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Florence Renner (Autre)
EAN : 9782095020873
156 pages
Nathan (04/01/2024)
3.51/5   131 notes
Résumé :
Gobseck, Maître Cornélius et Facino Cane ont en commun un caractère fondamental : la fascination pour l'argent. Gobseck, implacable vieillard, a fait de l'usure un art dont il respecte scrupuleusement les règles. Maître Cornélius est un marchand riche et avare, banquier de Louis XI et Facino Cane, un noble Vénitien déchu et ruiné, à la recherche du trésor des Doges de Venise.
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Gobseck est encore l'un de ces magnifiques romans-portraits auxquels Honoré de Balzac nous a habitué.
Ici, il s'agit d'un vieillard et, si vous me permettez le calembour douteux, on peut dire que celui-ci, il gobe sec.
Peu importe et ce n'est pas pour nous déplaire car le tableau est particulièrement réussi et haut en couleur (ou plus exactement, bas en couleur pour être plus conforme au personnage).
L'auteur fait reprendre du service à l'avoué Derville (voir le Colonel Chabert) pour nous narrer le caractère, plus que l'histoire, de l'étrange Gobseck.
Celui-ci, hollandais de naissance usurier d'adoption, ne reconnais en effet que le pouvoir et les sortilèges de l'or. C'est le prêteur sur gage le plus rapace et le plus efficace de Paris.
L'on ne sait qu'une chose en entrant chez lui : on ressortira probablement avec de l'argent mais il va nous coûter cher !
Balzac le dépeint comme un cynique de la dernière espèce, tellement au fait des usages et des déviances des hommes qu'il en possède presque un don de divination.
Pourtant, et c'est là tout le génie de l'auteur, il arrive à faire poindre des nuances de hautes valeurs morales derrière cette façade inaltérable et impitoyable.
Le roman est court mais absolument truffé de phrases dignes de figurer dans nos pages roses de proverbes tellement elles semblent recéler une vérité générale.
Bref, un vrai petit chef-d'oeuvre très largement sous estimé et sous connu De Balzac, mais ceci, bien sûr n'est que mon avis, qu'on ne peut guère laisser en gage et qui donc, ne vaut pas grand chose.
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Impossible à mettre dans une case, Gobseck, je serais bien incapable de vous dire ce que j'en pense, de ce vieil usurier «avare et philosophe, petit et grand», selon le narrateur de ce court roman, M. Derville. Il m'échappe, me laisse perplexe.
C'est un affreux bien sûr, cet «homme-billet» au teint blafard, impitoyable avec ceux qui sont contraints de recourir à lui:
«Quelquefois ses victimes criaient beaucoup, s'emportaient; puis après il se faisait un grand silence, comme dans une cuisine où l'on égorge un canard.»
Mais sa profonde connaissance du monde en impose, le rapproche du romancier: avec tous les désespérés qu'il a vu défiler dans son logement humide et sombre, il a pu pénétrer dans les plus secrets replis du coeur humain, épouser la vie des autres, la voir à nu. Et il offre un point de vue remarquable pour exposer avec force les travers d'une société bourgeoise bien cynique, où l'argent et le faux-semblant règnent en maîtres, où la «justice» n'est là que pour préserver les inégalités:
«Pour se garantir leurs biens, les riches ont inventé des tribunaux, des juges, et cette guillotine, espèce de bougie où viennent se brûler les ignorants.»
Gobseck est mystérieux aussi, il a l'aura d'un tumultueux passé d'aventurier, ayant bourlingué en Inde et en Amérique, fréquenté de célèbres corsaires, acquis la conviction que les principes moraux changent à chaque latitude...
Et puis c'est un personnage d'une stature qui impressionne et frappe l'imaginaire, le narrateur voit en lui «une image fantastique où se personnifiait le pouvoir de l'or», et c'est vrai qu'il a un peu des allures de créature infernale lorsqu'on le voit tenir «les diamants près de sa bouche démeublée, comme s'il eût voulu les dévorer». Il devient même bien frappa-dingue, et c'est assez fascinant de le voir aller à ce point à fond dans son délire.
Bon, c'est vrai qu'ici Balzac ne s'est pas forcément tant que ça foulé sur la complexité de l'intrigue, ce n'est pas son meilleur roman sans doute, c'est un roman-portrait, mais quel portrait! Je ne sais pas trop quoi en penser mais je ne suis pas près de l'oublier, Gobseck.
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Un personnage aussi étrange que nous présente Balzac dans ce Gobseck, on apprend tout de lui à travers le récit qu'en fait Mr Derville, on croirait entendre parler de Mazzarin ou encore de l'Avare, un personnage pour qui l'argent est d'une suprématie cruciale qu'on se battrait à tous les coups pour le voir entrer plutôt que de le voir sortir, étant un préteur de gage, la valeur des choses lui est donc bel et bien connue, qu'il en débattra toujours pour la meilleure part, il est d'un cynisme encensé face au gain mais c'est dans cette même rudesse de caractère,Gobseck est d'une fascination incroyable, en ce sens qu'il peut se servir de sa rigueur pour redresser certains actes immoraux tel sauver la fortune d'un héritier menacé de ruine par la débauche de sa mère, une colossale réalisation dont l'aboutissement est bien sûr réservé aux seuls draconiens comme Gobseck dont la fermeté ne se laisse pas ébranler quel qu'en soit le vent!

Une lecture vraiment agréable!
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Dans cette nouvelle, Balzac nous brosse le portrait d'un usurier hors du commun d'origine hollandaise, Jean-Esther van Gobseck, dont l'histoire nous est racontée, dans l'intimité d'une fin de soirée mondaine, par un narrateur intra-diégétique, l'avoué Derville ; ce dernier a pris la parole pour donner à la jeune fille de la maison un avis circonstancié sur un jeune dandy ruiné dont elle s'est éprise, au grand dam de sa mère.

Dans la littérature en général, le personnage qui pratique l'usure est antipathique, malhonnête et sans scrupules et dans l'imaginaire collectif, c'est une figure particulièrement sombre alliée à la misère et à toutes les formes de pauvreté ; il apporte ruine et désespoir dans les familles qui ont recours à ses prêts à taux illicites et toujours exorbitants. de même l'avarice, l'attachement excessif aux biens matériels est un défaut, une véritable perversion souvent mise en scène en littérature. Balzac a dépeint plusieurs portraits d'usuriers ou d'avares dans sa Comédie Humaine : outre Gobseck, Nuncingen, Hochon ou le Père Grandet en milieu urbain, il a aussi créé Rigou en secteur rural dans Les Paysans, et sans doute d'autres qui ne me viennent pas à l'esprit où dont je n'ai pas encore découvert les portraits.
Personnellement, je trouve le personnage de Gobseck particulièrement fouillé et intéressant. C'est un personnage très ambivalent, qui concentre vices et qualités dans sa personnalité complexe. Malgré ses richesses, il vit frugalement et dans la plus grande discrétion. Son nom sonne comme un ultimatum, une sentence ou un couperet de guillotine ; mais son surnom de papa Gobseck, au contraire, l'adoucit et l'auréole d'un paternalisme rassurant. Ainsi, il a su se montrer bienveillant et amical pour son jeune voisin, Derville, qui a pu acheter sa charge grâce au prêt qu'il lui a consenti ; devenu pour le jeune homme un véritable mentor, il le guide et le conseille dans les dédales des transactions financières et juridiques et dans sa carrière d'avoué.
Gobseck semble avoir derrière lui une vie aventureuse de corsaire qui a connu Victor Hughes, mais toujours dominée par l'argent et les richesses ; il se dit capable de se battre à l'épée ou au pistolet. Il pratique le capitalisme et l'usure avec une certaine philosophie, voire une sorte de morale qui lui est propre ; chez lui, l'usure devient non seulement une forme de pouvoir, mais aussi un art véritable dans une profonde connaissance des mécanismes financiers et de la psychologie humaine, comme s'il avait un don de double-vue un peu surnaturel…
Je vois un parallèle possible avec le personnage de l'étrange antiquaire de la Peau de Chagrin ; l'engrenage de l'usure donne à Gobseck un pouvoir semblable à celui du rétrécissement inexorable de la peau magique. Il est même perçu comme un ogre de conte de fées par une de ses victimes.
L'intrigue d'usure en elle-même, telle que racontée par l'avoué Derville, paraît secondaire et reste une simple illustration du portrait principal ; à noter cependant la description du milieu et des moeurs des dandys ainsi que l'analyse des scènes de la vie conjugale dans ses excès, ses entorses et ses dérives et les inévitables conséquences pécuniaires et successorales qu'elles entrainent.

J'ai repris avec bonheur ma lecture in extenso de la Comédie Humaine et, encore une fois, voilà une nouvelle dont je n'avais jamais entendu parler qui fait figure de pépite dans ce parcours.
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De Balzac, qui est depuis mon enfance un de mes auteurs favoris, à part La peau de chagrin et le Colonel Chabert, je n'ai lu que les grands romans: Eugénie Grandet, le père Goriot, la Cousine Bette, le Cousin Pons, Splendeurs et Misères des Courtisanes, La recherche de l'Absolu, etc…en n'oubliant pas bien sûr, l'incontournable le Lys dans la vallée, qui m'a un peu troublé dans ma jeunesse.
J'avais laissé de côté les nouvelles, que beaucoup (dont mon cher Marcel Proust) considèrent comme mineures.

C'est en furetant sur Babelio que j'ai pu lire les commentaires enthousiastes de mes ami-e-s (ou pas ) Babeliotes.
C'est ce qui m'a décidé à franchir le pas, et j'ai débuté mes lectures par Gobseck (téléchargeable gratuitement sur internet!), et je ne l'ai pas regretté!

Gobseck, extraordinaire nouvelle, tant par le contenu, la profondeur psychologique que par la construction. Une merveille concentrée en un court récit.

On y retrouve l'avoué Maître Derville (présent dans de nombreux romans De Balzac dont le Colonel Chabert et Splendeurs et misères des courtisanes) qui intervient dans une conversation dans laquelle la vicomtesse de Grandlieu dit désapprouver l'amour de sa fille Camille avec Ernest de Restaud, car ce dernier est le fils d'Anastasie de Restaud née Goriot, qui dilapide l'argent du ménage dans une relation extra-conjugale avec le comte Maxime de Traille.
Derville raconte alors les péripéties tumultueuses de la relation entre la famille de Restaud et Gobseck, un usurier parmi les plus riches et les plus féroces de Paris, qu'il a fréquenté à son début de carrière, alors qu'il n'était que second clerc d'avoué.

Sans entrer dans les détails de l'intrigue racontée par Derville et qui se conclut par le fait que le jeune Ernest de Restaud va pouvoir hériter de la fortune de son père récemment décédé, le récit est remarquable d'abord parce qu'il dresse l'extraordinaire portrait d'un usurier, on pourrait dire de l'Usurier. Un homme doué d'une finesse d'analyse psychologique exceptionnelle, féroce mais un peu justicier puisqu'il est sans pitié pour les puissants par la noblesse ou par la richesse, et plutôt bienveillant à l'égard des modestes par le rang social ou la fortune. Mais aussi un homme qui progressivement sombre dans la folie d'amasser les richesses (et le reste), tout en ne dépensant rien.

Et puis, le récit nous dresse un tableau cruel du couple des de Restaud, un mari qui hait sa femme, un père qui veut déshériter les enfants du premier mariage de son épouse, une épouse haïssant son mari et qui se ruine dans une relation avec un bel homme sans scrupules, et une mère qui établit une emprise sur son fils.

Et enfin (nous sommes dans La Comédie Humaine), Balzac nous décrit de façon impitoyable la société de la Restauration, où les nobles revenus sur le devant de la scène sociale n'en sont pas moins obligés de composer, voire d'arranger des mariages, avec les riches bourgeois, l'argent prime sur tout le reste.

En lisant ce texte magnifique, j'ai repensé à l'excellente analyse de l'oeuvre De Balzac que fait Marcel Proust dans son Contre Sainte-Beuve.
D'abord son regard amusé sur le leitmotiv de l'argent dans les romans de ce cher Honoré. C'est vrai, il y a toujours une affaire de gros sous dans les romans ou nouvelles, on y brasse des millions, on vous explique comment on peut se faire ou se refaire une fortune, ou la dilapider.
Mais Proust a parfaitement compris à quel point Balzac a été capable de saisir les rouages et les dérives de cette société dévorée par l'argent, et plus généralement à savoir décrire, en quelques phrases, en quelques allusions, les travers et parfois les qualités des humains.
Eh bien! Je crois que tout cela est, en concentré, dans Gobseck.
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Citations et extraits (46) Voir plus Ajouter une citation
Je dois commencer par vous parler d'un personnage que vous ne pouvez pas connaître. Il s'agit d'un usurier. Saisirez-vous bien cette figure pâle et blafarde, à laquelle je voudrais que l'académie me permît de donner le nom de face lunaire, elle ressemblait à du vermeil dédoré ? Les cheveux de mon usurier étaient plats, soigneusement peignés et d'un gris cendré. Les traits de son visage, impassible autant que celui de Talleyrand, paraissaient avoir été coulés en bronze. Jaunes comme ceux d'une fouine, ses petits yeux n'avaient presque point de cils et craignaient la lumière ; mais l'abat-jour d'une vieille casquette les en garantissait. Son nez pointu était si grêlé dans le bout que vous l'eussiez comparé à une vrille. Il avait les lèvres minces de ces alchimistes et de ces petits vieillards peints par Rembrandt ou par Metzu. Cet homme parlait bas, d'un ton doux, et ne s'emportait jamais. Son âge était un problème : on ne pouvait pas savoir s'il était vieux avant le temps, ou s'il avait ménagé sa jeunesse afin qu'elle lui servît toujours. Tout était propre et râpé dans sa chambre, pareille, depuis le drap vert du bureau jusqu'au tapis du lit, au froid sanctuaire de ces vieilles filles qui passent la journée à frotter leurs meubles. En hiver les tisons de son foyer, toujours enterrés dans un talus de cendres, y fumaient sans flamber. Ses actions, depuis l'heure de son lever jusqu'à ses accès de toux le soir, étaient soumises à la régularité d'une pendule. C'était en quelque sorte un homme-modèle que le sommeil remontait. Si vous touchez un cloporte cheminant sur un papier, il s'arrête et fait le mort ; de même, cet homme s'interrompait au milieu de son discours et se taisait au passage d'une voiture, afin de ne pas forcer sa voix. À l'imitation de Fontenelle, il économisait le mouvement vital, et concentrait tous les sentiments humains dans le moi. Aussi sa vie s'écoulait-elle sans faire plus de bruit que le sable d'une horloge antique. Quelquefois ses victimes criaient beaucoup, s'emportaient ; puis après il se faisait un grand silence, comme dans une cuisine où l'on égorge un canard. Vers le soir l'homme-billet se changeait en un homme ordinaire, et ses métaux se métamorphosaient en coeur humain. S'il était content de sa journée, il se frottait les mains en laissant échapper par les rides crevassées de son visage une fumée de gaieté, car il est impossible d'exprimer autrement le jeu muet de ses muscles, où se peignait une sensation comparable au rire à vide de Bas-de-Cuir. Enfin, dans ses plus grands accès de joie, sa conversation restait monosyllabique, et sa contenance était toujours négative. Tel est le voisin que le hasard m'avait donné dans la maison que j'habitais rue des Grès, quand je n'étais encore que second clerc et que j'achevais ma troisième année de Droit.

[…]

Je me suis quelquefois demandé à quel sexe il appartenait. Si les usuriers ressemblent à celui-là, je crois qu'ils sont tous du genre neutre.

[…]

— Le papa Gobseck, repris-je, est intimement convaincu d'un principe qui domine sa conduite. Selon lui, l'argent est une marchandise que l'on peut, en toute sûreté de conscience, vendre cher ou bon marché, suivant les cas. Un capitaliste est à ses yeux un homme qui entre, par le fort denier qu'il réclame de son argent, comme associé par anticipation dans les entreprises et les spéculations lucratives. À part ses principes financiers et ses observations philosophiques sur la nature humaine qui lui permettent de se conduire en apparence comme un usurier, je suis intimement persuadé que, sorti de ses affaires, il est l'homme le plus délicat et le plus probe qu'il y ait à Paris. Il existe deux hommes en lui : il est avare et philosophe, petit et grand. Si je mourais en laissant des enfants, il serait leur tuteur. Voilà, monsieur, sous quel aspect l'expérience m'a montré Gobseck. Je ne connais rien de sa vie passée. Il peut avoir été corsaire, il a peut-être traversé le monde entier en trafiquant des diamants ou des hommes, des femmes ou des secrets d'état, mais je jure qu'aucune âme humaine n'a été ni plus fortement trempée ni mieux éprouvée.
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Les dévotes forment une sorte de république, elles se connaissent toutes ; les domestiques, qu’elles se recommandent les unes aux autres, sont comme une race à part conservée par elles à l’instar de ces amateurs de chevaux qui n’en admettent pas un dans leurs écuries dont l’extrait de naissance ne soit en règle. Plus les prétendus impies viennent à examiner une maison dévote, plus ils reconnaissent alors que tout y est empreint de je ne sais quelle disgrâce ; ils y trouvent tout à la fois une apparence d’avarice ou de mystère comme chez les usuriers, et cette humidité parfumée d’encens qui refroidit l’atmosphère des chapelles. Cette régularité mesquine, cette pauvreté d’idées que tout trahit, ne s’exprime que par un seul mot, et ce mot est bigoterie. Dans ces sinistres et implacables maisons, la bigoterie se peint dans les meubles, dans les gravures, dans les tableaux : le parler y est bigot, le silence est bigot et les figures sont bigotes. La transformation des choses et des hommes en bigoterie est un mystère inexplicable, mais le fait est là.
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Depuis neuf ans donc, je ne m'étonne plus que les vieillards se plaisent tant à cultiver des fleurs, à planter des arbres ; les événements de la vie leur ont appris à ne plus croire aux affections humaines ; et, en peu de jours, je suis devenu vieillard. Je ne veux plus m'attacher qu'à des animaux, qui ne raisonnent pas, à des plantes, à tout ce qui est extérieur.
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Je vais vous faire le décompte de la vie. Soit que vous voyagiez, soit que vous restiez au coin de votre cheminée et de votre femme, il arrive toujours un âge auquel la vie n’est qu’une habitude exercée dans un certain milieu préféré. Le bonheur consiste alors dans l’exercice de nos facultés appliquées à des réalités. Hors de ces deux préceptes, tout est faux. (…) Reste en nous le seul sentiment vrai que la nature y ait mis : l’instinct de notre conservation. (…) Si vous aviez vécu autant que moi, vous sauriez qu’il n’est qu’une seule chose matérielle dont la valeur soit assez certaine pour qu’un homme s’en occupe. Cette chose… c’est l’OR. L’or représente toutes les forces humaines. (…) Quant aux mœurs, l’homme est le même partout : partout le combat entre les pauvres et les riches est établi, partout il est inévitable ; il vaut donc mieux être l’exploitant que d’être l’exploité.
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Nul ne porte mieux un habit, ne conduit un tandem mieux que lui. Maxime a le talent de jouer, de manger et de boire avec plus de grâce que qui que ce soit au monde. Il se connaît en chevaux, en chapeaux, en tableaux. Toutes les femmes raffolent de lui. Il dépense toujours environ cent mille francs par an sans qu'on lui connaisse une seule propriété, ni un seul coupon de rente. Type de la chevalerie errante de nos salons, de nos boudoirs, de nos boulevards, espèce amphibie qui tient autant de l'homme que de la femme, le comte Maxime de Trailles est un être singulier, bon à tout et propre à rien, craint et méprisé, sachant et ignorant tout, aussi capable de commettre un bienfait que de résoudre un crime, tantôt lâche et tantôt noble, plutôt couvert de boue que taché de sang, ayant plus de soucis que de remords, plus occupé de bien digérer que de penser, feignant des passions et ne ressentant rien. Anneau brillant qui pourrait unir le Bagne à la haute société, Maxime de Trailles est un homme qui appartient à cette classe éminemment intelligente d'où s'élancent parfois un Mirabeau, un Pitt, un Richelieu, mais qui le plus souvent fournit des comtes de Horn, des Fouquier-Tinville et des Coignard.

[…]

Il vous serait difficile de concevoir un déjeuner de garçon, madame. C'est une magnificence et une recherche rares, le luxe d'un avare qui par vanité devient fastueux pour un jour. En entrant, on est surpris de l'ordre qui règne sur une table éblouissante d'argent, de cristaux, de linge damassé. La vie est là dans sa fleur : les jeunes gens sont gracieux, ils sourient, parlent bas et ressemblent à de jeunes mariées, autour d'eux tout est vierge. Deux heures après, vous diriez d'un champ de bataille après le combat : partout des verres brisés, des serviettes foulées, chiffonnées ; des mets entamés qui répugnent à voir ; puis, c'est des cris à fendre la tête, des toasts plaisants, un feu d'épigrammes et de mauvaises plaisanteries, des visages empourprés, des yeux enflammés qui ne disent plus rien, des confidences involontaires qui disent tout. Au milieu d'un tapage infernal, les uns cassent des bouteilles, d'autres entonnent des chansons ; l'on se porte des défis, l'on s'embrasse ou l'on se bat ; il s'élève un parfum détestable composé de cent odeurs et des cris composés de cent voix ; personne ne sait plus ce qu'il mange, ce qu'il boit, ni ce qu'il dit ; les uns sont tristes, les autres babillent ; celui-ci est monomane et répète le même mot comme une cloche qu'on a mise en branle ; celui-là veut commander au tumulte ; le plus sage propose une orgie. Si quelque homme de sang-froid entrait, il se croirait à quelque bacchanale.
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Vidéo de Honoré de Balzac
Deuxième épisode de notre podcast avec Sylvain Tesson.
L'écrivain-voyageur, de passage à la librairie pour nous présenter son récit, Avec les fées, nous parle, au fil d'un entretien, des joies de l'écriture et des peines de la vie, mais aussi l'inverse, et de la façon dont elles se nourrissent l'une l'autre. Une conversation émaillée de conseils de lecture, de passages lus à haute voix et d'extraits de la rencontre qui a eu lieu à la librairie.
Voici les livres évoqués dans ce second épisode :
Avec les fées, de Sylvain Tesson (éd. des Équateurs) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/23127390-avec-les-fees-sylvain-tesson-equateurs ;
Blanc, de Sylvain Tesson (éd. Gallimard) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/21310016-blanc-une-traversee-des-alpes-a-ski-sylvain-tesson-gallimard ;
Une vie à coucher dehors, de Sylvain Tesson (éd. Folio) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/14774064-une-vie-a-coucher-dehors-sylvain-tesson-folio ;
Sur les chemins noirs, de Sylvain Tesson (éd. Folio) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/14774075-sur-les-chemins-noirs-sylvain-tesson-folio ;
Le Lys dans la vallée, d'Honoré de Balzac (éd. le Livre de poche) : https://www.librairiedialogues.fr/livre/769377-le-lys-dans-la-vallee-honore-de-balzac-le-livre-de-poche.
Invité : Sylvain Tesson
Conseil de lecture de : Pauline le Meur, libraire à la librairie Dialogues, à Brest
Enregistrement, interview et montage : Laurence Bellon
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Les Éclaireurs de Dialogues, c'est le podcast de la librairie Dialogues, à Brest. Chaque mois, nous vous proposons deux nouveaux épisodes : une plongée dans le parcours d'un auteur ou d'une autrice au fil d'un entretien, de lectures et de plusieurs conseils de livres, et la présentation des derniers coups de coeur de nos libraires, dans tous les rayons : romans, polar, science-fiction, fantasy, BD, livres pour enfants et adolescents, essais de sciences humaines, récits de voyage…
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