AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782330047764
316 pages
Actes Sud (22/04/2015)
4.14/5   11 notes
Résumé :
Le dessinateur espagnol Pablo Auladell livre la première adaptation en BD du célèbre poème épique de Milton évoquant la tentation d'Adam et Eve par Satan puis leur expulsion du jardin d'Eden. Une vision spectaculaire et puissante, des images de toute beauté.
Que lire après Le paradis perdu de John MiltonVoir plus
Exit Wounds par Modan

Exit Wounds

Rutu Modan

3.42★ (157)

Chagall en Russie, tome 1  par Sfar

Chagall en Russie

Joann Sfar

3.21★ (268)

2 tomes

Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Comment supporter cette dette immense d'une reconnaissance éternelle ?
-
Ce tome est indépendant de tout autre et constitue une adaptation du poème épique le Paradis Perdu (première version en 10 parties en 1667, deuxième version en 12 parties en 1674), de John Milton (1608-1674). Il a été réalisé par Pablo Auladell, et sa première édition date de 2015. La traduction de l'espagnol en français a été réalisée par Benoît Mitaine, en suivant la traduction de 1836, réalisée par François-René Chateaubriand (1768-1848). L'ouvrage commence avec un avant-propos de l'auteur expliquant la genèse de cette adaptation débutée en 2010, interrompue pendant deux ans, puis reprise pendant trois ans.

Dans l'obscurité, Satan dort contre une ange dans son lit. le jour se lève sur la cité radieuse : Satan écarte le rideau et regarde par la fenêtre. Il aperçoit au loin l'archange majeur Michel debout sur un rempart et regardant dans le lointain. Michel tourne son regard perçant vers lui, puis il lève son épée vers le ciel alors que la pluie se met à tomber. Un chapeau avec un ruban chute dans les ténèbres, dans le gouffre des Tartares. Dans l'Enfer s'élève le panache d'un feu, et des oiseaux planent au-dessus d'un charnier. Des anges gisent semblant morts, des épées et des lances éparses à proximité d'eux. le narrateur s'interroge : quelle cause poussa les premiers parents à se séparer de leur Créateur ? Qui les entraîna à cette honteuse révolte ? À transgresser leur unique interdit ? Dans les eaux noires du lac, une silhouette bouge et se redresse : le serpent, l'infernal serpent, Satan. Son orgueil l'avait précipité du ciel avec son armée d'anges rebelles. Jeté la tête en bas par le souverain Pouvoir, entouré de flammes, depuis la voute éthérée.

Satan se redresse et contemple l'environnement qui l'entoure. Il est tombé dans le gouffre dans fond de la perdition, dans des régions de chagrin où ni repos, ni espérance ne pourraient jamais habiter. Il découvre un autre corps entre deux eaux et le reconnaît : Belzébuth. Il lui fait prendre conscience de quelle hauteur, dans quel abîme ils sont tombés. Mais tout n'est pas perdu. Ni sa colère, ni sa puissance ne pourront jamais soumettre sa volonté et son courage. Satan ne demandera point grâce d'un genou suppliant, et il ne respectera point un pouvoir venu à douter de son empire, par la terreur de son bras. Belzébuth a repris conscience et l'interroge : et si leur vainqueur avait laissé entiers leur esprit et leur vigueur afin qu'ils puissent endurer la souffrance d'un éternel châtiment ? Satan fait quelques pas de côté et saisi une lance fichée dans l'eau. Il s'envole et survole l'étendue sous lui. Est-ce ici le séjour où ils devront changer contre le ciel ? Soit, plus loin de Lui ils seront, mieux ce sera. Qu'importe où il sera, s'il est toujours le même et ce qu'il doit être. Ici au moins, ils seront libres. Mieux vaut régner dans l'Enfer, que servir dans le Ciel. Mais abandonnera-t-il ses amis fidèles dans le lac de l'Oubli ? Satan prend sa lance, tue une bête, la décapite, couvre la tête de Belzébuth avec elle de l'animal. Les deux s'envolent vers un promontoire, et Satan s'adresse aux autres anges encore inanimés.

Voilà un projet ambitieux : transcrire en bande dessinée, le long poème épique de Milton. Dans sa traduction de 1836, Chateaubriand explicitait ses choix de traducteur pour conserver les qualités propres de l'oeuvre, sans la trahir, malgré certaines de ses particularités la rendant parfois maladroite, parfois obscure. Dans son introduction, il rappelle entre autres que John Milton était aveugle quand il a composé son oeuvre. Bentley prétend que, Milton étant aveugle, les éditeurs ont introduit dans le Paradis perdu des interpolations qu'il n'a pas connues : c'est peut-être aller loin ; mais il est certain que la cécité du chantre d'Éden a pu nuire à la correction de son ouvrage. le poète composait la nuit ; quand il avait fait quelques vers, il sonnait ; sa fille ou sa femme descendait ; il dictait : ce premier jet, qu'il oubliait nécessairement bientôt après, restait à peu près tel qu'il était sorti de son génie. le poème fut ainsi conduit à sa fin par inspirations et par dictées ; l'auteur ne put en revoir l'ensemble ni sur le manuscrit ni sur les épreuves. Or il y a des négligences, des répétitions de mots, des cacophonies qu'on n'aperçoit, et pour ainsi dire, qu'on n'entend qu'avec l'oeil, en parcourant les épreuves. Milton isolé, sans assistance, sans secours, presque sans amis, était obligé de faire tous les changements dans son esprit, et de relire son poème d'un bout à l'autre dans sa mémoire. Quel prodigieux effort de souvenir ! et combien de fautes ont dû lui échapper ! Chateaubriand évoque également le fait que cette oeuvre comprend des références culturelles évidentes au dix-septième siècle, mais déjà perdues au dix-neuvième siècle, rendant certains vers incompréhensibles.

En entamant cette bande dessinée, le lecteur a peut-être une idée déjà précise du récit ou de l'intrigue, du style du poète, ou pas du tout. Mais il doit avoir à l'esprit qu'il plonge dans une narration reposant sur des idées et des façons de penser qui datent du dix-septième siècle. du point de vue de l'adaptation, Pablo Auladell a choisi les passages qu'il a retenus, et ceux qu'il a condensés ou laissés de côté. le lecteur ne retrouve donc pas l'intégralité des douze livres de la seconde édition. de même, il a fait des choix esthétiques dans la manière de donner à voir ces êtres bibliques, la cité de Dieu, le Paradis, les anges, et les anges déchus. L'histoire est donc celle de la chute de Satan ange déchu et de ses légions, ainsi que celle d'Ève et Adam, vivants au jardin d'Éden. L'auteur se retrouve à représenter les anges, les démons, les chérubins, Dieu et le Diable. C'est un défi de parvenir à proposer une interprétation visuelle qui ne soit ni naïve, ni stéréotypée, ni emprunte de grandiloquence ridicule, ou de religiosité plus ou moins sincère. L'artiste a choisi de donner des silhouettes anthropomorphes à chacun de ces personnages, avec quelques exceptions pour les chérubins, ou lorsque l'Ennemi prend la forme du serpent dans le jardin d'Éden. Satan dispose d'un corps de haute taille, bien découplé, sans être musculeux, nu du début jusqu'à la fin, avec des attributs sexuels masculins. Il ne porte comme tout vêtement qu'un chapeau à rebord avec un ruban, ce qui permet de l'identifier à coup sûr. Il est doté d'une paire d'ailes. Son visage est souvent fermé, peu expressif. Les autres démons ont également une forme humanoïde, parfois un peu plus massive, seul Belzébuth ayant un visage vraiment différent.

La représentation des anges et de Dieu est tout aussi délicate. le lecteur constate que leurs visages sont un peu plus différenciés pour l'archange Michel, Gabriel, Raphael et Abdiel. de manière inattendue, le dessinateur a choisi de leur donner un vêtement, une tunique, ou un chapeau, pour augmenter leur différenciation, par opposition à la multitude des anges déchus. Michel est celui qui fait la plus forte impression sur le lecteur avec son nez aquilin, et son regard bleuté perçant. Auladell a également effectué des choix pour le Très Haut : un individu d'une forte corpulence, quasiment pas de cou, et une tête un peu petite. le lecteur n'en tire pas d'interprétation particulière, si ce n'est qu'il a effectivement fait les hommes à son image. Ève et Adam sont deux êtres humains normaux, vivant nus au Paradis, dépourvus de toute pilosité. Il apparaît quatre autres personnages fort surprenants, au physique un peu différent, la fille de Satan et le fils de cette dernière, ainsi que Chaos et Nuit. Les lieux ne sont pas très nombreux : l'Enfer, la citadelle de Dieu, le jardin d'Éden. le premier est une zone désolée s'étendant à perte de vue, rocheuse avec des étendues d'eau noire. le dessinateur met alors essentiellement en oeuvre des nuances de gris, avec une touche de brun.

La citadelle céleste ressemble à un haut palais perché dans les nuages, avec une belle architecture que l'on retrouve également pour le mur de clôture du jardin d'Éden. Cet environnement est plus clair, avec des touches de bleu. À nouveau, le lecteur n'y voit pas de sens particulier, si ce n'est que l'artiste s'en est tenu à la vision de John Milton, et à celles qui existaient à son époque. le jardin d'Éden est verdoyant dans une teinte un peu foncée et un peu terne. Il est visible que le couple d'humains y vit en toute sérénité. Les animaux et les végétaux ont une allure un peu fantastique et un peu naïve, attestant du fait que c'est un jardin mythologique. Au fil des séquences, le lecteur constate que l'auteur privilégie les mises en page sous la forme de deux cases de la largeur de la page, mais il peut passer en mode 3, 4 ou 6 cases par page quand la nature de la scène le nécessite. le choix des couleurs sombre produit un effet ténébreux très palpable pour l'Enfer, et semble faire peser comme une contrainte invisible dans le jardin d'Éden et la cité céleste. le lecteur peut l'interpréter comme la présence de Dieu, ou plutôt l'omniprésence de sa volonté en toute chose et en tout être. Régulièrement le lecteur est surpris par un visuel inattendu comme la tour construite autour de Satan, ou le regard scrutateur et perçant de l'archange Michel.

Même s'il connaît l'argument de l'oeuvre, le lecteur se laisse emmener par cette visualisation de la chute de Lucifer, de la levée de son armée en Enfer, et de la tentation à laquelle il soumet Ève. En fonction de ses convictions religieuses, il peut soit confronter sa foi à cette représentation, tout en conservant à l'esprit qu'elle a été formulée à une autre époque, soit prendre le récit sur un plan mythologique. Il attend évidemment avec impatience la célèbre réplique : Mieux vaut régner dans l'Enfer que servir dans le ciel. La scène s'avère intense et prenante. Il savoure le développement de Satan sur sa motivation : Moi qui m'élevais avec gloire […] jusqu'à ce que l'orgueil et l'ambition m'aient précipité dans l'abîme pour déclarer la guerre au roi du ciel ! Il m'avait créé dans un rang éminent. Être à son service n'avait rien de rude. Mais sa bonté n'a produit en moi que malice. Comment supporter cette dette immense d'une reconnaissance éternelle ? Payer et toujours payer, et toujours devoir.

Il est fort probable que le lecteur ait choisi de se lancer dans cette bande dessinée en toute connaissance de cause : l'adaptation d'un long poème épique dont il a déjà apprécié la lecture, ou qu'il souhaite découvrir sous une forme plus accessible. Pablo Auladell a réalisé un solide travail d'adaptation en restant fidèle à l'esprit de l'oeuvre, tout en effectuant des choix, d'une part en mettant en avant certains passages et en en passant d'autres sous silence, ensuite en donnant à voir un monde où la volonté de Dieu est omniprésente. le lecteur apprécie ainsi le récit pour l'intrigue, mais aussi pour la manière dont il fait s'incarner la vision de la foi chrétienne de John Milton.
Commenter  J’apprécie          210
Le livre s'ouvre sur une nuit primordiale; d'où paraît la figure masquée du Péché.
Son masque, comme de bien entendu, est celui d'une femme.
Elle approche. Retrouve les bras d'un homme étendu et satisfait. Alerté par deux panoramas silencieux d'une cité très florentine enveloppée de nuages, l'homme quitte sa couche et la chaleur de son amante pour écarter les lourdes étoffes qui aveugle la fenêtre de sa loge.
Puisqu'il porte deux grandes ailes blanches, ce doit être un ange, et ce doit donc être le royaume des Cieux qu'il contemple. Il se penche au dehors comme pour mieux distinguer une chose qui le trouble et dont il veut être certain. Car il y a quelque chose ou quelqu'un; un ange se tient à l'extrémité d'une jetée, la main gauche sur le pommeau d'une épée, il scrute les nuées comme les pages d'un livre ouvert.
À la troisième case de cette séquence, l'archange Michel répond au regard de Lucifer, et à travers lui, à travers ces yeux sereins, irrévocables et glacés, c'est le Créateur qui abat son jugement.
Je te vois. Je t'ai vu.

Alors que Dante, avec son amplitude inédite, prétextait une géographie idéalisée des trois verdicts de l'âme pour dresser un inventaire des vices et des vertus accumulés jusqu'à son époque, Milton fait tonner les trompettes de la gloire éternelle et insuffle au récit des origines chrétien la geste de l'épopée fondatrice. Sa contribution la plus déterminante aux exégèses, si l'on peut dire, tient pourtant à l'esthétique autrement plus nuancée du baroque, qui veux tout savoir et tout montrer, qui a pour objet la sensualité et son épaisseur matérialiste, qui imprime à la langue de Milton un foisonnement ostentatoire, une rugosité et une invention propices aux métamorphoses des corps et des esprits.
Un verbe haut pour l'épopée baroque de la Chute, une pompe allusive pour dire l'orgueil des anges damnés, une dramaturgie en tension pour sonder l'origine du mal, dont la paternité échoie à Lucifer qui conçu le Péché comme l'Éternel conçu l'interdit.
Au plus lumineux des fils du Ciel revient le fardeau du choix, il est l'alternative malheureuse justifiant le libre-arbitre accordé aux chérubins comme aux hommes nés de la terre: Pour ou contre moi dit le Créateur, en haut ou en bas, sinon que vaudrait l'amour de ses créatures sans la possibilité du choix, sans l'épreuve d'une tentation? La création mise en balance, et tandis que les anges auront consommé leur schisme, l'humanité, elle, demeurera au centre d'une partie jouée d'avance: le jugement sonnera sa fin, et la miséricorde du Fils sauvera les méritants pour l'éternité.
Pour Satan, qui est le héros du Paradis Perdu selon les romantiques, mais en est surtout l'argument, il n'y aura pas de salut, car la rédemption prise pour la soumission restera étrangère à son esprit vaniteux, qui ne conçoit plus que vengeances.

Ô Muse céleste…
J'invoque ton aide pour mon chant aventureux, car il prétend s'envoler du haut des monts d'Aonie…
… Pour rapporter des choses jamais contées jusqu'alors par quiconque.
Ô Esprit! Puisque ni le Ciel ni la profonde étendue de l'Enfer ne dérobent rien à Ta vue, dis moi…
… Quelle cause poussa nos premiers parents à se séparer de leur Créateur?
Qui les entraîna à cette honteuse révolte…?
… À transgresser leur unique interdit?
Le Serpent…
L'infernal Serpent."

C'est à cette verve intimidante que Pablo Auladell confronte son interprétation littérale; bien que ses images doivent imposer leur économie à celle du texte protéiforme de Milton et lui rendre ses apparence équivoques. Elles doivent faire résonner l'argument épique et l'argument baroque à travers la syntaxe polysémique du dessin, qui joue d'exagérations signifiantes et de contrastes dramatiques pour susciter l'interprétation et la nuance. Pour déployer ce conte aventureux elles doivent en épouser le rythme et la mesure selon leur propre syncope, celle que produit la bande-dessinée sur la textualité.
Pour Auladell l'interprétation doit être véhiculée par plusieurs choix esthétiques raisonnés: D'abord la texture, appuyée ici par les effets de matière provoqués par les crayonnés rehaussés de pastels, de lavis et de fusains. La technique imprime le grain d'une épaisseur aux choses et aux êtres, les encombrent d'une masse congrue et de postures hiératiques qui conviennent à une iconographie chrétienne héritée des primitifs italiens. Cette référence s'affirme aussi bien dans la représentation de la nature édénique que dans le dessin des visages, paupières béates et doigts sinueux du sacrement citent Giotto et l'école florentine jusqu'à Botticelli; les physionomies et les cadrages, qu'ils évoquent la divinité ou suscitent une proximité charnelle, payent leurs dettes à Blake, Martin et Doré. Un champ référentiel documenté et synthétique qui préside au style expressionniste du dessinateur, où le graphisme varie selon les soubresauts de la narration, et y participe donc pleinement. Que l'orgueil de Lucifer soit blessé par l'élection du Fils de Dieu, et son visage se brouille dans la figure d'un oiseau de proie charbonneux. Qu'il brandisse son poing menaçant à la face de Gabriel, et son membre s'atrophie jusqu'à devenir une masse boursouflée. Qu'il s'agisse de faire la démonstration de sa puissance, et son corps prend les dimensions d'un géant terrible, procédé récurrent de la littérature sacrée quand elle veut affirmer l'échelle du divin.
Ces figures de style côtoies des panoramas silencieux et la délicate symétrie des visages romans, auxquels l'auteur accorde des attentions particulières, postulant que leurs physionomie traduise quelques vérités intérieurs - Ainsi les habitants du ciel partage-t-ils des profils aviaires hérités de la Colombe immaculée, tandis que les anges révoltés se trouvent affublés de masques grotesques et bigarrés faisant passer leur assemblée pour un conclave de dieux païens ou une sinistre Comedia Dell'Arte, dans laquelle on sent poindre, peut être, les danses macabres imaginées par Jérôme Bosch.
Les regards forgent les expressions complexes de la suggestion - le visage mobile de Satan s'oppose aux traits résolus et acérés de l'archange Michel sa némésis, Les silences de Belzébuth suspendent le temps à son regard mélancolique et lucide. Ève tend le Fruit à Adam, elle nous le tend, et dans son regard confiant affleure déjà la compréhension du Mal. Ce fruit, ce sourire esquissé et ce regard entendu deviennent captivants de justesse et forment une image iconique, une icône parmi d'autres capables de contenir le livre à elles seules.

La nostalgie traverse cette transposition comme son modèle, celle du bonheur perdu, de la candeur voilée par l'envie et des innocentes vérités de l'enfance, écrasées par les préjugés de la maturité. le libre arbitre est une illusion car il a pour fondations la tentation du vice contre la vertu, une vertu autoritaire et sans appel qui laisse du champ à la révolte des esprits pollués par le doute. le libre arbitre est une épreuve biaisée, car une seule voie conduit au salut et au bonheur, celle du Tout-Puissant qui ne transigera sur aucune des expressions de sa glorieuse domination, puisqu'il est le Démiurge, puisqu'il est omniscient.

Dans la Divine Comédie le libre arbitre cesse à l'heure de la mort, qui sonne le glas sonne l'heure du jugement. Dans la mystique pratique d'Emmanuel Swedenborg, les défunts s'orientent naturellement selon leurs inclinaisons, et peuvent donc trouver leur compte dans l'Enfer comme souffrir de la lumière des Cieux.
Pour Milton l'issue ne fait pas que des bienheureux, et le monde s'érode au gré des méfaits de la vanité, parente de la corruption; l'humanité s'éreinte dans une séparation punitive: Celle des créatures avec leur Créateur, celle de l'ordre et du changement, de l'homme et de la femme, l'essentiel gangréné par le contingent. Telle est la condition humaine en sa vallée des larmes; en funambules, les hommes sont bien au centre de leur univers vertical où coexistent le Bien et le Mal.

"Ils regardèrent derrière eux, et virent toute la partie orientale du Paradis, naguère leur heureux séjour, sur laquelle tournoyait l'épée flamboyante: La porte était obstruée de figures redoutables et d'armes ardentes.
Adam et Ève laissèrent tomber quelques naturelles larmes qu'ils essuyèrent vite. le monde entier était devant eux, pour y choisir le lieu de leur repos, et la Providence était leur guide. Main en main, à pas errants et lents, ils prirent à travers Éden leur chemin solitaire."

Et au commencement, fut la fin.
Du reste, le chemin solitaire et tortueux que devront arpenter tous les descendants du couple originel n'admet qu'une seule issue, celle d'un paradis intérieur.
Commenter  J’apprécie          10
Oeuvre poétique majeure de John Milton, le Paradis Perdu a entre autres grands noms été traduit par Chateaubriand en 1861. Pour cette nouvelle adaptation, c'est le 9e art qui est mis à l'honneur avec le somptueux travail graphique de Pablo Auladell. Ce projet qui a failli ne pas voir le jour, a finalement abouti après deux ans de jachère (cf. le premier chant sur Satan) et trois nouvelles années de travail pendant lesquelles les techniques de dessin de l'auteur espagnol ont évolué en même temps que sa perception des choses. S'il juge la qualité de son travail inégal, Pablo Auladell prend le parti de ne "retoucher que l'indispensable afin de garantir une certaine cohérence esthétique et narrative" et il livre avec ce bel album "Une sorte de livre témoin, de livre bilan qui acte les progrès et les échecs d'un travail de plusieurs années" (extrait de l'avant-propos). Pari ambitieux réussi pour cette superbe interprétation graphique en forme de clin d'oeil à Gustave Doré et William Blake (qui ont eux aussi investi leur art dans l'illustration du célèbre poème épique) et aux artistes De La Renaissance... Assurément un beau livre qui trouvera sa place dans vos bibliothèques...

Le Paradis Perdu de Pablo Auladell, zoom illustré sur le second récit de la Genèse
Composé de quatre livres (Satan, le jardin des délices, Les premiers souvenirs du monde, L'épée flamboyante), cette adaptation en bande-dessinée du Paradis perdu de Milton revient sur le second récit de la Genèse au moment où Satan et ses anges rebelles ont été écrasés par l'armée divine. Aux yeux de l'ange déchu pour qui "Mieux vaut régner dans l'enfer que servir dans le ciel", la guerre n'est pas finie. Invoquant son armée de démons en conseil de guerre (Belzébuth, Moloch, Chemos, Astarté, Dagon, Belial, Mammon), Satan décide finalement d'agir en solitaire en s'introduisant au Paradis pour corrompre cette nouvelle espèce au libre arbitre créée par Dieu : l'Homme. Ayant succombé à la tentation du fruit défendu, Adam et Eve sont bannis du Jardin d'Eden...

De l'art d'illustrer un poème épique sous forme de bande-dessinée...
Audacieuse entreprise que celle d'illustrer la prose du poète anglais postérieurement à la grandiose adaptation de Gustave Doré. Et pourtant, Pablo Alaudell se prête admirablement à l'exercice. Chacune des vignettes des trois-cent quinze pages de l'album sont de véritables peintures : paysages brouillés ou charbonnés, visages aux regards ultra-expressifs, jeux de contraste et utilisation parcimonieuse des couleurs donnent une rare puissance à ces planches dont on a le plaisir de voir évoluer les techniques graphiques au fur et à mesure de la lecture. Certains préfèreront les traits plus assurés et les couleurs mieux maîtrisées des derniers livres. Personnellement, c'est le premier livre qui m'a le plus séduit : les illustrations aux couleurs sépias et les bichromies, mais aussi la sombre armée des démons de Satan m'ont franchement conquise... Bref, un sublime récit biblique en images qui prouve encore une fois que la bande-dessinée sait constamment se réinventer...

Du 9ème art comme un appel à de multiples lectures...
Je le soulignais déjà dans un autre billet au sujet de le Photographe d'Emmanuel Guibert et Didier Lefèvre, cet album offre divers jeux de lecture tout aussi intéressants les uns que les autres. En plus d'inviter à (re)découvrir l'oeuvre de John Milton, cette interprétation graphique joue sur des codes multiples qui sous-tendent diverses pistes de lecture. En voici quelques-unes : l'aspect biblique (vision chrétienne de l'homme), l'aspect épique (récit de l'épopée satanique), l'aspect poétique (prose de Milton), l'aspect onirique (interprétation graphique du point de vue du bédéiste)... la multitude d'interprétations possibles confèrent à ce "poème épique illustré" une richesse de lecture à laquelle je vous invite à vous abandonner...
Lien : http://embuscades-alcapone.b..
Commenter  J’apprécie          150
C'est un auteur espagnol peu connu en France qui nous propose un gros pavé. J'avais avisé un de ses titres à savoir La Tour Blanche. Je n'avais pas trop aimé car un style assez particulier. Je vois d'ailleurs que mise à part mon avis il y a 5 ans, personne d'autre n'a avisé. La tour blanche avait reçu 5 ans auparavant des prix en Espagne lançant visiblement la carrière de cet auteur. Là, il nous produit une oeuvre plutôt magistrale où il met tout.

J'ai failli mettre une étoile mais au fil de la lecture, cela monte à 3. Il va falloir s'accrocher car ce n'est pas facile d'approche. Tout d'abord, il s'agit de l'adaptation d'un poème épique de John Milton publié en 1667 ! le poème traite de la vision chrétienne de l'origine de l'Homme, en évoquant la tentation d'Adam et Eve par Satan puis leur expulsion du jardin d'Eden. Ce texte a été traduit en français par Chateaubriand lors de son exil en Angleterre. Bref, il était sans doute difficile d'adapter un tel poème sous la forme bd.

Satan, l'ange déchu, vient d'être vaincu par les armées divines. Avec son armée d'anges rebelles, il s'apprête à relancer une attaque contre le Ciel lorsqu'il entend parler d'une prophétie : une nouvelle espèce de créatures doit être formée par le Ciel. Il décide alors de partir seul en expédition. Sorti de l'enfer, il s'aventure dans le paradis, et trouve le nouveau monde. Après avoir facilement dupé l'ange Uriel en changeant d'apparence, il s'introduit dans le paradis et découvre Adam et Ève. Dieu l'apprend, mais décide de ne rien faire : il a créé l'homme libre, et lui accordera sa grâce quoi qu'il arrive… si toutefois il respecte la justice divine.

Satan sera donc le personnage principal de cette oeuvre. On pourra même essayer de comprendre ses motivations purement humaine à savoir prendre le contrôle des cieux et donc du pouvoir suprême. Adam se présentera comme quelqu'un de bien sur qui on pouvait compter mais qui succombera à la tentation par amour. Par contre, Eve sera celle qui se laisse tenter assez facilement : une image de la femme pècheresse pas très reluisante qui pourra heurter le politiquement correct actuel. On blâme souvent le rôle des femmes dans la religion musulmane mais en lisant cette oeuvre, on peut également se poser des questions sur la religion chrétienne. A noter que cette remarque n'engage que moi.

En effet, pour moi, la religion est la source de tous les maux sur Terre. C'est fou ce que les peuples ont besoin de se créer des dieux pour ne pas affronter le néant que produit la mort. Cependant, je comprends et accepte ce besoin d'espérance. L'homme a créé Dieu (et non l'inverse) pour dominer ses semblables. Quand on voit commet agit Satan et Dieu, on se rend compte au sortir de cette oeuvre que tout n'est que mythologie purement humaine. Un monde idéal pour moi serait un monde où il n'y aurait pas de religion. On pourrait alors s'amuser à Paris sans se faire allumer et la paix règnerait sur Terre.

Bon, pour en revenir à cette oeuvre hautement onirique, cela pousse bien évidemment à ce type de réflexion. J'aime bien par exemple cette maxime évoqué par Satan : Mieux vaut régner dans l'enfer que servir dans le ciel. On va également assisté à une bataille entre anges et démons digne d'une méga-production d'héroïc fantasy.

Il y a de plus un somptueux travail graphique accompli par l'auteur dans une atmosphère faite d'ombre et de brouillard. Cependant, l'iconographie est assez spéciale et pourra rebuter plus d'un. Les connaisseurs seront conquis. Il y a une belle puissance qui se dégage de ces planches. On dirait de véritable peinture sorti des tableaux de la Renaissance. On observera même des variations dans le graphisme afin de coller au plus près à la narration. Bref, un modèle pour les Ecoles de beaux-Arts.

Tout n'est que vanité et corruption ? Il semblerait. A lire pour s'en convaincre. Pour l'achat de cette oeuvre graphique : le prix 35€ peut dissuader. Je le répète : c'est pour ceux qui sont réellement motivés.
Commenter  J’apprécie          40
Le Paradis Perdu, c'est un long poème de John Miltion racontant le combat entre Michel et Satan, la déchéance de Satan et de ses armées, ainsi que le pêché originel commis par Adam et Êve. Et ici il s'agit de l'adaptation de ce poème en roman graphique, par le Talentueux Pablo Auladell.
Prenant le texte d'origine de John Milton, et illustrant l'histoire, de manière très sombre, des nuances de gris pour l'enfer, des nuance bleu et gris pour le ciel, et des nuances vertes et grise pour l'Eden. le tout dans un style très reconnaissable à Pablo Auladell, avec ces personnages très élancées, et des visages très reconnaissable. le travail d'illustration à été fait en plusieurs fois, si bien que le dessin de Pablo Auladell au fil de l'album évolue, ce qui est très intéressant.
Encore une très belle lecture.
Commenter  J’apprécie          40

Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Le concile stygien se dissout, et chaque démon, à l'aventure, prend un chemin différent. Les uns s'entraînent et luttent. D'autres, retirés dans une vallée silencieuse, chantent leur propres héroïques combats et le malheur de leur chute. D'autres, en escadrons, cherchent à découvrir si, aux confins de ce monde sinistre, quelque climat peut-être ne pourrait leur offrir une habitation plus supportable. Ils dirigent leur marche ailée le long des rivages des rivières infernales. L'Achéron, profond et noir fleuve de la douleur. Le Cocyte aux ondes pleines de lamentations. Et le long et silencieux courant du Léthé. Le fleuve de l'oubli. Cependant Satan bat des ailes rapides et se dirige solitaire vers les portes de l'Enfer. Après avoir parcouru, sans répit, les limites de cette contrée dédolée dans l'air ardent des cavités les plus hautes, enfin il les trouve. Alors un effluve intense et inconnu l'entoure comme de serres invisibles.
Commenter  J’apprécie          40
Impératrice de ce beau monde, j'étais d'abord comme les autres bêtes et ne comprenais rien d'élevé, jusqu'à ce qu'un jour vaquant dans la campagne, je découvris un bel arbre chargé de fruits exhalant un parfum savoureux. M'entortillant soudain au tronc de cet arbre, je pus manger à satiété. Jamais, je n'avais trouvé un pareil plaisir. Je ne tardais pas à apercevoir en moi un changement étrange. Je pouvais parler et me livrer à des pensées profondes et élevées. Dans ta divine image, je trouve réuni tout ce qui est bon et beau. Voici pourquoi je suis venu te contempler et t'adorer.
Commenter  J’apprécie          60
Comme les matelots qui ont cinglé au-delà du cap de Bonne Espérance et ont déjà dépassé le Mozambique sont surpris, au large, par les parfums du Saba, de la même façon l'Ennemi fut accueilli par les suaves émanations du Paradis, capables d'ôter du cœur, toute peines, hormis le désespoir. Ainsi le premier grand voleur venait de pénétrer dans le bercail de Dieu qui, depuis lors, ne cesserait plus d'être franchi par d'impurs mercenaires il se posa sur l'arbre le plus haut de l'Éden. L'arbre de vie. Ainsi perché, il commença à ourdir la mort de tout ce qui ici-bas vivait.
Commenter  J’apprécie          44
Ô soleil, combien je hais désormais tes rayons ! Moi qui m'élevais avec gloire sur ta sphère ! Jusqu'à ce que l'orgueil et l'ambition m'aient précipité dans l'abîme pour déclarer la guerre au roi du ciel ! Il m'avait créé dans un rang éminent. Être à son service n'avait rien de rude. Mais sa bonté n'a produit en moi que malice. Comment supporter cette dette immense d'une reconnaissance éternelle ? Payer et toujours payer, et toujours devoir.
Commenter  J’apprécie          40
Croissez, multipliez, et remplissez la Terre et assujettissez-la. Et dominez les poissons de la mer et les oiseaux du ciel. Ne craignez pas la disette. Vous pouvez manger de tous les fruits des arbres de ce jardin. Mais… Vous devez éviter de goûter du fruit dont la saveur apporte de la connaissance du bien et du mal. Le jour où vous en mangerez, vous mourrez.
Commenter  J’apprécie          40

autres livres classés : satanVoir plus
Les plus populaires : Bande dessinée Voir plus


Lecteurs (24) Voir plus



Quiz Voir plus

Les personnages de Tintin

Je suis un physicien tête-en-l'air et un peu dur d'oreille. J'apparais pour la première fois dans "Le Trésor de Rackham le Rouge". Mon personnage est inspiré d'Auguste Piccard (un physicien suisse concepteur du bathyscaphe) à qui je ressemble physiquement, mais j'ai fait mieux que mon modèle : je suis à l'origine d'un ambitieux programme d'exploration lunaire.

Tintin
Milou
Le Capitaine Haddock
Le Professeur Tournesol
Dupond et Dupont
Le Général Alcazar
L'émir Ben Kalish Ezab
La Castafiore
Oliveira da Figueira
Séraphin Lampion
Le docteur Müller
Nestor
Rastapopoulos
Le colonel Sponsz
Tchang

15 questions
5219 lecteurs ont répondu
Thèmes : bd franco-belge , bande dessinée , bd jeunesse , bd belge , bande dessinée aventure , aventure jeunesse , tintinophile , ligne claire , personnages , Personnages fictifsCréer un quiz sur ce livre

{* *}