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EAN : 9782070324026
185 pages
Gallimard (03/03/1987)
3.97/5   51 notes
Résumé :
Si, en 1936, un poète désespéré par l'Europe n'avait cherché, au prix de difficultés et de souffrances incroyables, à se porter à la rencontre des Tarahumaras, mangeurs de peyotl, leur nom ne nous serait pas aussi familier, il ne serait pas devenu ce vocable évocateur de fabuleux paysages : montagnes peuplées d' " effigies naturelles " et gravées de signes magiques, ciels qui auraient inspiré leurs bleus aux peintres d'avant la Renaissance, cortèges de Rois mages ap... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Antonin Artaud naquit dans un corps malade.

Il essaya de conjurer cette souffrance constante par le recours aux drogues et par l'élaboration d'une métaphysique de révolte contre les institutions et surtout la religion.

Le chemin de croix que lui imposa sa maladie, ses errances d'hôpitaux psychiatriques en cures de désintoxication et en séances d'électrochocs administrées avec une brutalité inouïe, font partie de l'image, vraie hélas, d'Artaud auprès du grand public.

Ce prosateur génial et excessif, génial parce qu'il osait l'excès, a forgé une véritable spiritualité fondée sur le rejet du christianisme né d'une imposture : Dieu ne peut être le créateur de toute chose puisque le le grand ordre universel, lui pré-existait nécessairement sous forme d'Idées.

Dieu, «ce lâche», précise Artaud, a envoyé sur la terre un bouc émissaire bien soumis afin de ne pas compromettre sa divinité dans les affaires salissantes des hommes : il a trompé les humains en leur adressant un pseudo messie, né de la génération sexuelle, de laquelle proviennent le mal et la souffrance puisqu'elle assigne l'âme à une enveloppe : elle se retrouve ainsi enfermée dans un faux «je» cerné de toute part par les illusions du monde sensible.

Nul doute qu'il se projetait lui-même sur l'image christique, à la fois dupe et victime du grand traquenard divin.

Les rites chrétiens sont en outre impuissants à tirer l'âme vers le vrai, loin des illusions du dualisme qui distingue l'âme du corps qu'elle habite et avec lequel elle ne fait qu'un ; et la laissant ainsi errer dans un magma fait de Bien et de Mal mélangés sans lui donner le moyen de les discerner.

Comment distinguer la bonne voie dans cet océan de faux-semblants ?

En 1936 Artaud se rendit au Mexique où il rencontra la tribu des Tarahumaras, amérindiens à l'écart de la civilisation occidentale dite «dégénérée". Ces indiens vivaient, ( et vivent toujours), dans l'Etat de Chihuahua.

Ces hommes, proches de l'humain éternel, communiquent avec le grand Tout au moyen de transes permises par l'usage du Peyotl et par des rites de danse cosmiques. Les sorciers purifiés grâce à un parcours initiatique de trois ans peuvent seuls conduire ces manifestations collectives d'union avec le monde vrai. Artaud, après quelques mises à l'épreuve, obtint la permission d'observer ces rites et même, d'après ses dires, d'y participer.

Il les décrivit dans divers récits regroupés dans le présent volume sous le titre «Les Tarahumaras» et les évoqua dans de nombreux courriers adressés à ses éditeurs.

La civilisation des Tarahumaras n'a pas évolué depuis son début, puisque déjà parfaite et non susceptible d'amélioration. Ses membres tiennent la vie ici-bas pour peu de chose et ne sont nullement attachés à leur corps. Seule la philosophie les intéresse, et la vraie spiritualité. Artaud concède du bout des lèvres l'influence du catholicisme importé par les espagnols lors de la conquête : ainsi ils reconnaitraient le voile de sainte Véronique. Mais l'absorption des images extérieures du culte occidental n'a été que superficielle et la pureté de leur vraie foi n'en a pas été affectée. Certains doutent de la réalité du voyage d'Antonin Artaud chez les Tarahumaras. Je me rangerai à l'avis de J.MG le Clézio pour qui la réalité effective de ce voyage n'a pas d'importante au regard de son message métaphysique et de son expérience spirituelle.

On distingue à travers ces essais de mystique immanente un Artaud pénétré de philosophie platonicienne, biblique et orientale, même si sa lecture est très critique.

Quant aux expériences à travers les drogues en général, et le peyotl en particulier, elles n'étaient pas rares chez les surréalistes (il appartint à ce mouvement et s'en fit exclure, ou s'auto-exclut au moment de l'adhésion de ses membres au Parti Communiste) : Henri Michaud André Breton…. et d'autres aussi tels Aldous Huxley et Carlos Castaneda

Ce qui m'a le plus frappée est la puissante poésie qui innerve l'écriture d'Artaud : j'ai reproduit quelques extraits dans les citations.
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Un livre qui traîne dans ma bibliothèque depuis pas mal d'années. Je connais peu l'oeuvre d'Artaud, et donc j'imagine que cet ouvrage plaira davantage aux amateurs/fans/spécialistes du dramaturge. le livre se présente comme un ensemble de textes, dans un désordre chronologique, sur le voyage qu'a entrepris Antonin Artaud auprès de la tribu des Tarahumaras, des indiens du Mexique dont les rites tournent principalement autour de la danse et de la consommation du peyotl.
On retrouve plusieurs thématiques qui semblent chères à Artaud : la danse, la corporalité des rites et donc la théâtralité de ces actes ; la recherche d'une Réponse, d'un "Impossible" comme il est dit dans la préface, en somme vouloir faire l'expérience d'une autre façon d'être pour pouvoir se retrouver ou trouver... quelque chose ? ; la question de la foi, et notamment des délires mystiques qui se mêlent à une conversion chrétienne qu'il reniera ; enfin une adversité face au progrès tel que conceptualisé dans les civilisations "avancées" et qui est une perdition par rapport aux traditions séculaires.
L'ouvrage peut être intéressant sur certains de ces aspects mais cela reste assez tiède et l'on comprend surtout qu'Artaud était face à une profonde crise existentielle qu'il a essayé de résoudre (en vain). On appréciera (ou pas) dès lors les envolées mystiques de l'auteur, qui peuvent passer pour de la poésie hallucinée ou des délires proches du Matin des Magiciens.
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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
Il arrive souvent que la nuit monte mal sur l’âme et de telle sorte que celle-ci, forcée de tentations et lasse, ne sait plus très bien d’où elle vient : d’en haut ou d’en bas, de la lumière ou des ténèbres. C’est alors que le peyotl donné par Jésus-christ intervient. Il prend l’âme derrière le dos et la rassied dans la lumière éternelle, telle que venue de l’Esprit d’en haut ; et la maintenant dans cet En-Haut il lui apprend à distinguer entre elle et cette énergie insondable qui est comme l’infini multiple de ses propres capacités et qui commence là où, milliards de milliards appelés êtres, nous nous éteignons et tarissons.

- Si haut que je sois monté dans les ténèbres du mental je n’ai pas toujours conscience de m’être décidé pour les raisons les plus claires pour ceci ou pour cela. – Il y a entre le moi et le non-moi une guerre que les siècles jusqu’ici n’ont pas encore tranchée. L’Illusoire que je n’aime pas me donne bien souvent l’impression d’occuper ma conscience avec une vigueur séductrice bien plus forte que le Réel. – C’est qu’avant moi il y a la tentation : tentation d’être ceci ou cela, comme ceci ou comme cela, celui-ci ou celui-là. C’est la raison de cet épouvantable combat que dans le pré-conscient de ma Volonté et de mes Actes j’ai toujours mené avec ce qui n’est pas moi. – Mais qui me dira en vertu de quoi je me suis décidé à choisir ma conscience. L’homme vit le Bien et la Mal comme si une force les lui dictait mais il ne s’est jamais vu à la Source distributrices des impulsions innomées qui le portent à juger et à préférer. Quand il fait le Bien il le juge meilleur, rassurant et très préférable, mais quand il fait le Mal, ou quand un instant il y pense il se demande si ce n’est pas lui par hasard qui serait le meilleur, et pour quelles raisons, ces raisons justement disparues de sa conscience et que le Mal vient d’enténébrer, le Bien a été conçu par lui comme Bon et le Mal comme mauvais, alors que Dieu (…) n’a jamais cessé de lui dire.

A s’accepter ainsi sans curiosité pour Dieu et sans problème, l’homme n’est plus cet inerte automate, générateur d’ennui et de folie, qu’a déserté toute conscience, et que l’âme encore pure a fui, parce qu’elle sent percer le moment où cet Automate va accoucher de la Bête (…).
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A force de voir autour de moi mentir les hommes, mentir sur ce qui fait être idée, ce refus imbécile de s’avancer jusqu’aux idées, j’ai éprouvé le besoin de quitter l’homme et de m’en aller, où je pourrai enfin librement m’avancer avec mon cœur, tout ce cœur qui devant ma conscience attentive cueille et déblaie les émotions d’images qui lui viennent de l’Absolu circulaire, ce flot tissu perçant ma colonne vertébrale et que mon cœur ensuite vers mon plexus rejette avec le spasme d’une mer. (…) On voit Dieu quand on le veut bien, et voir Dieu c’est ne pas être satisfait de la petite enclave des sensations terrestres qui n’ont jamais fait que d’un peu plus ouvrir la faim d’un moi et d’une conscience entière, que ce monde ne cesse pas d’assassiner et de tromper.

Un jour j’ai été loin de Dieu, mais jamais non plus je ne me suis senti si loin de ma propre conscience, et j’ai vu que sans Dieu il n’y a pas de conscience ni d’être, et que l’homme qui se croit encore vivre ne pourra plus jamais rentrer en soi.

C’est ainsi que poussant vers Dieu, j’ai retrouvé les Tarahumaras.

La plus haute idée de la conscience humaine et de ses universels répondants : Absolu, Eternité, Infini, existe encore chez cette race de vieux Indiens qui disent avoir reçu le Soleil pour le transmettre aux méritants, et qui dans les rites du Ciguri ont conservé la porte organique de la preuve, par laquelle notre être, que l’impure assemblée des êtres a rebuté, sait qu’il est lié à cet au-delà des perceptions corporelles où le Cœur du Divin se consume à nous appeler.
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C'est l'ordre hiérarchique des choses qui veut qu'après être passé par le TOUT, c'est-à-dire le multiple, qui est les choses, on en revienne au principe de l'Un (...) pour ensuite se dissoudre et ressusciter par le moyen de cette opération de réassimilation mystérieuse.
(...)
L'extirpation de propriétés va jusqu'à dieu et l'outrepasse ; car dieu, et surtout dieu, ne peut prendre ce qui dans le moi est authentiquement le soi-même, si fort que celui-ci ait l'imbécillité de s'abandonner.
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Fait à la gloire externe du soleil Tutuguri est un rite noir. Le Rite de la nuit noire et de la mort éternelle du soleil. Non, le soleil ne reviendra plus.
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L'humanisme de la Renaissance ne fut pas un agrandissement mais une diminution de l'homme, puisque l'homme a cessé de s'élever jusqu'à la nature pour ramener la nature à sa taille à lui, et la considération exclusive de l'humain a fait perdre le Naturel.
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Vidéo de Antonin Artaud
Antonin ARTAUD – Témoignages (DOCUMENTAIRE with english subtitles, 1993) Les deux parties du documentaire "La Véritable Histoire d'Artaud le Mômo", par Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, réalisées en 1993. Présences : Luciane Abiet, Jacqueline Adamov, André Berne-Joffroy, Annie Besnard-Faure, Gustav Bolin, Denise Colomb, Pierre Courtens, Alain Gheerbrant, Alfred Kern, Gervais Marchal, Domnine Milliex, Minouche Pastier, Henri Pichette, Marcel Piffret, Rolande Prevel, Marthe Robert, Jany Seiden de Ruy, Paule Thévenin et Henri Thomas.
>Histoire, géographie, sciences auxiliaires de l'histoire>Histoire de l'Amérique du nord>Histoire de l'Amérique Centrale (55)
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