Notre vieille orthographe combine la virtualité monodique élocutoire, panorama, et la convention visuelle, houseaux. Nous tenons à elle pour l'unique chance de maîtrise professionnelle qu'elle nous consent, à nous scribes rêveurs. De périodiques hurluberlus s'attellent à la réformer. Le dernier en date s'appelle Beslais, dignitaire éducatif que démange l'envie de s'épeler Bélé. Sous prétexte de rigueur logique et d'efficacité pratique ils sont plus poétistes que le poète. Ils croient en effet que le langage, pour ne pas dire le verbe, doit adhérer, hermétique, exact, collant et consubstantiel à l'ensemble des objets, faire corps avec un univers prononçable sans erreur.
D'où provient qu'il me déplaît si fort d'introduire des chiffres dans la substance d'un texte, sinon d'un sentiment superstitieux de sacrilège ? Sentiment irraisonné, familier, infantile. Peut-être lui rattacherons nous des attitudes mieux définissables et, au premier chef, la répugnance devant le cheveu sur la soupe et la pilule de plomb dans le caviar. De même, on a mal au cœur en présence de vocables anglais dans un paragraphe en principe français.
Approximative personne féminine par le suave modelé de la découpure générale, ses membres, néanmoins, laissant présager la plus grande force physique sous le satiné de l'épiderme, l'ange, sans doute, ne relève d'aucun sexe, encore que la grammaire le range masculin.
Nous ne demandons au papier que de supporter la promenade de notre main. Nous ne la déléguons à écrire qu'afin de la distinguer de nos pieds.
En somme, tous ensemble, nous composons le livre, ce livre général et définitif que Stéphane Mallarmé rêva de rédiger tout seul.
Jacques AUDIBERTI – Un siècle d'écrivains : Des tonnes de semences (DOCUMENTAIRE, 1998)
L'émission « Un siècle d'écrivains », numéro 158, intitulée « Des tonnes de semences », diffusée sur France 3, le 08/04/1998, et réalisée par Marie-Louise Audiberti et Philippe Condroyer.