Première nouvelle : « Tant pis pour Eva »
Cette nouvelle relate les aventures tragi-comiques d'un couple qui se vautre royalement dans la mégalomanie en arborant, aux quatre coins de Cuba, des vêtements plus exubérants et chatoyants les uns que les autres. En parallèle des aventures vestimentaires rocambolesques de Ricardo et Éva à La Havane, puis dans les différentes provinces du pays, l'on suit aussi la descente aux enfers d'une île où, petit à petit, les vivres viennent à manquer. C'est ainsi que tickets de rationnement et marché noir deviennent le quotidien des Cubains. Une nouvelle qui semble fantaisiste – on parle bien de « l'écriture hallucinatoire de
Reinaldo Arenas » et les personnages portent des vêtements en laine (Cuba est quand même un pays tropical où cette matière n'est pas appropriée pour un tel climat !) – mais qui révèle subtilement la réalité du pays… Car ces deux personnages ne supportent plus le conformisme et les normes imposés par la dictature castriste. Ils n'acceptent plus non plus de n'être que des individus banals censés se fondre dans la masse d'un pays où la « différence » n'est pas acceptée. D'où les situations de plus en plus ubuesques dans lesquelles se trouvent nos personnages, poursuivis par les autorités… le fil à tricoter dans cette nouvelle me donne l'impression d'une métaphore. Au début du récit (qui correspond à la fin des années 50 donc au début du castrisme), le fil est abondant, tout comme les vivres à Cuba. Mais au fur et à mesure, nos deux amoureux du tricot en manquent de plus en plus. Ils finissent par devoir le trouver au marché noir, puis le remplacer par des cordes à linge volées. Et c'est toute l'histoire de Cuba : au fil des années, embargo oblige, les vivres manquent, petit à petit. Les Cubains doivent user de débrouillardise et s'alimenter, se ravitailler au marché noir puisqu'ils sont strictement rationnés…
Deuxième nouvelle : « Mona »
Une nouvelle complètement délirante qui m'a « grave » enthousiasmée : j'adore, j'adore, j'adore ! Comment
Reinaldo Arenas a eu la géniale idée d'inventer ce fait-divers et tous les personnages qui en découlent, tout en pratiquant une auto-dérision à mourir de rire ? C'est vrai qu'il était frivole cet auteur – il le dit lui-même – mais il était surtout très très talentueux ! Car il fallait l'imaginer cette histoire de femme-Joconde. Arenas fait donc plonger son lecteur dans le célèbre tableau de Léonard de Vinci où Mona Lisa, qui se fait appeler « Elisa », n'est autre que le grand peintre lui-même… ou plutôt ce à quoi il aurait aimé ressembler : une belle « femme aux cheveux raides d'un roux foncé, aux traits parfaits, cette femme dont une main était délicatement posée sur le poignet de l'autre, souriant d'un air presque moqueur sur fond de paysage brumeux où l'on pouvait distinguer un chemin débouchant sur un lac »… Cette nouvelle intitulée « Mona » a un petit côté « Portrait de Dorian Gray », le côté machiavélique d'Elisa-Léonard de Vinci en plus.
Troisième nouvelle «
Voyage à La Havane »
La dernière nouvelle de ce recueil est aussi celle où l'on retrouve quelques-uns des thèmes favoris de
Reinaldo Arenas : la quête de l'identité, l'homosexualité, la solitude, l'exil et l'inhumanité, à travers la négation de l'individu et de ses besoins, du régime castriste. Cette nouvelle est donc la plus réaliste et la moins « fantaisiste » du recueil. D'ailleurs, elle porte son nom : «
Voyage à La Havane ». On y rencontre Ismaël, un exilé qui a quitté Cuba il y a plus de quinze ans et qui rentre au pays, pas tant pour retrouver sa famille, Elvia sa femme et Ismaëlito son fils, que pour se (re)trouver lui-même. le regard que porte Arenas, lui-même en exil lors de l'écriture de cette nouvelle, sur Cuba, La Havane, les Cubains et le régime castriste est particulièrement noir et presque sans espoir. Heureusement qu'il place l'amour au coeur de tout, y compris du malheur, de la solitude et du désespoir. C'est d'ailleurs par manque d'amour, en tout cas c'est ce qu'il écrivait lui-même dans sa « lettre d'adieu », par « dépression sentimentale » que
Reinaldo Arenas a mis fin à ses jours en décembre 1990… Une nouvelle forte, qui met en lumière l'âme poétique d'un auteur profondément sensible.