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Critique de Aquilon62


"Livio déclame la dernière phrase comme la conclusion d'une pièce dramatique. On pourrait entendre en arrière-fond le final de Don Giovanni de Mozart, lorsque le Commandeur scelle le destin de Don Juan condamné aux enfers."

Triste parallèle car sommes-nous, dans ce roman, comme les passagers du Titanic, écoutant les huit musiciens jouer un dernier morceau avant de sombrer ?

Les huit protagonistes seraient-ils :
- Guido, le père, entrepreneur et conseiller aux affaires économiques de la ville, aveuglé par le tourisme de masse ;
- Maria Alba, son épouse, descendante d'une lignée de doges Les Dandolo, représentante nostalgique d'une certaine Venise ;
- Léa, leur fille de 17 ans qui au travers de l'art ("Je voudrais que vous examiniez la trace des algues qui marque la marée haute, dans le tableau puis la réalité d'aujourd'hui. La réponse n'est pas longue à fuser : – Sur le tableau, la ligne brune des algues est beaucoup plus basse. Il y a au moins trois rangées de pierres d'Istrie sur la peinture qui n'apparaissent pas sur les photos prises avant-hier. – Aujourd'hui, le bas des portes a été muré sur… près de soixante-dix centimètres, dit Léa en reprenant ses notes. – Si vous vouliez une illustration imparable de l'enfoncement de Venise, vous l'avez sous les yeux. [...]. Il a établi ce constat en s'appuyant aussi sur des tableaux de Véronèse et Canaletto, avec les mêmes résultats. Vous y trouverez les détails méthodologiques. le verdict est sans appel : soixante et un centimètres, soit un millimètre trois par an") et des sens ("Léa se surprend à caresser la pierre. Celle-ci est tiède et elle perçoit de minuscules granules d'enduit qui se détachent et roulent contre sa paume. Elle a le sentiment de caresser un corps, le corps de pierre, d'une ville de pierre. Elle colle son visage contre la façade. Il s'en dégage une odeur de terre, de salpêtre et d'humidité. Elle n'avait jamais pris garde à l'odeur de Venise qui l'a pourtant accompagnée depuis sa plus tendre enfance. Elle lui découvre un aspect sensuel. La vue et l'ouïe sont des sens réputés nobles, ouvrant sur la peinture et la musique, l'odorat est suspect, captant les relents de bas-fonds ou d'étreintes.") prendra des positions militantes salvatrices ? ;
- Ce fameux programme MOSE, ou MOÏSE en italien, dont l'acronyme signifie MOdulo Sperimentale Elettromeccanico (module expérimental électromécanique) qui doit protéger Venise des acque alte de plus en plus importantes - à moins que cet acronyme ne soit Monumental Objet Sans Espoirs ou Sans Effets ;
- Les submersions touristiques, immobilières, aquatiques ;
- La lagune cet écosystème fragilisé depuis plusieurs années au profit de quelques-uns et au détriment de sa survie voire celle de la ville ;
- La ville elle-même mais Venise n'est pas une ville de mer. Venise est lagune ;
- Nous-mêmes qui dans ce très bel ouvrage assistons impuissants à l'impossible : une conjonction d'événements qui engendrent le pire... Je laisse le soin aux lecteurs de le découvrir dans les 2 premiers chapitres qui se passent de commentaires.

Tiziano Scarpa dans son ouvrage "Venise est un poisson" (car oui Venise a bien une forme de poisson) nous dit : Nous avons eu peur qu'un jour Venise puisse changer d'avis et repartir ; nous l'avons attachée à la lagune pour qu'il ne lui passe pas par la tête de lever l'ancre encore une fois et de partir au loin, et cette fois pour toujours. Espérons qu'il ait raison car là il ne s'agit pas de lever l'ancre mais plutôt de disparaître.

Je cite en guise de conclusion les mots d'Élisabeth Crouzet-Pavan, éminente spécialiste de Venise :
"Ne doit-on pas ici se demander si cette lente mort théâtrale de Venise sous les yeux du monde entier ne serait pas l'identité évolutive de la cité, que les voyageurs du XIXe siècle visitaient en percevant cette impression de mort ?
Née de presque rien, symbole de résilience avant que de l'être de mort, Venise ne se déconstruit-elle pas dans la continuité d'un jeu qui consiste à se montrer ou s'exhiber confrontée à la mort ?
Plutôt que d'adhérer à la complainte doloriste, réitérée jour après jour par les Vénitiens comme certains non-Vénitiens, ne faut-il pas plutôt considérer que Venise aime à se penser ou à s'imaginer sous l'emprise possible de la mort et que l'histoire fait ainsi, une nouvelle fois, retour...?"

En tout c'est bien l'espoir qui doit dominer, au travers de cette lecture, et de rendre à la Sérénissime son nom de Dominante comme de fut le cas au XVe siècle.
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