« Mes joyeuses années au Faubourg » est un livre de 220 pages écrit par
Laurent Azzano et édité en août 1985 aux Éditions
France-Empire dans la collection « Si 1900 m'était conté ... », collection déjà riche -à cette date- d'une vingtaine d'ouvrages. Fils d'ébéniste,
Laurent Azzano arrive à Paris en 1927 : il a 13ans, et débute comme apprenti dans l'atelier qui emploie son père. Autodidacte, il apprend le français « sur le tas » puis passe son certificat d'études avant de suivre les cours du soir de dessin et d'histoire de l'art à l'école Boulle (école prestigieuse s'il en est). La guerre survient :
Laurent Azzano est mobilisé, fait prisonnier puis s'évade et vit dans la clandestinité jusqu'à la libération de Paris, à laquelle il participe activement. Après la guerre,
Laurent Azzano fonde avec son frère une entreprise de meubles qui emploiera une quinzaine de personnes.
La vie quotidienne des hommes et femmes du Faubourg, ça le connait. Dans un style imagé et truculent,
Laurent Azzano nous brosse un panorama de ce qu'il y a vu et entendu : dédales de rues ne sentant pas la rose, artisans trimant sang et eau et 7 jours sur 8 pour ne récolter qu'un franc par jour, marché de l'emploi hyper-volatile (on vous recrute à l'essai mais on vous vire sans formalité, le droit de grève n'existant pas et les syndicats étant balbutiants), insalubrité des appartements, misérables ou mendiants quémandant quelque nourriture, etc. S'agissant de conter les souvenirs du Faubourg Saint-Antoine, l'auteur de « Mes joyeuses années au Faubourg » n'y va pas par quatre chemins : portraits des uns et des autres, anecdotes, faits historiques (qu'on pourra aisément vérifier), expressions pittoresques, spécificités qui font de ce quartier un des coins les plus attachants de Paris (la rue de Lappe, ses apaches et ses gigolettes, ses ouvriers de moins de quinze ans comme ceux de plus de quatre-vingt ans, ses français mais aussi ses immigrés Italiens, Espagnols, Roumains, Polonais, Juifs et autres, ses bals, ses maisons-closes, ses réverbères à gaz, etc.). Avec gouaille et chaleur,
Laurent Azzano nous plonge dans une aventure qui titille les sens. La vue (cf. ci-dessus), l'odorat (ça sent le bois, la colle, la fumée, le vieux cuir, l'urine, le crottin de cheval, l'humidité, la ferraille et la peinture), l'ouïe (coups de marteau, scie circulaire, chute d'objets les plus divers, cris des patrons, insultes, martèlement des sabots sur les pavés de Paris) et le goût (le petit café arrosé, la piquette servie en guise de vin rouge, les alcools forts au rang desquels il fallait encore compter l'absinthe, et le frichtis préparé par les ébénistes et autres corps de métiers dans des cours ou des escaliers ne connaissant pas l'hygiène). Quant au toucher, il faut imaginer les mains de nos artisans parcourant les noeuds et les veines du bois longuement travaillé, réparé ou adapté, tirant sur les ficelles et cordages destinés à amarrer solidement les meubles sur des carrioles de fortune, ramassant ici ou là les copeaux qui seront enfournés en temps utile dans les sorbonnes. Qu'on ne s'y trompe pas : tout n'était pas rose à cette époque et dans ce quartier ! Les injustices au travail étaient fréquentes, les patrons « tête de lard » abondaient, et on s'entendait souvent répondre : « Pas de travail ! On n'a pas de commandes en ce moment ! On n'embauche pas ». Les temps étaient durs mais « pauvres, sachant souffrir, mais fiers et honnêtes, telle était la devise des ébénistes du faubourg » (page 183).
Laurent Azzano (ébéniste de son état, en poste chez différents employeurs du Faubourg Saint-Antoine puis patron) en a rarement vu ramper, « sauf quelques incapables ».
Laurent Azzano a souhaité confier aux lecteurs ses observations dans un style mêlant simplicité, expressions techniques (noms des divers outils utilisés, verbes désignant des actions précises) et relation au quotidien de ses contacts avec une faune grouillante et colorée, pittoresque et représentative d'une époque disparue. Malgré quelques répétitions et erreurs de typographie, l'ouvrage, richement documenté et sentant le vécu, présente un intérêt réel. Je mets quatre étoiles.