EverWorld, tome 1 : A la recherche de Senna

-- Eh bien, quand quelqu'un réussira à rouler Ka-Anor, non seulement les poules auront des dents, mais en plus elles en profiteront pour parler anglais, jouer au badminton le samedi soir et muscler leur QI en débattant de l'utilisation du rouge dans la peinture post-structuraliste de l'Europe de l'Est entre 1923 et 1925.

Quand l'un de nous s'endormait dans Everworld, il se réveillait dans son ancienne vie, dans son ancien corps. avec dans la tête deux mémoires distinctes: d'une part les souvenirs d'une journée ordinaire et monotone, partagée entre le lycée et la maison. Et d'autre part les souvenirs beaucoup moins ennuyeux de ce que nous avions vécu à Everworld.
C'était comme si mon moi réel, normal, celui qui n'avait pas attaqué les Aztèques avec des épées vikings, c'était comme si ce moi subissait de temps en temps une petite mise à jour. Et inversement. Comme si je, nous, les deux Christopher se branchaient par intermittence sur CNN pour savoir ce qui était arrivé à leur double.
"Oh, intéressant, je vois que tu as obtenu un B plus à ton devoir de chimie.
Oh, intéressant, je vois qu'on va bientôt t'arracher le coeur pour le jeter en pâture à Huitzilopochtli.
Eh bien, merci pour cette information et bonne chance pour ton rencard de samedi soir!
Merci et bonne chance à toi, j'espère que tu arriveras à t'échapper avant d'être dévoré par les cannibales. A plus!"

Je remontais la plage. Mes pieds foulaient le sable chaud et s'enfonçaient à chaque pas. Le sable m'aspirait. Il essayait de m'arrêter, de me retenir dans ma course suicidaire.
Mais tout autour de moi, ce n'était que folie. Des hommes livrés à la rage frénétique du combat. Avides de tuer. Assoiffés de sang qui imprégnerait le sable. Pas le leur, bien sûr, en effet quel imbécile s'est jamais lancé dans la bataille en se disant que c'est lui qui allait mourir? Le film qui se joue dans votre tête vous montre sous les traits d'un héros pourfendant bravement les méchants. Vous ne gardez que la hardiesse et occultez la vision de vos intestins répandus au soleil.

"Je vous l'avait bien dit. Je le sentais venir. Ça ne pouvait pas rater. Tôt ou tard, il fallait que les farfadets entrent en scène."

BAE: Bienvenue à Everworld

Fais pas ci, fais pas ça. Parce que sur le long chemin d'ennui que sera ta vie, sur ce chemin tracé d'avance qui te mènera du berceau à la maternelle, puis à l'école primaire, à l'université, à l'entreprise, à la maison de retraite en Floride et à la tombe où tu te décomposeras lentement pour l'éternité, il ne devra y avoir sur ce chemin que des pensées positives, une alimentation équilibrée et des chansons d'amour débiles.

Un de mes premiers romans "fantasy", celui qui m'a donné l'envie d'en lire d'autres!

Senna est la nuit, comme April est le jour. Elle est une de ces nuits où, allongé les yeux grands ouverts dans le noir, vous sentez l’énergie qui brûle à l’intérieur de vous. Elle ne vous laisse jamais en paix. Senna est une de ces nuits où vous roulez sans but dans les rues au volant de votre voiture, l’œil à l’affût, avide de quelque chose de dangereux et d’excitant à la fois.
Senna est une magicienne qui vous promet des révélations, mais qui vous cache toujours l’essentiel. Elle est déroutante, obscur, envoûtante.
Marche le long de cette allée sombre avec moi, Christopher. Pourquoi ? Je ne te le dirais pas. Je me contenterai de ce sourire énigmatique. Et quand tu me demanderas s’il y a quelque chose à redouter, je te répondrai : « Oui, Christopher. Ce n’est pas ce que tu souhaitais ? »
Senna fréquentait mon lycée. Mais c’était un grand lycée, il y avait beaucoup de filles, et je ne l’avais pas remarquée. Pourquoi ? Sur ce point, j’ai une théorie. Je crois que je n’avais pas remarqué Senna, tout simplement parce qu’elle ne voulait pas que je le fasse. Pas tout de suite.
Mais à cette fête au bord de la piscine, la fête d’April, Senna avait souhaité que je la voie, que je concentre toute mon attention sur elle, que ma bouche se dessèche, que mes membres prennent la consistance du coton.
C’est une fille étrange et inquiétante. Ne sous-estimez jamais la face obscure de la force.

Combattre ou fuir. La décision fondamentale que doivent prendre toutes les formes de vie consciente, à un moment ou un autre. Certaines fuient toujours. Aucune ne combat systématiquement.
Ce moment où vous décidez de décamper devant une menace est vraiment particulier. C’est là que vous vous rendez compte que vous êtes en danger. Et que ce danger est trop grand pour que vous l’affrontiez. Ou du moins que le risque est trop grand par rapport à ce que vous pouvez y gagner.
En une fraction de seconde, vous devenez la proie. Et toutes les réactions instinctives de la proie surgissent en vous du plus profond de votre être. La peur. Pire encore, une peur vertigineuse.

— Pourquoi nous as-tu entraînés ici ? ai-je demandé sur un ton amer.
Senna a réfléchi un moment. Puis elle a répondu :
— Ici, c’est un monde plein de dangers. Je ne savais pas grand-chose. Juste que ça allait arriver. Je ne…
Elle a secoué la tête et détourner les yeux. Mais en me laissant le temps de voir la tristesse sur son visage.
— Quoi ? l’ai-je pressée.
— Je ne voulais pas être seule, a-t-elle ajouté, pathétique. Et j’avais besoin d’un champion pour me défendre.
— David ?
— C’est tout ce que j’ai pu trouver dans l’urgence.
Ça me rendait folle la façon qu’elle avait de dire ça. Peut-être que David n’était pas vraiment Galaad, mais il risquait sa vie pour elle, pour moi. Pour le monde.
Tout ce qu’elle avait pu trouver dans l’urgence ?
— Tu croyais que ça allait être comment ici ? l’ai-je questionnée. Je veux dire, tu avais bien une petite idée. Tu savais que c’était un coin bourré de dragons et de trolls ? Tu avais entendu parler de Loki ?
— On n’est pas amies, toi et moi, April. Ne crois pas que je vais répondre à tes questions alors que tu me détestes, OK ?
J’aurais voulu la gifler. Mais comment savoir ce qu’elle m’aurait fait en retour ?