnée et qui clôt le superbe poème « Si je mourrai là-bas » :
« La nuit descend
On y pressent
Un long un long destin de sang »

Précédé de nombreux poèmes et ébauches regroupés sous le titre « Il y a », le recueil des « Poèmes à Lou » dévoile toute la fantaisie et la liberté qu'Apollinaire a apporté à la poésie.
En prose ou en rimes, sous formes de lettres ou par ses fameux calligrammes, les mots et les vers d'Apollinaire se font tantôt aériens, oniriques, hallucinés, plein d'un imaginaire débridé, tantôt plus terre à terre, crus, croustillants et grivois.
Par ses divagations, ses chimères, ses inventions stylistiques et métaphoriques, celui qui fut l'un des premiers précurseurs du mouvement surréaliste a adopté une excentricité dans la création que l'on ne cautionnera ou comprendra pas toujours, et bien sûr certains poèmes nous parlent plus que d'autres. Toujours est-il qu'il a su insuffler à l'art de la poésie une indépendance, une autonomie qui, en le libérant des contraintes et règles imposées d'ordinaire à cet art, en lui faisant emprunter d'autres chemins, en le guidant sous d'autres latitudes, aura permis d'influencer nombre des grands poètes du XXème siècle qui lui ont succédé.
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Lou
Où es-tu qu'es-tu devenue
Une fois que ces mots d'amour te furent offerts ?
Puis-je m'adresser à toi pour parler un peu d'Apollinaire en ce temps de 1914 ?
Te dire que j'ai aimé les vers qu'il t'offrit à l'aube de cette guerre
Se croyait-il déjà éphémère dans cette tourmente à venir ?
Apollinaire qui t'aima entre un printemps et un hiver
Quatre saisons qui valent la peine d'aimer
Oui ce fut sans doute un amour vain
Oui ce fut un amour à sens unique
Ô Lou tu en sais quelque chose
Je sais la souffrance d'un amour qui ne trouve pas écho
Ni dans la voix ni dans les mots
Ni dans ce corps qui devient seul brusquement ballant balloté
Les plus poèmes ne savent pas forcément appeler la personne aimée
Même à l'aube d'une guerre
Peut-être est-ce pour cela que j'ai aimé ces vers de celui qui t'aima
La guerre reste à venir lorsqu'il t'aime Ô Lou
Et puis la guerre est venue
La guerre a jeté des trains sur des rails et des hommes aimants aimés par milliers dedans
Apollinaire dans un de ces trains quittant Nîmes pour le front
Trains bondés de jeunes hommes partant la fleur au fusil
Éperdus d'amour et de fraternité
Lui t'écrivant
Qu'est devenu ce soldat amoureux épris de toi jusqu'au train qui l'amenait à la guerre ?
Qu'est devenu ce ciel chargé de pluie et d'étoiles où il t'aimait ?
Plus loin sans doute il y a des femmes tristes et puis tes cheveux dorés
La guerre a défait les roses les lèvres les baisers
Les étreintes des corps et leurs chemins insoupçonnés
Quelle est la part d'aimer quelle est la part d'écrire ?
Lou
Où es-tu qu'es-tu devenue
Une fois la guerre venue ?
Apollinaire parmi la guerre
Parmi les obus qui tombent
Les pieds debout au milieu de l'amour et des cadavres
Au milieu de la boue et du sang
La guerre dont on ne revient jamais indemne
Mort ou fantôme de soi des autres aussi
Renaître au bout du champ de bataille à l'aube de l'éternité
La vie où on se brûle les ailes
Quelque chose de plus grand que soi
De plus grand que toi Ô Lou
Plus grand que nous
Lou tu fus une muse
Quelle est la part qui fut de toi ?
Un geste de toi peut-être dans ces poèmes
Mais voilà !
Partir gai à la guerre
Apollinaire est gai en partant à la guerre
Ô Lou y es-tu pour quelque chose dans cette joie ?
Personne n'envisage encore la mort là-bas
Ni lui ni les autres
Encore moins lui peut-être
Lui qui est étranger et se rallie à la nation française
Il n'est pas obligé de partir vers cette boucherie
Mais il y va
Le fait-il pour toi pour d'autres pour lui pour la France ?
Que reste-t-il de l'amour lorsque l'être aimé est lointain absent ?
Cette rive impossible à rejoindre
La séparation donne une couleur à l'amour
La frontière entre l'imaginaire et le réel compte-t-elle ?
Il y a une alchimie
L'acte d'aimer l'acte d'amour
L'amour pour toi Ô Lou et la peur de la guerre
Que reste-t-il de nos blessures ?
Lou
Où es-tu qu'es-tu devenue
Une fois la guerre finie ?
Voir surgir la nuit et plus loin que la nuit il y a la mort
Ô Lou le songe d'un peu de ton corps au milieu de la guerre
J'imagine ce corps frêle ardent parmi les obus
Ou plutôt j'imagine Apollinaire songeant à cette lumière parmi les bombes
Comment tenir dans la glaise sans rêve ?
La glaise collée aux bottes
Et toi Ô Lou comme une chair brûlante
Vos lettres comme des écrins à ces poèmes
Sous les mots j'entrevois la lumière de ta peau
Un sein rose palpite comme un cœur
Éphémère amour
Comment prolonger le geste d'aimer de celui qui fut brûlé en plein vol ?
J'aurais voulu tant savoir de toi
Ce que tu fis de cet amour éphémère
Après la guerre et longtemps après cette guerre
Plus tard la terre est mouillée là-bas
Le soleil meurt un peu plus loin
Plus tard Marie et son père Jean-Louis dirent vos mots sur scène
Je m'en souviens comme quelque chose de fusionnel entre les deux comédiens
Et peu après Marie fut assassinée à Vilnius
J'ai pleuré
La guerre la mort le recommencement
Et j'imagine quelque part dans le monde actuel
D'autres guerres
Une femme qui te ressemble Ô Lou
Et puis Apollinaire ou d'autres soldats comme lui aujourd'hui
En 2018 dans la glaise ou bien le sable d'un désert
Je vous aime tous les deux
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Qu'est-ce qui donne ce charme si particulier aux mots d'Appolinaire? C'est une sorte de mystère simple, ou de familiarité originale, le vers ancien qui rime avec le vers libre, les dessins que l'on déchiffre avec peine. Il y a aussi l'amour qui se frotte à la guerre et le mélange si détonnant et si nouveau de la femme aimée, de son corps attendu, avec la mitraille, les terribles tranchées de 14-18, les obus, toujours liés intimement aux seins, comme si la guerre était une continuation de l'amour par d'autres moyens, les lettres quotidiennes d'un poète perdu loin de sa muse et qui, dans l'horreur, s'en amuse. Il y a dans les petits mots d'Appolinaire une légèreté bizarre, comme s'ils avaient pour mission d'éloigner le lecteur et Lou, femme plus imaginaire que réelle, de la brutale réalité du champ de bataille, pour s'ébattre dans un autre corps à corps, dans ces guerres d'une nuit qui ne connaissent sur le moment que des vainqueurs, et qui, à la longue, quand le poète meurt au front, ne créent que des vaincus.
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Appolinaire, poète à l'immense talent du XX° siècle, après avoir publié(entre autres) le recueil "Alcools" à l'envoutement subtil, en 1913, a écrit ses "Poèmes à Lou" qui relate sa correspondance avec Louise de Coligny Chatillon entre octobre 1914 et septembre 1915. Calligrammes à l'aventureuse esthétique, verra le jour en 1918.
André Breton disait de lui qu'il était un maître de la génération nouvelle. Je rajouterais: intemporel, il nous transporte aux portes du rêve et de visions chères aux surréalistes.
Deux recueils en un.
"Il y a", textes au charme acide des citrons verts, à la séduction insolite,aux tournures quelque peu baroques et audacieuses et "Poèmes à Lou" passionné, mon préféré sur lequel je m'attarderai.
Amour fou.
Lou ma rose, pt'it Lou, mon adorable jardinière,chère chère bien aimée,jolie bizarre enfant chérie, si belle Colombelle, Lou Démone enfant, mon coeur, mon adorée... que d'appellations! Que de dévotion!
Une passion empreinte de désir que je rapprocherai de celle de Louis Blériot pour Nora dans "La vie est brêve, le désir sans fin " de Patrick Lapeyre, car nous retrouvons un homme éperdu de désir face à la femme enfant qui tour à tour se dérobe, se prête, se détache, se laisse ..désirer.
Mais en plus c'est du vrai! de la passion pure.
Fascinante, puérile,frivole, avec ses grands beaux yeux de biche,Louise Chatillon Coligny sait jouer de son charme lorsqu'Appolinaire la rencontre en septembre 1914.Elle le provoque, spirituelle, impétueuse.
Insaisissable, elle se dérobe, lui échappe. Il part à Nimes et rejoint le 38° régiment d'artillerie en décembre. Elle le rejoint, mutine, langoureuse. Se donne, l'affole. Repart. le revoit quelques fois. Et s'en suit cette correspondance.
Elle le traite de "Toutou", qu'importe, il est à ses pieds.Spontané, vrai, il espère.
Journal dans lequel il se raconte.
"Je fume un cigare à Tarascon en humant un café".
Passion déchainée à l'érotisme violent:
"Ô mon unique amour et ma tendre folie";
"Si tu te couches Douceur tu deviens mon orgie"
Il chante la joie et la douleur des corps, l'attente et la souffrance:
"De toi depuis longtemps je n'ai pas de nouvelles"
"Chaque heure infiniment augmente sa souffrance"
Il connait cette souffrance et le prix de l'attente.
"Car ô ma chevelure de feu tu es la torche
Qui m'éclaire ce monde et flamme tu es ma force."
"Je rêve de t'avoir nuit et jour dans mes bras
Je respire ton âme à l'odeur des lilas".

Quelle femme n'a rêvé d'être l'objet de tels débordements?
Appolinaire émeut et touche de ses vers sublimes et également lorsqu'il entremèle ses poèmes enflammés de calligrammes( poèmes dont la topographie a la forme d'un dessin, tour à tour croix,fleur, tête au chapeau..) à la réelle portée esthétique comme de petits tableaux offerts à l'aimée.
Un beau portrait d'homme tendre et amoureux s'élève alors!
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J’écris tout seul…

Mon cœur j’ai regardé longtemps ce soir
Devant l’écluse
L’étoile ô Lou qui fait mon désespoir
Mais qui m’amuse

Ô ma tristesse et mon ardeur Lou mon amour
Les jours s’écoulent
Les nuits s’en vont comme s’en va le jour
Les nuits déroulent

Le chapelet sacrilège des obus boches
C’est le printemps
Et les oiseaux partout donnent leurs bamboches
On est content

On est content au bord de la rivière
Dans la forêt
On est content La mort règne sur terre
Mais l’on est prêt

On est prêt à mourir pour que tu vives
Dans le bonheur
Les obus ont brûlé les fleurs lascives
Et cette fleur

Qui poussait dans mon cœur et que l’on nomme
Le souvenir
Il reste bien de la fleur son fantôme
C’est le désir

Il ne vient que la nuit quand je sommeille
Vienne le jour
Et la forêt d’or s’ensoleille
Comme l’Amour

Les nuages s’en vont courir les mondes
Quand irons-nous
Courir aussi tous deux les grèves blondes
Puis à genoux

Prier devant la vaste mer qui tremble
Quand l’oranger
Mûrit le fruit doré qui te ressemble
Et sans bouger

Écouter dans la nuit l’onde cruelle
Chanter la mort
Des matelots noyés en ribambelle
Ô Lou tout dort

J’écris tout seul à la lueur tremblante
D’un feu de bois
De temps en temps un obus se lamente
Et quelquefois

C’est le galop d’un cavalier qui passe
Sur le chemin
Parfois le cri sinistre de l’agace
Monte Ma main

Dans la nuit trace avec peine ces lignes
Adieu mon cœur
Je trace aussi mystiquement les signes
Du Grand Bonheur

Ô mon amour mystique ô Lou la vie
Nous donnera
La délectation inassouvie
On connaîtra

Un amour qui sera l’amour unique
Adieu mon cœur
Je vois briller cette étoile mystique
Dont la couleur

Est de tes yeux la couleur ambigüe
J’ai ton regard
Et j’en ressens une blessure aigüe
Adieu c’est tard
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En allant chercher des obus

Toi qui précèdes le long convoi qui marche au pas
Dans la nuit claire
Les testicules pleins, le cerveau tout empli d’images neuves
Le sergent des riz pain de sel qui jette l’épervier dans le canal bordé de
tilleuls
L’âme exquise de la pluie Jolie me parvient dans l’odeur soudaine des
lilas qui déjà tendent à défleurir dans les jardins abandonnés

Des Bobosses poudreux reviennent des tranchées blanches comme
les bras de l’Amour

Je rêve de t’avoir nuit et jour dans mes bras
Je respire ton âme à l’odeur des lilas

Ô Portes de ton corps
Elles sont neuf et je les ai toutes ouvertes
O Portes de ton corps
Elles sont neuf et pour moi se sont toutes refermées

À la première porte
La Raison Claire est morte
C`était, t’en souviens-tu le premier jour à Nice
Ton oeil de gauche ainsi qu`une couleuvre glisse
Jusqu’à mon coeur
Et que se rouvre encore la porte de ton regard de gauche

À la seconde porte
Toute ma force est morte
C`était t’en souviens-tu dans une auberge à Cagnes
Ton oeil de droite palpitait comme mon coeur
Tes paupières battent comme dans la brise battent les fleurs
Et que se rouvre encore la porte de ton regard de droite

À la troisième porte
Entends battre l’aorte
Et toutes mes artères gonflées par ton seul amour
Et que se rouvre encore la porte de ton oreille de gauche

À la quatrième porte
Tous les printemps m’escortent
Et l’oreille tendue entends du bois joli
Monter cette chanson de l`amour et des nids
Si triste pour les soldats qui sont en guerre
Et que se rouvre encore la porte de ton oreille de droite

À la cinquième porte
C`est ma vie que je t’apporte
C’était t’en souviens-tu dans le train qui revenait de Grasse
Et dans l`ombre, tout près, tout bas
Ta bouche me disait
Des mots de damnation si pervers et si tendres
Que je me demande, ô mon âme blessée
Comment alors j’ai pu sans mourir les entendre
Ô mots si doux, si forts que quand j’y pense il me semble que je les touche
Et que s’ouvre encore la porte de ta bouche

À la sixième porte
Ta gestation de putréfaction, ô Guerre, avorte
Voici tous les printemps avec leurs fleurs
Voici les cathédrales avec leur encens
Voici tes aisselles avec leur divine odeur
Et tes lettres parfumées que je sens
Pendant des heures
Et que se rouvre encore la porte de ta narine de gauche

À la septième porte
Ô parfums du passé que le courant d’air emporte
Les effluves salins donnaient à tes lèvres le goût de la mer
Odeur marine, odeur d’amour; sous nos fenêtres mourait la mer
Et l’odeur des orangers t’enveloppait d’amour
Tandis que dans mes bras tu te pelotonnais
Quiète et coite
Et que se rouvre encore la porte de ta narine de droite

À la huitième porte
Deux anges joufflus veillent sur les roses tremblantes qui supportent
Le ciel exquis de ta taille élastique
Et me voici armé d`un fouet fait de rayons de lune
Les amours couronnés de jacinthe arrivent en troupe
Et que se rouvre encore la porte de ta croupe

À la neuvième porte
Il faut que l`amour même en sorte
Vie de ma vie
Je me joins a toi pour l’éternité
Et par l’amour parfait et sans colère
Nous arriverons dans la passion pure ou perverse
Selon ce qu’on voudra
À tout savoir à tout voir, à tout entendre
Je me suis renoncé dans le secret profond de ton amour
Ô porte ombreuse, ô porte de corail vivant
Entre les deux colonnes de perfection
Et que se rouvre encore la porte que tes mains savent si bien ouvrir

Courmelois, le 13 mai 1915
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Je pense à toi

Je pense à toi mon Lou ton cœur est ma caserne
Mes sens sont tes chevaux ton souvenir est ma luzerne

Le ciel est plein ce soir de sabres d’éperons
Les canonniers s’en vont dans l’ombre lourds et prompts

Mais près de toi je vois sans cesse ton image
Ta bouche est la blessure ardente du courage

Nos fanfares éclatent dans la nuit comme ta voix
Quand je suis à cheval tu trottes près de moi

Nos 75 sont gracieux comme ton corps
Et tes cheveux sont fauves comme le feu d’un obus
qui éclate au nord

Je t’aime tes mains et mes souvenirs
Font sonner à toute heure une heureuse fanfare
Des soleils tour à tour se prennent à hennir
Nous sommes les bat-flanc sur qui ruent les étoiles
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ISPAHAN

Pour tes roses
J'aurais fait
Un voyage plus long encore

Ton soleil n'est pas celui
Qui luit
Partout ailleurs
Et tes musiques qui s'accordent avec l'aube
Sont désormais pour moi
La mesure de l'art
D'après leur souvenir
Je jugerai
Mes vers les arts
Plastiques et toi-même
Visage adoré

Ispahan aux musiques du matin
Réveille l'odeur des roses de ses jardins

J'ai parfumé mon âme
A la rose
Pour ma vie entière

Ispahan grise et aux faïences bleues
Comme si l'on t'avait
Faite avec
Des morceaux de ciel et de terre
En laissant au milieu
Un grand trou de lumière
Cette
Place carrée Meïdan
Schah trop
Grande pour le trop petit nombre
De petits ânes trottinant
Et qui savent si joliment
Braire en regardant
La barbe rougie au henné
Du Soleil qui ressemble
A ces jeunes marchands barbus
Abrités sous leur ombrelle blanche

Je suis ici le frère des peupliers

Reconnaissez beaux peupliers aux fils d'Europe
O mes frères tremblants qui priez en Asie

Un passant arqué comme une corne d'antilope
Phonographe
Patarafes
La petite échoppe
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Ta bouche me disait
Des mots de damnation si pervers et si tendres
Que je me demande ô mon âme blessée
Comment j’ai pu alors sans mourir les entendre
O mots si doux si forts que quand j’y pense il me semble
Que je les touche
Et que s’ouvre encore la porte de ta bouche
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