Letort avait d'intolérables démangeaisons au menton. La jalousie exaspérait maintenant son désir de barbe, mais il se heurtait à l'intransigeance glacée de madame Letort. Vingt fois par jour, à son bureau, il formait le projet de casser les vitres, de signifier tranquillement à sa femme sa décision de porter la barbe et, en arrivant chez lui il avait la langue liée. Vingt-cinq ans de mariage le pliait malgré lui à l'ordre domestique. En présence de l'épouse, il avait l'impression que sa barbe ne lui appartenait pas, qu'elle était le bien de la communauté et qu'il ne pouvait en disposer seul (p. 112).
Avenue Junot
La vamp habitait, rue Caulaincourt, un petit appartement de deux pièces, meublé très modestement. Elle aurait pu, en vendant la centième partie de ses bijoux, acquérir par exemple le plus bel hôtel particulier de l'avenue du bois, mais intelligente autant que belle, Eva Grosbureau se gardait d'étaler un luxe provocant. C'est qu'elle redoutait les antennes du fisc et, non moins, les inspecteurs du contrôle économique qui courent derrière les cadillac conduites par les filles en vison et remontent ainsi jusqu'au pot aux roses du noir ou du trafic d'or, ou d'influences, ou de devises. Eva était une vamp moderne...
(extrait de "la vamp et le normalien")
Comme disait mon oncle Amédée, être heureux, ce n'est pas bon signe, c'est que le malheur a manqué le coche, il arrivera par le suivant (p. 141-142).
Les chiens de notre vie
Etre heureux, ce n'est pas bon signe, c'est que le malheur a manqué le coche, il arrivera par la suite.
Il était une fois un petit café-restaurant, entre ville et campagne, refuge d'une poignée de drôles d'oiseaux que le monde moderne n'avait pas encore engloutis.
« On boit un coup, on mange un morceau, on écoute des histoires. Toutes activités qui s'accommodent mal du va-vite. Chacun offre son grain de temps au sablier commun, et ça donne qu'on n'est pas obligé de se hâter pour faire les choses ou pour les dire. »
Madoval, le patron, Mésange, sa fille, Comdinitch, Failagueule et les accoudés du zinc – braves de comptoir… « Pas des gueules de progrès », ces gens-là, mais de l'amitié, des rires, de l'humanité en partage et un certain talent pour cultiver la différence.
Jean-Pierre Ancèle signe un premier roman tendre et perlé comme une gorgée de muscadet, aux accents de Raymond Queneau ou de Marcel Aymé.
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