AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070365005
270 pages
Gallimard (07/12/1973)
3.67/5   90 notes
Résumé :
"Monsieur Ancelot, vous me faites mal. Vous me faites mal."
Le buste renversé, elle se collait à lui d'un jeu souple et, toujours geignant, plantait dans son regard celui de ces yeux vacillants. Il hésitait déjà, troublé par cette faiblesse éhontée. La violence qui bouillonnait en lui ne s'apaisait pas, mais il lui sembla qu'elle changeait de direction. La servante ne prenait plus la peine de dissimuler son manège et l'invitait d'un sourire aguichant.
... >Voir plus
Que lire après TravelingueVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Vous vous souvenez, à la fête foraine, ces jeux de massacre où à coups de balles on dézinguait à qui mieux mieux des caricatures ? Ou bien de façon plus intellectuelle (plus intelligente peut-être, mais pas toujours) certains journaux satiriques faisaient de même avec des personnalités, politiques souvent, mais aussi émanant des sphères interlopes du showbiz, du spectacle, enfin de tous ces endroits où les célébrités oublient ce qu'elles sont pour faire croire à leurs fans qu'elles sont ce qu'on attend d'elles.
« Travelingue », parut en 1941 dans « Je suis partout », premier journal collaborationniste et antisémite de France. Faut-il en déduire que Marcel Aymé avait pris fait et cause pour un pétainisme militant ? Je ne me risquerai pas à hasarder une réponse. L'époque était ambigüe, et s'il est certain que Marcel Aymé avait des amitiés chez les intellectuels de droite et d'extrême droite (Brasillach, Bardèche, Céline), il en avait aussi de l'autre côté. Et il n'approuvait pas tout dans la politique de l'Etat Français (il n'en est pour preuve que sa violente diatribe contre les promulgateurs de l'étoile jaune).
L'action de « Travelingue » se situe en 1936, sous le gouvernement du Front Populaire. Marcel Aymé flingue tous azimuts : les grèves et manifestations déstabilisent un pays qui navigue plus ou moins à vue. La politique n'est pas faite dans les ministères mais dans les cabinets (et quand je dis les cabinets…), mais au coin des comptoirs de bar (dix ans plus tard, dans « Uranus », ce sera pareil), et comble du ridicule, ou de la dérision, les hommes politiques viennent prendre l'avis d'un gourou local, Moutot, coiffeur de son métier. La politique du président Blum n'en ressort pas grandie. Et ce n'est pas tout : la description de deux familles modèles vaut son pendant de cacahuètes. Jugez plutôt :
Le père, Lasquin meurt d'un AVC (ou ce qui en tenait lieu à l'époque), laissant une veuve pas tellement éplorée et une fille nouvellement mariée à Pierre Lenoir, dont la passion est la course à pied. Pourquoi pas après tout ? Ledit Lenoir, pendant qu'il court, confie sa femme à son ami Bernard Ancelot, lequel, le croiriez-vous se montre plutôt assidu auprès de la belle. La famille Ancelot n'est pas non plus piquée des hannetons : ultra snobs, férus de cinéphilie (de là vient le fameux « travelingue »), et adeptes d'un modernisme artistique échevelé « d'un primitivisme bouleversant » parfois parsemé de « latences transcendantales » (« Les Précieuses ridicules », façon 1936).
Le roman tourne autour de ces deux familles, mais d'autres personnages sont également dans le collimateur du dynamiteur Marcel Aymé : Luc Pontdebois, un écrivain catholique mielleux et opportuniste (sous lequel on croit reconnaître François Mauriac) ; Johnny, un homosexuel doté paraît-il d'un anus artificiel (il semble que cela lui donne un charme supplémentaire) et son ami le boxeur Milou ; et surtout Malinier, caricature de caricature, ancien combattant, cocu professionnel (pas seulement amateur), ayant un avis sur tout (ayant surtout un avis), en particulier sur « les peintres cubistes, les alcooliques, les espions allemands, les communistes débraillés, les juifs et les provocateurs moscovites », et particulièrement déchaîné contre les socialistes du Front Populaire, « chiens judéo-marxiste hurlants et bavants prêts à dévorer le coeur de la France ». La palme revient à Moutot le garçon coiffeur qui a l'écoute des grands de ce monde (en tous cas de ce pays) et qui voit défiler dans son salon tout le gouvernement et même l'opposition.
Une satire féroce, iconoclaste, dévastatrice, qui fait penser un peu à Ubu pour son hénaurmité et son sens du ridicule porté au niveau d'un art majeur, mais aussi à Coluche, à Charlie-Hebdo ou d'autres dézingueurs contemporains qui mettent le doigt où ça fait mal.
Une lecture utile peut-être à notre époque où les plateaux de télévision deviennent des scènes de cirque, où le complotisme devient une vertu, où des animateurs (modernes Moutot) deviennent directeurs de pensée de tout un peuple scotché devant un écran, où des pseudo-scientifiques sont censés détenir la seule et unique vérité, etc. etc.
Marcel, reviens ! Tu aurais du grain à moudre, ici !
Commenter  J’apprécie          110
Complexe histoire de famille prenant place dans les événements troubles de 1936 sous le gouvernement du Front Populaire où les grèves et manifestations d'ouvriers déstabilisent le pays. On y suit les aventures de Pierre Lenoir, fils d'industriels à son désespoir, ne pouvant réaliser son rêve, celui d'être un champion de course à pied (on remarquera qu'en 1941, année d'écriture du livre, la course à pied était tout à fait confidentielle et on ne croisait pas à tous les coins de rue des joggers. Ils passaient d'ailleurs pour des fous furieux la plupart du temps).
Marcel Aymé nous livre une étude sociale acerbe sur un certain snobisme parisien et sur l'égoïsme des nantis face aux revendications ouvrières. En filigrane, on peut également y trouver une description de l'homosexualité masculine.
Un roman original et un brin désuet, moins percutant que certaines nouvelles poétiques et décalées de Marcel Aymé, dû à certaines longueurs, en particulier des monologues sans fin d'un fameux coiffeur, personnage haut en couleur. Cependant, la critique sociale de l'auteur sur ses congénères reste agréable. On sourit souvent, on rit parfois, on réfléchit finalement.
Commenter  J’apprécie          180
"Accourez tous au jeu d' massacre !
La douzaine de balles pour vingt sous !"

Paru en feuilleton dans "Je suis partout" en 1941 et décrivant la France du Front populaire avec ses grèves et ses manifestations, Travelingue, équivoque et venimeux à souhait, est un pavé glaireux dans une mare de bien-pensance. le lire à la lumière de nos propres ambiguïtés est réjouissant, nous qui élevons des autels à un médecin halluciné, un animateur de télévision obscène, un polémiste raciste et charognard ou à des groupuscules d'abrutis safranés...

Marcel Aymé transforme notre hexagone nombriliste en une République de garçons coiffeurs et rabaisse le discours politique au niveau des brèves de comptoir. Ainsi Moutot, merlan flasque au patronyme ovin prédestiné, est-il devenu l'éminence grise d'un gouvernement Blum dépassé et, piteux Deus ex machina, mène le pays au rythme de ses molles flatuosités.

Roman sans cap, ni boussole, Travelingue -un Pot-Bouille réussi- avance au gré des dézingages d'un auteur particulièrement inspiré. le début, grandiose, nous présente une poignée de protagonistes à travers les filandreuses bribes de conscience d'un pater familias sous le coup d'un AVC mortel. Vif, rageur, nerveux, brutal, réaliste, caméra au poing, c'est du cinéma et du meilleur.

Passer en revue les tristes figurines sur lesquelles Aymé décoche ses balles -pur défoulement- revient à inventorier un ramassis de cloques et de boursouflures. Défilent sur leurs tringles basculantes, un écrivain catholique opportuniste, dont les velléités sont aussi sales que les pieds - Mauriac, que l'on devine sous la défroque du mielleux Pontdebois, en prend pour son grade- ; Johnny, un vieux sodomite flétri ("Riche, notoirement homosexuel, il passait de surcroît, pour être muni d'un anus artificiel, et ce détail curieux faisait rechercher sa société.") et Milou son giton autant bique que bouc, crétin érigé "homme du moment" ; Malinier, un ancien combattant, cocu satisfait et complotiste givré ; la famille Ancelot avec son faisan de père, sa tribu de gourdes prétentieuses et vicieuses -entre Cathos, Magdelon, Emma Bovary et Sidonie Verdurin- et son fils aboulique ; et la famille Lasquin, cerise sur le gâté, avec sa veuve exemplaire, sa fille insatisfaite et son gendre cornard et coureur (à pieds !). Nul ne résiste à l'éreintement du romancier... si ce n'est un couple illégitime (Chauvieux et Élisabeth Malinier), figures sensibles et désintéressées.

Rien de "cornichon, cucul la rainette, ratapoil et rantanplan" dans cet épatant minestrone méchamment hilarant : Marcel Aymé y vilipende une France moisie mais sans aigreur. le chamboule-tout reste un jeu -réac, certes- mais un jeu ; une fois les boîtes renversées, les poupées à bascule abattues, tout recommencera... D'où, malgré une ambiance vintage, une fraîcheur enthousiasmante.

Inutile de dire combien j'ai Aymé !

"Alors, cette fois, ça y est bien, dit-il d'une voix âpre. C'est bien ce que j'ai dit et répété. La France fout le camp comme un lavement. Quoi ? ce n'est pas vrai, peut-être ?"
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
Commenter  J’apprécie          131
En pleine période du front populaire, l'honorable et richissime famille Lasquin marie sa fille Delphine.
"Le mariage est célébré à St Honoré d'Eylau, y assistent, pour les principaux invités : sept gros industriels du canton, cinq personnes nobles, un ministre et deux généraux".
Mais le marié, Pierre Lenoir, issu d'une famille de nouveaux riches, ne s'intéresse qu'à une chose : la course à pieds.
C'est une belle galerie de portraits que nous offre Marcel Aymé dans cet ironique roman où il égratigne la haute société.
Commenter  J’apprécie          110
Bien qu'aimant beaucoup Marcel Aymé, je n'ai pas accroché à ce roman comme au reste de son oeuvre que j'avais déjà lu. Il y a pourtant quelques paragraphes fantastiques dans leur dénonciation de l'hypocrisie et de la bêtise humaine, voilà un écrivain qui avait le sens de la formule!
Cependant, malgré ce sens de la formule, j'ai manqué décrocher plusieurs fois à cette histoire d'une famille d'industriels et de ceux qui gravitent autour d'eux, sur fond de grogne sociale entre les deux guerres mondiales. Je pense qu'une part du problème vient de moi, pas de l'auteur: ce n'est pas une période de l'histoire qui m'intéresse particulièrement et j'en ignore trop pour saisir les nuances. Reste l'hypocrisie de classe, quelque chose d'intemporel, mais qui n'a pas suffit dans cette dénonciation à retenir mon attention.
J'ai un peu l'impression d'avoir raté mon rendez-vous avec ce roman et je le regrette.
Commenter  J’apprécie          71

Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
"Sur la terrasse de la petite maison qu'il habitait au flanc ouest de Montmartre, Johnny humait l'air du matin en rêvant à sa vie écoulée et ressentait la tristesse de vieillir, qui étreint plus durement les êtres asservis par une passion toujours chaude. Près de lui, un arbre qu'il avait vu planter arrondissait à hauteur de la terrasse une frondaison encore odorante de l'averse de la nuit et mouillait alentour la lumière oblique du matin. Johnny se revoyait quinze plus tôt dans le même soleil matinal, devisant avec des compagnons agréables et tels que s'il les eût choisis avec beaucoup de prudence. Il avait alors quarante-cinq ans et gardait en sa maturité une jeunesse encore ferme tant du visage du corps. Sa politesse et sa bonne grâce, qui faisaient rechercher sa société, étaient sans afféterie et fleurissaient naturellement. Pour forcer l'attention et l'intérêt des hommes désirables, il n'avait pas besoin de cet empressement exagéré, de cette prévenance courtisane, qui devaient l'amener à se faire remarquer par des attitudes efféminées. Autrefois, il était généreux avec désintéressement et les jeunes gens venaient à lui sans calcul, heureux de plaire. Aujourd'hui, ils ne venaient plus. La vie n'avait plus de tendres surprises."p.142
Commenter  J’apprécie          50
Ecrivain. Tu écrirais des livres. Je suis sûr que tu réussirais très bien. Tu es photogénique et fils de croque-mort, il n'en faut guère plus. Le reste viendrait tout seul. Naturellement, tu ferais dans la misère du peuple, l'injustice sociale, la poésie des masses, la noblesse de leurs instincts.Je t'aiderais un peu pour les commencements. J'ai pensé que tu pourrais débuté par des souvenirs d'enfance. Tu écrirais simplement, comme tu as appris. Je vois très bien des petites phrases courtes, dans le genre de celle-ci:"Mon père était croque-mort. Mamère faisait des ménages. Nous étions sept frères et sœurs. Le soir, à table, le père racontait sa journée. Tantôt, disait-il, j'ai enterré un sacré lapin. Ce cochon-là faisait au moins cent quatre-vingt livres. On riait. Il était content. Je l'admirais. Il était le maître de la vie et de la mort." Les connaisseurs s'extasieraient sur la concision magique de ton style: dureté et éclat du diamant. Les journaux de gauche diraient: Un grand écrivain et un prolétaire authentique.Et même dans les journaux de droite, quand on saurait que tu es mon ami, on se montrerait bienveillant."p.145-146
Commenter  J’apprécie          40
Pierre secoua la tête et médita, plein de rancunes, sur l'inégalité des conditions sociales et sur le triste hasard qui l'avait fait naître dans une famille de gros industriels. Fils d'ouvriers ou d'employés, ses parents n'eussent pas contrarié sa vocation de coureur de fond. Obscurément, il se prit à former des vœux pour la subversion de l'ordre social et le triomphe des partis extrémistes. Le désir lui vint d'exprimer sa pensée à haute voix, mais, à la réflexion, il ne trouva pas dans ses aspirations déçues de coureur à pied des raisons valables d'aller à la révolution. Un tel raccourci lui parut même un peu choquant. Du reste, une profession de foi révolutionnaire risquait de le rendre ridicule, lui, qui, à vingt-quatre ans, libre de tout souci matériel, n'osait même pas se révolter ou seulement objecter contre les exigences de son père.
Commenter  J’apprécie          40
Milou déclara qu'il avait assez de la boxe.
-Tu as grand tort, lui dit Johnny avec froideur. L'oisiveté ne te vaut rien du tout. Tu peux me croire, j'ai suffisamment l'expérience des jeunes hommes de ton milieu. Tu es un petit plébéien, porté sur la nourriture, la boisson et les moteurs d'auto. Si tu ne t'astreins pas à un travail, à une discipline, tu vas t'épaissir rapidement. Je te vois d'ici deux ans,rougeaud, courteaud, avec une dilatation d'estomac, de grosses fesses, double menton, une petite moustache de commis voyageur et des joues soufflées, salies de poil. Bref, un vrai homme à femme.
Commenter  J’apprécie          60
"Nos frères d'Espagne ont des droits sur nous. Il en fut troublé et agité. La rencontre lui paraissait menaçante et suspecte. Il prit dans sa poche une paire de jumelles et, s'allongeant à demi sur la table à côté de son fusil, regarda par le créneau. A travers ses jumelles, il distingua nettement la révolution qui montait, un grouillement infâme de communistes débraillés, de juifs, de socialistes prébendés, d'alcooliques, de radicaux barbus, de peintres cubistes, d'espions allemands et de provocateurs moscovites. Tout en dévorant la substance de la France, la horde avançait lentement, avec des pauses et des reprises, mais d'un sûr et ample mouvement de marée." p.203
Commenter  J’apprécie          40

Videos de Marcel Aymé (36) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Marcel Aymé
Il était une fois un petit café-restaurant, entre ville et campagne, refuge d'une poignée de drôles d'oiseaux que le monde moderne n'avait pas encore engloutis.
« On boit un coup, on mange un morceau, on écoute des histoires. Toutes activités qui s'accommodent mal du va-vite. Chacun offre son grain de temps au sablier commun, et ça donne qu'on n'est pas obligé de se hâter pour faire les choses ou pour les dire. »
Madoval, le patron, Mésange, sa fille, Comdinitch, Failagueule et les accoudés du zinc – braves de comptoir… « Pas des gueules de progrès », ces gens-là, mais de l'amitié, des rires, de l'humanité en partage et un certain talent pour cultiver la différence.
Jean-Pierre Ancèle signe un premier roman tendre et perlé comme une gorgée de muscadet, aux accents de Raymond Queneau ou de Marcel Aymé.
+ Lire la suite
autres livres classés : romanVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (315) Voir plus



Quiz Voir plus

Marcel Aymé

En quelle année est né Marcel Aymé?

1880
1897
1902
1910

10 questions
60 lecteurs ont répondu
Thème : Marcel AyméCréer un quiz sur ce livre

{* *}