Dans les années quatre-vint-dix, à une époque où je voyageais beaucoup, j'avais lu
Non-Lieux de
Marc Augé. Ce livre m'avait marqué parce que je m'y suis d'entrée reconnu dans la personne de
Pierre Dupont, ce "Monsieur Tout-le-monde" qui, après avoir retiré de l'argent au distributeur, franchi le poste de contrôle et présenté sa carte d'embarquement est devenu pour quelques heures "Monsieur Anonyme", immergé dans un "non-lieu", sans contact possible avec qui que ce soit de connu ; ce n'est qu'à sa descente d'avion, quand il a lu son nom sur un panneau brandi par un chauffeur, qu'il est redevenu
Pierre Dupont.
Marc Augé tentait, pour reprendre ses propres termes, une "anthropologie de la surmodernité" et ouvrait la voie sur une "ethnologie de la solitude". S'il avait alors connu l'ère d'internet et du téléphone portable, nul doute qu'il aurait plaidé pour le droit à la déconnexion...
Plus de vingt ans plus tard, l'ethnologue et anthropologue reconnu a publié cette Ethnologie de soi, sous-titrée le temps sans âge. Il aborde dans cet ouvrage le sujet de la vieillesse et du passé, du temps et de l'âge. Il se remémore certain moment "définitivement passé" comme le croisement d'un moment de sa vie et d'un moment d'histoire qui ne se reproduira plus. À la fin d'un chapitre où il aborde entre autres
Leiris, Zweig et Rousseau, il énonce : "Écrire, c'est mourir un peu, mais un peu moins seul" (possible sujet pour le baccalauréat ?). Quand il traite des relations intergénérationnelles, il met en évidence à propos de la mort que si "la roue tourne pour tous, elle ne fait qu'un tour pour chacun".
En dénonçant gentiment les subterfuges que nous utilisons pour paraître encore jeunes,
Marc Augé s'intéresse surtout à notre attitude vis-à-vis de l'écoulement du temps et de ses corollaires (nostalgie, écrits autobiographiques, journaux, mémoires). Il épingle bien des expressions relatives au vieillissement (faire ou ne pas faire son âge, rajeunir avec l'âge, l'âge mur, la classe d'âge, la force de l'âge, etc.). Il s'interroge sur les limites d'âge imposées dans notre société (majorité, départ à la retraite, possibilité de se présenter à l'Académie française "Comme si, passé un certain âge on ne pouvait plus prétendre à l'immortalité" !).
"Quel âge avez-vous ?" lui demande-t-on. Il sait répondre, mais ne croit pas à sa réponse... par ailleurs, précisément compte-tenu de son âge, il trouve la question quelque peu "irrévérencieuse"...
Bref, la lecture de ce recueil de réflexions devrait vous procurer un bon moment en compagnie d'un sage et, si besoin est, d'apprendre à vivre avec votre âge.