Je triche un peu, je n'ai pas lu le roman, je l'ai écouté dans son adaptation dans le Feuilleton de France Culture - avec la très belle voix d'
Aïssa Maïga qui incarne la Narratrice.
" Instrument des uns, appâts pour d'autres, respectées ou méprisées, souvent muselées, toutes les femmes ont presque toutes le même destin, que des religions ou des législations abusives ont cimenté". Ce roman, ou plutôt une longue lettre, porte la voix et le cri d'une femme, Ramatoulaye. Mariée, 50 ans, 12 enfants, puis abandonnée par son mari et désormais veuve. Ramatoulaye est sénégalaise, mais Ramatoulaye est universelle. Elle est touchante par la force de ses sentiments, par sa sincérité aussi puisqu'elle se livre totalement à sa correspondante.
Parler du couple, du mariage, de la famille, des enfants, du désir, de la jalousie, du vieillissement aussi, ce sont des propos qui pourraient être tenus à différentes époques, dans différents lieux. L'originalité ne vient donc pas des thématiques abordées. L'originalité ne vient pas non plus du décor : certes, le récit a pour cadre le Sénégal. Mais, pour moi, ce n'est pas si important dans le texte. Il y a des cauris, des griots, mais ce ne sont que quelques petites touches qui évoquent un cadre et une culture différents. Tel que je l'ai lu, ce n'est pas un roman sur le Sénégal, c'est un roman sur la condition des femmes.
Bien sûr, la polygamie est évoquée et dénoncée. Mais, après tout, en tant que lectrice occidentale, on pourrait remplacer le terme par liaison adultère avec une femme plus jeune, et le propos serait le même. Ce n'est donc pas une attaque contre la polygamie, mais une critique du patriarcat sous ses différentes formes.
Au-delà de ces aspects, ce qui m'a intéressé, c'est que le récit se passe dans un Sénégal indépendant, après la colonisation. En arrière-plan apparaît donc la démocratisation avec tous ces hommes notables qui s'engagent politiquement ou syndicalement, la modernisation et le développement économique aussi. Ces hommes sont des nouveaux riches, qui veulent afficher leur fortune par leurs villas, les bijoux de leurs femmes, leurs jeunes conquêtes... Un comportement assez universel là-encore.
Un roman qui émeut donc par la force du cri de son héroïne plus que par son originalité propre.