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Gaëtan Picon (Autre)Patrick Berthier (Autre)
EAN : 9782070360628
699 pages
Gallimard (28/03/1972)
  Existe en édition audio
4.26/5   2312 notes
Résumé :
À Angoulême, David Séchard, un jeune poète idéaliste, embauche dans son imprimerie un ami de collège, Lucien Chardon, qui prendra bientôt le nom de sa mère, Rubempré. Poète lui aussi, il bénéficie d'une sorte de gloire locale et fréquente le salon de Louise de Bargeton, dont il tombe bientôt amoureux, et avec qui il part pour Paris. Voilà bientôt Lucien lancé dans le monde des lettres et la haute société, mais si Paris est la ville des « gens supérieurs », ce sera ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (148) Voir plus Ajouter une critique
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Une grande inspiration, un oeil décidé et c'est parti pour cette critique qui me tient tant à coeur. C'est que j'ai peine à vous dire tout l'amour que j'ai pour Balzac en général et pour les Illusions Perdues en particulier.

Il est tellement malmené au lycée ; on lui fait porter un tel chapeau à mon pauvre petit Honoré ; on nous donne souvent tellement peu envie de s'aller essayer à la Comédie Humaine que c'en est presque consternant. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir varié tant la taille que le type de ses écrits, mais tout tourne autour de 4 ou 5 titres qu'on se refile d'année scolaire en année scolaire, comme un vilain rhume.

Ici, vous êtes au centre de l'édifice, énorme, labyrinthique, monumental que constitue la Comédie Humaine, vous êtes au coeur du donjon, vous admirez le pilier médian, porteur essentiel, pour ne pas dire porteur DE l'essentiel. Quand bien même n'aurait-il écrit que cet unique roman, Balzac eût été, sans nul doute, l'un de nos plus grands écrivains de langue française.

En effet, l'auteur déploie dans ce livre sa quintessence, celle qui en fait un géant de la littérature française et mondiale. Pas UN Balzac, mais LE Balzac, le MAGIC-BALZAC comme on le rêve : riche, tonique, corrosif, lucide, drôle et tout, vraiment tout, ce qu'on peut attendre d'un roman du XIXème siècle.

Chapeau bas Monsieur Balzac ; on a beau dire, on a beau faire, ils ne sont pas si nombreux ceux qui vous arrivent à la cheville et, s'il fait moins vibrer les trémolos du pathos que ne le fait Victor Hugo, ne nous y trompons pas, cette oeuvre est du calibre des Misérables, aussi franche et savoureuse que le Comte de Monte-Cristo, les deux seuls romans francophones de ce siècle à pouvoir faire moindrement le poids face à ce monstre sublime que nous a légué Honoré de Balzac.

Si vous ne souhaitez pas savoir du tout de quoi parle ce roman, je vous conseille de vous arrêter ici dans la lecture de cet avis. En revanche, si vous voulez en connaître un peu les grandes lignes, je vous en taille à la serpe les pourtours dans ce qui suit :

La première partie intitulée Les Deux Poètes nous présente, vous l'imaginez, les deux amis : l'un, David Séchard, fils d'un imprimeur d'Angoulême, économe, la tête sur les épaules, qui a fait des études à Paris et qui a surtout compris qu'il ne pourrait jamais compter sur son père, aussi avare dans son genre que le père Grandet (voir Eugénie Grandet) ce qui n'est pas peu dire.

L'autre, Lucien Chardon, fils d'un apothicaire, issu d'une branche noble par sa mère, les " de Rubempré ", possède un talent littéraire indéniable et semble attiré par le grand monde et les lumières de la grande ville comme les papillons sur les lampes à incandescence.

La question étant de savoir s'il se brûlera les ailes auprès de Madame de Bargeton, une célébrité aristocratique locale. le titre du roman pourrait presque, à l'extrême limite, vous donner un tout petit indice, mais je n'en suis pas bien sûre...

La deuxième partie, Un Grand Homme de Province À Paris, comme son nom l'indique, déplace l'un des personnages principaux, Lucien Chardon (ou de Rubempré selon qu'on considère ou non son ascendance noble du côté maternel), d'Angoulême à Paris.

Lucien quitte tout pour les beaux yeux de cette aristocrate provinciale, Madame de Bargeton, qui s'est éprise de lui. Très vite, le grand monde va se charger d'exclure ce rejeton illégitime de la noblesse et donc, de faire cesser l'admiration de Mme de Bargeton pour son petit protégé de poète.

En moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, seul et avec le coût exorbitant de la vie parisienne, Lucien se retrouve dans l'indigence la plus noire, avec pour seul espoir, sa jeunesse et son talent de plume. Il a le bonheur de faire la connaissance de Daniel d'Arthez, jeune écrivain incorruptible, initiateur du Cénacle, cercle d'amoureux des arts, prêts à tout pour aller jusqu'au bout de leur art sans tremper jamais dans aucune compromission, d'aucune sorte.

Lucien sera très vite fasciné par cet droiture morale, cet ascétisme de pensée et de travail, dont les résultats commencent à porter leurs fruits dans son esprit critique et dans son maniement de la plume.

Cependant, Lucien, pauvre comme les pierres, va lorgner abondamment vers les lumières du journalisme et ses succès faciles, richement rétribués. L'ascension de Lucien va être fulgurante, lui permettant au passage de tailler des costards à ses vieilles connaissances angoumoisines qui l'ont si lâchement laissé tomber à son arrivée dans la capitale.

Néanmoins, être talentueux n'est pas sans risque, comme vous le découvrirez à la lecture de cette partie. Balzac nous offre des pages sublimes et dresse un portrait corrosif et peu flatteur tant du journalisme que du monde de l'édition. Un portrait qui sent éminemment le vécu et qui ne semble pas avoir pris une ride.

Les requins et les fourbes d'aujourd'hui ne sont guère différents de ceux d'hier. C'est en cela que l'universalité et le talent de visionnaire De Balzac étaient (Baudelaire s'en émerveillait), sont et demeureront impressionnants.

Dans la troisième et dernière partie baptisée Les Souffrances de L'Inventeur, après ce long épisode parisien ayant Lucien pour protagoniste principal, Balzac poursuit en synchronique avec la destinée de sa soeur Ève et de David Séchard, restés à Angoulême dans le même temps.

L'auteur y développe, avec un luxe qui sent trop le vécu pour ne pas avoir son origine dans ses propres mésaventures personnelles, la savante machinerie de l'extorsion de l'invention d'un concurrent par le biais des lois, le concours des créanciers et l'entremise des hommes sensés être les garants de l'équité sociale. Ainsi, David Séchard, mis dans de cruels draps par les trois faux billets de mille francs signés à son insu par Lucien, se retrouve entre les griffes voraces des frères Cointet, imprimeurs, usuriers et banquiers d'Angoulême.

Malgré la défense héroïque du secret de fabrication de David par les deux infortunés époux Séchard, le destin s'acharne à leur vider les poches (enfin, le destin, c'est surtout les frères Cointet, Petit-Claud, l'avoué véreux, le fourbe Cérizet, l'avare père Séchard et Lucien involontairement par-dessus le marché).
Lucien, voyant dans quelle déroute il a mis sa soeur et son beau-frère est prêt au sacrifice suprême, mais il rencontre un bien singulier prêtre, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à un ancien bagnard qu'on a bien connu dans le Père Goriot...

Balzac règle ses comptes avec les usuriers, banquiers, notaires, avocats et autres juges. Bref, une fin sublime pour ce roman qui ne l'est pas moins, et de bout en bout, mais tout ceci, vous l'aurez compris, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand chose, le mieux, et de loin, que vous ayez à faire, c'est de le lire. Je vous rembourse la différence si vous n'y trouvez pas votre compte et n'êtes pas satisfaits.

P. S. : c'est dans ce roman que Balzac invente un néologisme qui fera long feu, notamment via Jacques Brel, à savoir la " soulographie ".
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Ce roman est d'une richesse incroyable, il nous brosse un tableau des plus précis de la vie aussi bien parisienne que provinciale au tout début du XIX ème siècle.
Balzac tire à boulets rouges sur la presse, le monde du spectacle, la banque, la justice et les tout débuts du système capitaliste. Et encore une fois, à travers des personnages magnifiquement bien campés, il expose aux yeux du lecteur toute l'étendue des bassesses dont l'homme est capable.
A travers le personnage de Lucien et ceux de sa famille, il illustre la question de l'ascension sociale à cette époque et nous en montre les redoutables obstacles.

Le roman se compose de 3 parties (selon mon découpage personnel). La première présente la famille de Lucien, son environnement provincial et relate son introduction dans la haute société angoumoisine. Dans la deuxième partie, Lucien vise plus haut encore et débarque dans ce Paris qui le fait tant rêver et lui semble si prometteur mais qui ne sera pour lui que désillusions. Dans la troisième partie, c'est le retour à Angoulême avec une plongée dans les affaires de la petite imprimerie familiale aux prises avec ses concurrents et l'espionnage industriel.

Ce qui rend ce roman extrêmement réaliste et vivant, c'est que Balzac s'est inspiré de sa propre expérience et qu'il y parle de ses propres désillusions. Comment ne pas faire le rapprochement entre l'auteur et Lucien qui souhaite à tout prix devenir un écrivain reconnu et qui se heurte à un milieu difficile, fermé et surtout soumis au bon-vouloir de la presse ? Même chose lorsque Lucien embrasse la profession de journaliste.
Bref on sent que Balzac maîtrise à fond son sujet nous offrant des pages incroyablement détaillées sur le monde de l'imprimerie, de la banque et de la justice ( il y est même allé un peu fort là, je n'ai rien compris du tout …)
Plus que ça encore, Balzac était quand même plutôt visionnaire. C'est incroyable de constater qu'au tout début du XIXème siècle, il a pu sentir la dimension que prendrait le pouvoir de la presse et ses propos sonnent de façon très actuelle :

« le Journal au lieu d'être un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis ; de moyen, il s'est fait commerce ; et comme tous les commerces, il est sans foi ni loi. Tout journal est, comme le dit Blondet, une boutique où l'on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. S'il existait un journal des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité des bossus. Un journal n'est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. Ainsi, tous les journaux seront dans un temps donné lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins ; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même. »

L'intrigue est magistralement menée du début à la fin, on va de rebondissements en rebondissements, on s'apitoie sur le pauvre Lucien pour mieux pester contre lui quelques pages plus loin.
Les personnages De Balzac sont véritablement représentatifs de la nature humaine, aucun n'est tout blanc ou tout noir, on les voit changer, évoluer, se comporter différemment en fonction de leur situation.
On retrouve aussi de vieilles connaissances rencontrées dans le Père Goriot ou La Duchesse de Langeais et on réalise qu'on s'est probablement mépris sur certains d'entre eux ( n'est-ce pas Eugène ?). Une surprise attend le lecteur à la fin ( d'où l'intérêt de lire le Père Goriot avant) et qui me rend impatiente de savoir ce qu'il adviendra dans Splendeur et misère des courtisanes.

Beaucoup de thèmes sont donc abordés à travers ce roman qui constitue apparemment une sorte de concentré de ce que Balzac a pu écrire dans ses autres textes. Autant dire qu'on y trouve de tout et qu'on ne peut absolument pas s'ennuyer : amours déçus, trahisons, célébrité, déchéance, misère, jalousies en tout genre, égoïsme, amour familial, amitié, pardon, chantage, passion, fièvre et acharnement du chercheur et j'en oublie !
J'ai aussi adoré les descriptions de Paris ( celle de la Galerie des Bois ) où vraiment Balzac retranscrit l'atmosphère, l'ambiance du lieu à un point qu'on s'y croirait.

Voilà, je ne vois pas ce que je pourrais ajouter de plus sans trop en dévoiler. J'avais très peur de me lancer dans cette lecture, je m'imaginais un sujet plutôt austère et le nombre de pages m'intimidait aussi. Mais je suis ô combien heureuse d'avoir tenté l'aventure tout de même car Illusions perdues est, pour l'instant, le meilleur classique qu'il m'ait été donné de lire.

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Le repos forcé m'a donc permis de lire en toute quiétude le roman entamé fin décembre. Toutes les conditions étaient requises pour l'apprécier dans les meilleures conditions car ce n'est pas le genre d'oeuvre qu'on peut lire dans le métro. le roman De Balzac est découpé en trois parties et il n'y a pas de chapitres intermédiaires permettant des pauses impromptues. Il faut se lancer dans la lecture de longs passages sans craindre d'être stoppé dans son élan et ne reposer le livre que lorsque l'intrigue le permet. Ce roman est le condensé ou l'illustration parfaite de sa géniale Comédie Humaine. Comment un homme peut-il écrire autant, si bien, avec une telle cohérence globale ? Je ne vais pas me lancer dans une analyse poussée du roman encore moins de l'oeuvre titanesque De Balzac, d'autres plus calés que moi l'ont déjà fait et le referont encore. Néanmoins je constate une nouvelle fois que la lecture des grands classiques de la littérature permet de remettre les choses à leur place, de nombreux livres sont édités, beaucoup sont très agréables à lire mais entre un bon livre et un chef-d'oeuvre il y a une différence que même le béotien remarque. Aussi quand je parcours certaines critiques dithyrambiques sur des best-sellers à peine éclos des imprimeries Brodard et Taupin à La Flèche (Sarthe) -par exemple- je leur accole un bémol d'emblée. Pour en revenir aux Illusions perdues (et non pas Les illusions perdues) « l'absence d'article défini – cas unique chez Balzac- montre clairement le caractère absolu de la désillusion » vous en sortirez étourdi et sonné par le machiavélisme des personnages où l'intérêt et l'ambition priment sur tout autre sentiment, les alliances se font et se défont au gré des rebondissements. Lucien de Rubempré pauvre poète monté d'Angoulême à Paris nous permettra d'évoluer dans le monde de la littérature, de la presse, du théâtre, de la bourgeoisie et de l'aristocratie où tous ont partie liée selon le sens du vent. L'intrigue est puissante, atterrante quand Lucien trahira ses amis ou ruinera sa famille, éblouissante quand Balzac démonte sous nos yeux tous les mécanismes économiques et moraux qui enrichissent ou ruinent ses personnages. Paru vers 1840 le livre reste terriblement moderne et tout aussi extraordinaire. Chef-d'oeuvre s'il faut encore le répéter.
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Lu il y a une quinzaine d'années, j'ai pris un très grand plaisir à retrouver cette histoire certes classique (mais bon Balzac c'est classique non ?) mais au combien intemporelle des papillons de province attirés par les lumières de la capitale et s'y brûlant les ailes. le papillon ici c'est Lucien de Rubempré qui pour arriver à ses fins (l'amour, la gloire et la fortune pour faire court) mettra en péril financier et plongera dans la désespérance sa soeur, sa mère, son beau-frère et ami. La description de la bourgeoisie de province angoumoise est redoutable et saisissante, mais les artifices de la société parisienne en prennent également largement pour leur grade. On retrouve dans ce livre le portraitiste au vitriol qu'est Balzac (deux exemples parmi tant et tant au fil de ces pages : le portrait du père Séchard, et de son avarice, type « le père Goriot », et celui de Louise de Bargenton, muse de Lucien tour à tour délaissée et sans états d'âme). On appréciera aussi les descriptions fines et détaillées de divers corps de métier liés à l'écriture: les imprimeurs, les journalistes, les éditeurs.
Une fois l'histoire connue, la relecture de ce livre est un régal, et le titre de l'oeuvre De Balzac (La Comédie Humaine) prend tout son sens dans ce roman fleuve aux accents de modernité. le volume unique constituant « Illusions perdues » est dû au regroupement de trois romans séparés publiés sur une petite dizaine d'années entre 1837 et 1845. Je conseille vivement cette version du livre de poche de 2006, et l'imposant travail d'explication et de notification effectué par P. Berthier, spécialiste de littérature du XIXème siècle. Ces apports au fil du texte sont souvent très érudites mais diablement intéressantes, en particulier sur le passage entre les trois romans initiaux et le roman unique (liens entre les différentes parties, problèmes de chronologie dans l'histoire,…). le texte De Balzac s'agrémente ainsi de nombreuses notes de bas de page décrivant par le menu les différentes versions publiées dans la très renommée édition Furne, les tournures de style typiques du XIXème siècle et aujourd'hui désuètes, les fautes de style assez nombreuses commises par Balzac. La langue française utilisée dans ce roman est une véritable gourmandise.
La lecture est parfois difficile, le mode « feuilleton » dans lequel ce texte fut initialement publié explique les longueurs du texte (Le feuilletoniste du XIXème siècle était rémunéré au mot), les passages abordant les problèmes d'argent sont assez complexes et parfois rébarbatifs. Mais l'universalité des personnages et des thèmes sociétaux abordés, la complexité des personnages et le regard féroce De Balzac sur ces contemporains et sur la société font pour moi de ce roman, avec sa suite « Splendeurs et misères des courtisanes » un véritable chef d'oeuvre de la littérature.
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Excellente observation du comportement humain. Les temps ont changé ? Oh, pas tellement ! Un écrivain devra de toute façon traverser ces expériences humiliantes et perdre peu à peu ses illusions. Plus que jamais, l'homme est avide d'argent et de pouvoir, l'art n'a pas de valeur en soi...
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critiques presse (1)
Bibliobs
15 juillet 2013
Qui est-il, ce Lucien Chardon, dit de Rubempré ? Une crapule ambitieuse ? Un sage moderne, qui a compris que l’existence est vaine hors des honneurs stupides de ce bas-monde ? [...] un journaliste. Avant Bourdieu, avant Mélenchon, Balzac nous dit tout sur la presse parisienne et ceux qui la font.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (405) Voir plus Ajouter une citation
Aujourd’hui, chez vous, le succès est la raison suprême de toutes les actions, quelles qu’elles soient. Le fait n’est donc plus rien en lui-même, il est tout entier dans l’idée que les autres s’en forment. De là, jeune homme, un second précepte : ayez de beaux dehors ! cachez l’envers de votre vie, et présentez un endroit très-brillant. La discrétion, cette devise des ambitieux, est celle de notre Ordre : faites-en la vôtre. Les grands commettent presque autant de lâchetés que les misérables ; mais ils les commettent dans l’ombre et font parade de leurs vertus : ils restent grands. Les petits déploient leurs vertus dans l’ombre, ils exposent leurs misères au grand jour : ils sont méprisés. Vous avez caché vos grandeurs et vous avez laissé voir vos plaies. Vous avez eu publiquement pour maîtresse une actrice, vous avez vécu chez elle, avec elle : vous n’étiez nullement répréhensible, chacun vous trouvait l’un et l’autre parfaitement libres ; mais vous rompiez en visière aux idées du monde et vous n’avez pas eu la considération que le monde accorde à ceux qui lui obéissent. Si vous aviez laissé Coralie à ce monsieur Camusot, si vous aviez caché vos relations avec elle, vous auriez épousé madame de Bargeton, vous seriez préfet d’Angoulême et marquis de Rubempré. Changez de conduite : mettez en dehors votre beauté, vos grâces, votre esprit, votre poésie. Si vous vous permettez de petites infamies, que ce soit entre quatre murs : dès lors vous ne serez plus coupable de faire tache sur les décorations de ce grand théâtre appelé le monde. Napoléon appelle cela : laver son linge sale en famille. Du second précepte découle ce corollaire : tout est dans la forme. Saisissez bien ce que j’appelle la Forme. Il y a des gens sans instruction qui, pressés par le besoin, prennent une somme quelconque, par violence, à autrui : on les nomme criminels et ils sont forcés de compter avec la justice. Un pauvre homme de génie trouve un secret dont l’exploitation équivaut à un trésor, vous lui prêtez trois mille francs (à l’instar de ces Cointet qui se sont trouvé vos trois mille francs entre les mains et qui vont dépouiller votre beau-frère), vous le tourmentez de manière à vous faire céder tout ou partie du secret, vous ne comptez qu’avec votre conscience, et votre conscience ne vous mène pas en Cour d’Assises. Les ennemis de l’ordre social profitent de ce contraste pour japper après la justice et se courroucer au nom du peuple de ce qu’on envoie aux galères un voleur de nuit et de poules dans une enceinte habitée, tandis qu’on met en prison, à peine pour quelques mois, un homme qui ruine des familles : mais ces hypocrites savent bien qu’en condamnant le voleur les juges maintiennent la barrière entre les pauvres et les riches, qui, renversée, amènerait la fin de l’ordre social ; tandis que le banqueroutier, l’adroit capteur de successions, le banquier qui tue une affaire à son profit, ne produisent que des déplacements de fortune. Ainsi, la société, mon fils, est forcée de distinguer, pour son compte, ce que je vous fais distinguer pour le vôtre.
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Tous les journaux seront dans un temps donné, lâches, hypocrites, infâmes, menteurs, assassins ; ils tueront les idées, les systèmes, les hommes, et fleuriront par cela même. Ils auront le bénéfice de tous les êtres de raison : le mal sera fait sans que personne en soit coupable. Je serai moi Vignon, vous serez toi Lousteau, toi Blondet, toi Finot, des Aristide, des Platon, des Caton, des hommes de Plutarque ; nous serons tous innocents, nous pourrons nous laver les mains de toute infamie. Napoléon a donné la raison de ce phénomène moral ou immoral, comme il vous plaira, dans un mot sublime que lui ont dicté ses études sur la Convention : Les crimes collectifs n’engagent personne . Le journal peut se permettre la conduite la plus atroce, personne ne s’en croit sali personnellement.
- Mais le pouvoir fera des lois répressives, dit Du Bruel, il en prépare.
- Bah ! que peut la loi contre l’esprit français, dit Nathan, le plus subtil de tous les dissolvants.
- Les idées ne peuvent être neutralisées que par des idées, reprit Vignon. La terreur, le despotisme peuvent seuls étouffer le génie français dont la langue se prête admirablement à l’allusion, à la double entente. Plus la loi sera répressive, plus l’esprit éclatera, comme la vapeur dans une machine à soupape. Ainsi, le roi fait du bien, si le journal est contre lui, ce sera le ministre qui aura tout fait, et réciproquement. Si le journal invente une infâme calomnie, ou la lui a dite. À l’individu qui se plaint, il sera quitte pour demander pardon de la liberté grande. S’il est traîné devant les tribunaux, il se plaint qu’on ne soit pas venu lui demander une rectification ; mais demandez-la-lui ? il la refuse en riant, il traite son crime de bagatelle. Enfin il bafoue sa victime quand elle triomphe. S’il est puni, s’il a trop d’amende à payer, il vous signalera le plaignant comme un ennemi des libertés, du pays et des lumières. Il dira que monsieur Un Tel est un voleur en expliquant comment il est le plus honnête homme du royaume. Ainsi, ses crimes, bagatelles ! ses agresseurs, des monstres ! et il peut en un temps donné faire croire ce qu’il veut à des gens qui le lisent tous les jours. Puis rien de ce qui lui déplaît ne sera patriotique, et jamais il n’aura tort. Il se servira de la religion contre la religion, de la charte contre le roi ; il bafouera la magistrature quand la magistrature le froissera ; il la louera quand elle aura servi les passions populaires. Pour gagner des abonnés, il invitera les fables les plus émouvantes, il fera la parade comme Bobèche. Le journal servirait son père tout cru à la croque au sel de ses plaisanteries, plutôt que de ne pas intéresser ou amuser son public. Ce sera l’acteur mettant les cendres de son fils dans l’urne pour pleurer véritablement, la maîtresse sacrifiant tout à son ami.
- C’est enfin le peuple in-folio, s’écria Blondet en interrompant Vignon.
- Le peuple hypocrite et sans générosité, reprit Vignon, il bannira de son sein le talent comme Athènes a banni Aristide. Nous verrons les journaux, dirigés d’abord par des hommes d’honneur, tomber plus tard sous le gouvernement des plus médiocres qui auront la patience et la lâcheté de gomme élastique qui manquent aux beaux génies, ou à des épiciers qui auront de l’argent pour acheter des plumes. Nous voyons déjà ces choses-là ! Mais dans dix ans le premier gamin sorti du collège se croira un grand homme, il montera sur la colonne d’un journal pour souffleter ses devanciers, il les tirera par les pieds pour avoir leur place.
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À Paris, un avoué remarquable, et il y en a beaucoup, comporte un peu des qualités qui distinguent le diplomate : le nombre des affaires, la grandeur des intérêts, l’étendue des questions qui lui sont confiées, le dispensent de voir dans la Procédure un moyen de fortune. Arme offensive ou défensive, la Procédure n’est plus pour lui, comme autrefois, un objet de lucre. En province, au contraire, les avoués cultivent ce qu’on appelle dans les Études de Paris la " broutille ", cette foule de petits actes qui surchargent les mémoires de frais et consomment du papier timbré. Ces bagatelles occupent l’avoué de province, il voit des frais à faire là où l’avoué de Paris ne se préoccupe que des honoraires. L’honoraire est ce que le client doit, en sus des frais, à son avoué pour la conduite plus ou moins habile de son affaire. Le Fisc est pour moitié dans les frais, tandis que les honoraires sont tout entiers pour l’avoué. Disons-le hardiment ! Les honoraires payés sont rarement en harmonie avec les honoraires demandés et dus pour les services que rend un bon avoué. Les avoués, les médecins et les avocats de Paris sont, comme les courtisanes avec leurs amants d’occasion, excessivement en garde contre la reconnaissance de leurs clients. Le client, avant et après l’affaire, pourrait faire deux admirables tableaux de genre, dignes de Meissonnier, et qui seraient sans doute enchéris par des Avoués-Honoraires. Il existe entre l’avoué de Paris et l’avoué de province une autre différence. L’avoué de Paris plaide rarement, il parle quelquefois au Tribunal dans les Référés ; mais, en 1822, dans la plupart des départements (depuis, l’avocat a pullulé), les avoués étaient avocats et plaidaient eux-mêmes leurs causes. De cette double vie, il résulte un double travail qui donne à l’avoué de province les vices intellectuels de l’avocat, sans lui ôter les pesantes obligations de l’avoué. L’avoué de province devient bavard, et perd cette lucidité de jugement, si nécessaire à la conduite des affaires. En se dédoublant ainsi, un homme supérieur trouve souvent en lui-même deux hommes médiocres. À Paris, l’avoué ne se dépensant point en paroles au Tribunal, ne plaidant pas souvent le Pour et le Contre, peut conserver de la rectitude dans les idées. S’il dispose la balistique du Droit, s’il fouille dans l’arsenal des moyens que présentent les contradictions de la Jurisprudence, il garde sa conviction sur l’affaire, à laquelle il s’efforce de préparer un triomphe. En un mot, la pensée grise beaucoup moins que la parole. À force de parler, un homme finit par croire à ce qu’il dit ; tandis qu’on peut agir contre sa pensée sans la vicier, et faire gagner un mauvais procès sans soutenir qu’il est bon, comme le fait l’avocat plaidant. Aussi le vieil avoué de Paris peut-il faire, beaucoup mieux qu’un vieil avocat, un bon juge. Un avoué de province a donc bien des raisons d’être un homme médiocre : il épouse de petites passions, il mène de petites affaires, il vit en faisant des frais, il abuse du Code de Procédure, et il plaide ! En un mot, il a beaucoup d’infirmités. Aussi, quand il se rencontre parmi les avoués de province un homme remarquable, est-il vraiment supérieur !
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Ne voyez dans les hommes, et surtout dans les femmes, que des instruments ; mais ne le leur laissez pas voir. Adorez comme Dieu même celui qui, placé plus haut que vous, peut vous être utile, et ne le quittez pas qu’il n’ait payé très cher votre servilité. Dans le commerce du monde, soyez enfin âpre comme le Juif et bas comme lui ; faites pour la puissance tout ce qu’il fait pour l’argent. Mais aussi, n’ayez pas plus de souci de l’homme tombé que s’il n’avait jamais existé. Savez-vous pourquoi vous devez vous conduire ainsi ?… Vous voulez dominer le monde, n’est-ce pas ? il faut commencer par obéir au monde et le bien étudier. Les savants étudient les livres, les politiques étudient les hommes, leurs intérêts, les causes génératrices de leurs actions.
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- Si la Presse n’existait point, faudrait-il ne pas l’inventer ; mais la voilà, nous en vivons.
- Vous en mourrez, dit le diplomate. Ne voyez-vous pas que la supériorité des masses, en supposant que vous les éclairiez, rendra la grandeur de l’individu plus difficile ; qu’en semant le raisonnement au cœur des basses classes, vous récolterez la révolte, et que vous en serez les premières victimes. Que casse-t-on à Paris quand il y a une émeute ?
- Les réverbères, dit Nathan ; mais nous sommes trop modestes pour avoir des craintes, nous ne serons que fêlés.
- Vous êtes un peuple trop spirituel pour permettre à un gouvernement de se développer, dit le ministre. Sans cela vous recommenceriez avec vos plumes la conquête de l’Europe que votre épée n’a pas su garder.
- Les journaux sont un mal, dit Claude Vignon. On pouvait utiliser ce mal, mais le gouvernement veut le combattre. Une lutte s’ensuivra. Qui succombera ? voilà la question.
- Le gouvernement, dit Blondet, je me tue à le crier. En France, l’esprit est plus fort que tout, et les journaux ont de plus que l’esprit de tous les hommes spirituels, l’hypocrisie de Tartufe.
- Blondet ! Blondet, dit Finot, tu vas trop loin : il y a des abonnés ici.
- Tu es propriétaire d’un de ces entrepôts de venin, tu dois avoir peur ; mais moi je me moque de toutes vos boutiques, quoique j’en vive !
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Vidéo de Honoré de Balzac
Balzac, colosse des lettres, buvait café sur café, travaillait des journées entières et dormait trop peu. Il finit par s'épuiser de tant d'énergie dépensée et meurt en 1850, à seulement 51 ans.
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