Antonin Artaud naquit dans un corps malade.
Il essaya de conjurer cette souffrance constante par le recours aux drogues et par l'élaboration d'une métaphysique de révolte contre les institutions et surtout la religion.
Le chemin de croix que lui imposa sa maladie, ses errances d'hôpitaux psychiatriques en cures de désintoxication et en séances d'électrochocs administrées avec une brutalité inouïe, font partie de l'image, vraie hélas, d'Artaud auprès du grand public.
Ce prosateur génial et excessif, génial parce qu'il osait l'excès, a forgé une véritable spiritualité fondée sur le rejet du christianisme né d'une imposture : Dieu ne peut être le créateur de toute chose puisque le le grand ordre universel, lui pré-existait nécessairement sous forme d'Idées.
Dieu, «ce lâche», précise Artaud, a envoyé sur la terre un bouc émissaire bien soumis afin de ne pas compromettre sa divinité dans les affaires salissantes des hommes : il a trompé les humains en leur adressant un pseudo messie, né de la génération sexuelle, de laquelle proviennent le mal et la souffrance puisqu'elle assigne l'âme à une enveloppe : elle se retrouve ainsi enfermée dans un faux «je» cerné de toute part par les illusions du monde sensible.
Nul doute qu'il se projetait lui-même sur l'image christique, à la fois dupe et victime du grand traquenard divin.
Les rites chrétiens sont en outre impuissants à tirer l'âme vers le vrai, loin des illusions du dualisme qui distingue l'âme du corps qu'elle habite et avec lequel elle ne fait qu'un ; et la laissant ainsi errer dans un magma fait de Bien et de Mal mélangés sans lui donner le moyen de les discerner.
Comment distinguer la bonne voie dans cet océan de faux-semblants ?
En 1936 Artaud se rendit au Mexique où il rencontra la tribu des Tarahumaras, amérindiens à l'écart de la civilisation occidentale dite «dégénérée". Ces indiens vivaient, ( et vivent toujours), dans l'Etat de Chihuahua.
Ces hommes, proches de l'humain éternel, communiquent avec le grand Tout au moyen de transes permises par l'usage du Peyotl et par des rites de danse cosmiques. Les sorciers purifiés grâce à un parcours initiatique de trois ans peuvent seuls conduire ces manifestations collectives d'union avec le monde vrai. Artaud, après quelques mises à l'épreuve, obtint la permission d'observer ces rites et même, d'après ses dires, d'y participer.
Il les décrivit dans divers récits regroupés dans le présent volume sous le titre «
Les Tarahumaras» et les évoqua dans de nombreux courriers adressés à ses éditeurs.
La civilisation des Tarahumaras n'a pas évolué depuis son début, puisque déjà parfaite et non susceptible d'amélioration. Ses membres tiennent la vie ici-bas pour peu de chose et ne sont nullement attachés à leur corps. Seule la philosophie les intéresse, et la vraie spiritualité. Artaud concède du bout des lèvres l'influence du catholicisme importé par les espagnols lors de la conquête : ainsi ils reconnaitraient le voile de sainte Véronique. Mais l'absorption des images extérieures du culte occidental n'a été que superficielle et la pureté de leur vraie foi n'en a pas été affectée. Certains doutent de la réalité du voyage d'
Antonin Artaud chez
les Tarahumaras. Je me rangerai à l'avis de J.MG le Clézio pour qui la réalité effective de ce voyage n'a pas d'importante au regard de son message métaphysique et de son expérience spirituelle.
On distingue à travers ces essais de mystique immanente un Artaud pénétré de philosophie platonicienne, biblique et orientale, même si sa lecture est très critique.
Quant aux expériences à travers les drogues en général, et le peyotl en particulier, elles n'étaient pas rares chez les surréalistes (il appartint à ce mouvement et s'en fit exclure, ou s'auto-exclut au moment de l'adhésion de ses membres au Parti Communiste) : Henri Michaud André Breton…. et d'autres aussi tels
Aldous Huxley et
Carlos Castaneda …
Ce qui m'a le plus frappée est la puissante poésie qui innerve l'écriture d'Artaud : j'ai reproduit quelques extraits dans les citations.