AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782253010678
540 pages
Le Livre de Poche (01/09/1975)
  Existe en édition audio
3.89/5   840 notes
Résumé :
La Cousine Bette est le récit d’une vengeance implacable, celle d’une vieille fille, Lisbeth Fischer, qui travaille à la destruction systématique d’une famille – sa famille. Le poison de jalousie et de haine qu’elle distille répand autour d’elle son venin mortifère ; la toile arachnéenne qu’elle tisse empiège ceux qui ont ouvert la boîte de Pandore de ses passions contrariées.
Nul ne sortira indemne de ce thriller réaliste, pas même le lecteur de Balzac, plon... >Voir plus
Que lire après La Cousine BetteVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (65) Voir plus Ajouter une critique
3,89

sur 840 notes
Il s'en est fallu d'un cheveu, vraiment d'un cheveu, selon moi, pour qu'Honoré de Balzac produise encore avec La Cousine Bette un magistral chef-d'oeuvre (un de plus !). Au lieu de ça, il a " seulement " composé un très bon roman. Certes, beaucoup d'écrivains actuels s'en satisferaient amplement, eux qui en sont si loin, avec leurs pelles et leurs seaux dans les terres molles et collantes du roman contemporain, mais pour lui, c'est presque un peu décevant qu'il ne signe QUE ce très bon roman.

On sait bien que chez Balzac la figure « sacrificielle » a une très large place : c'était le cas par exemple dans le Père Goriot avec cet homme littéralement dévoré par les appétits insatiables de ses deux filles ; c'était le cas également dans Eugénie Grandet, d'une façon fort différente, avec cette jeune femme prise en étau entre l'avarice maladive de son père et les appétits farouches des prétendants qui lorgnent sur l'héritage.

J'ai utilisé deux fois le mot « appétits », qui évoque l'argent, et on pourrait multiplier de la sorte les exemples chez l'auteur. Eh bien ici aussi, il y a ce genre de figure sacrificielle, toujours très pure, très noble dans le fond, un rien dévote sur les bords, un genre de madone qui serait en même temps l'agnus dei, qu'on donne en pâture aux vilains, aux mesquins, aux exécrables, aux minables, aux ingrats, aux envieux, aux jaloux... La nuance, la différence, si différence il y a, c'est sur la nature même des appétits dévorants, qui ne sont plus, en premier lieu, l'argent (même si indirectement, un peu quand même).

L'agneau de dieu sacrifié, ce sera bien entendu la baronne Adeline Hulot. Au rang des envieux, des jaloux, des combinards, on trouvera bien entendu sa cousine, dite la cousine Bette (diminutif de Lisbeth), même si je ne peux m'empêcher de penser que Balzac a bien cherché à nous faire entendre dans ce nom les autres sonorités homophoniques du mot, à savoir le légume, long, insipide, inintéressant au goût (bon, je sais, il y en a qui aiment, mais moi non : j'ai l'impression de perdre mon temps quand j'en mange et ce sont toujours la sauce ou les aromates qui me les font avaler, preuve selon moi de son manque d'intérêt gustatif en lui-même), mais aussi et surtout le mot " bête ", qui signifie à la fois la bêtise et la férocité.

Bette est laide quand sa cousine est belle ; elle est vieille fille et pauvre quand sa cousine est bien mariée à un baron richement pourvu, et, ce qui la bouffe littéralement, elle a le sentiment (pas totalement injustifié au demeurant) d'être un meuble dans la famille, une domestique, quelqu'un à qui l'on fait l'aumône et que l'on tolère auprès de soi tel un mal nécessaire, telle une infirme, qui serait infirme de son manque de beauté et de son esprit étriqué.

Alors elle se consume la Bette, elle rumine, elle fulmine intérieurement, elle mûrit en elle-même ce qu'elle pourrait combiner de chausse-trappe et de fange à étaler sur sa trop belle, trop bonne, trop parfaite cousine. On ne peut pourtant pas dire qu'Adeline soit trop chanceuse avec son mari, le baron Hector Hulot d'Ervy, brave gars dans le fond, mais coureur de jupons invétéré et surtout... incurable !

Tout cela irait encore à peu près pour notre toxique et ténébreuse Lisbeth, mais un jour, Hortense, la fille de la baronne, qui bénéficie d'une aussi jolie figure que sa mère, commet le faux pas de lorgner sur le petit protégé de Bette, le Polonais Wenceslas. Alors là, mes aïeux, ça, c'est une grosse, grosse, grosse maladresse, car ce Wenceslas, voyez-vous, c'était un genre de chasse gardée, c'était son jardin secret à la Bette, pas un véritable amant, certes non, mais une sorte de platonicité accessible, une affection faute d'autre chose, une relation qui la faisait se sentir bonne et honnête et utile et (sur un malentendu) désirable pour quelqu'un...

Et Bette, voyez-vous, c'est un peu comme un volcan actif : en temps normal, ça gronde, ça grognonne en sous-sol, ça fumotte, ça toussotte en surface pendant un bon moment, des mois, des années, des siècles, parfois, et puis un mauvais jour, quand la pression est trop montée des entrailles, trop contenue, trop puissante, eh bien ça BAM ! et ça POUM ! et ça BRRAAAOOUUUM ! et ça crache le feu et la mitraille de tout côté sur des kilomètres, et ça vomit de la lave et des gaz atroces à n'en plus finir, et ça balaie tout, et ça éclabousse tout, et ça fait trembler la terre de partout et dans toutes les directions.

Quel sera l'instrument de sa vengeance, ou plutôt QUI sera l'instrument de sa vengeance ? Ah, ah ! Ça, mes bons amis, mystère, et ne comptez pas sur moi pour vous le dévoiler ; lisez-le si vous voulez le savoir...

À présent, quel semble être le thème de ce roman ? La lutte, la constante, l'incessante, la sempiternelle lutte du bien contre le mal, ou, en l'espèce, plutôt celle du vice contre la vertu. C'est un combat toujours à l'oeuvre et de tout temps et de partout, où que l'on jette le regard, on le retrouve, des tréfonds de l'Asie ou de l'Océanie à l'Alaska ou à la Terre de feu, c'est toujours la même rengaine.

Il y a, au surplus, une autre nuance : le vice véritable et avéré d'un côté, et l'apparence du vice de l'autre. C'est particulièrement illustré dans ce roman par le personnage de Josepha (qui rappelle beaucoup Esther, " la torpille " de Splendeurs et misères des courtisanes), un thème et un personnage que reprendra plus tard Guy de Maupassant dans sa Boule de Suif. de même, il y a la vertu et l'apparence de la vertu, et Bette sait se faire experte dans le domaine de l'apparence de la vertu...

On sait que Balzac a écrit ce roman (qui est un gros roman) très vite. Il est rondement mené, ça s'enchaîne très bien : Balzac est évidemment l'immense écrivain qu'on connaît. En revanche, ce qui n'est pas trop son cas d'ordinaire, je l'ai trouvé un peu trop moralisateur sur la fin. Jusque-là j'étais enthousiaste, éblouie comme souvent avec lui, et puis, il y a cette fin, façon Liaisons dangereuses, où la méchante Marquise de Merteuil se choppe la vérole et que c'est bien fait pour elle, n'est-ce pas ?

Or là, c'est du Balzac, c'est un observateur expert de la réalité normalement, du monde et des gens, dans ce qu'ils ont de complexes et d'indéchiffrables, il ne peut normalement pas nous infliger une fin « morale » voire « moralisante », car le monde n'est ni moral ni immoral en soi, il est amoral ; il n'est ni optimiste ni pessimiste, il est, un point c'est tout, il est, dans toute sa diversité, dans l'éventail quasi infini des variations et des nuances s'étalant d'un extrême à l'autre, du gerbant au formidable. Je me dis que sur cette fin, il est peut-être allé trop vite, il aurait peut-être pu prendre le temps de la mûrir un peu plus comme il sait si bien le faire.

Alors quand j'ai lu cette fin, j'ai été déçue, forcément, d'où ces 4 étoiles et non 5, tandis que j'étais persuadée tout du long que j'irais à 5, avec cette magnifique galerie de personnages encore une fois, allant du Crevel à la Marneffe, du maréchal sourd au sculpteur raté, de la putain à l'épouse modèle en passant par l'amante et la courtisane, mais il y eut ces quelques dernières pages... Bien entendu, cette déception n'est que ma Bette vision, ma Bette attente et ma Bette sensibilité, c'est-à-dire, pas grand-chose, car le mieux sera toujours de vous en faire votre propre opinion par vous-mêmes.
Commenter  J’apprécie          1607
« Depuis le sommet de l'aristocratie jusqu'aux bas-fonds de la plèbe, tous les acteurs de sa Comédie sont plus âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus angéliques dans le dévouement, que la comédie du vrai monde ne nous les montre. Toutes les âmes sont des armes chargées de volonté jusqu'à la gueule. C'est bien Balzac lui-même. »

Charles Baudelaire

Dotées d'une vitalité hors du commun, ces âmes comme des armes chargées de volonté jusqu'à la gueule poursuivent avec hargne, avec candeur, avec abnégation, avec détermination leur objectif. Objectif, le mot est faible, il ne rend pas justice à la sorte de folie qui anime et habite les hommes et les femmes chez Balzac. Attachés de façon absolue à l'une des grandes illusions de l'existence — l'amour, l'art, l'argent, la politique, la beauté, la jeunesse, la religion… — voués à une unique passion qui le plus souvent vire à l'obsession, ils se hissent à des sommets d'où les excès, une monomanie les poussant à aller trop loin, à en demander toujours plus, à tout sacrifier à leur cause, les précipitent dans le vide avec pertes et fracas. Leur passion, feu dévorant qui les stimule, les aiguillonne et les amène à se surpasser, est aussi ce qui les consume et les détruit. C'est ça, Balzac. Et c'est grandiose et pathétique, c'est hideux, c'est repoussant et c'est d'une beauté stupéfiante. Ça vous souffle dans les bronches, ça vous requinque un moribond, ça vous réveillerait un mort tant c'est plein de vie. Comme le dit Stephan Zweig avec un sens admirable de la litote, « Les hommes tièdes n'intéressent pas Balzac ». Ah ça non!

Je n'avais jamais relu Balzac depuis mes années de lycée. le hasard du calendrier, un engagement pris avec mon amie Hélène (@4bis) que je tiens à remercier pour sa compréhension et sa patience, ont voulu que je me plonge dans la lecture de la cousine Bette au moment où j'étais clouée au lit par une vilaine grippe. C'est peu dire que cet auteur incroyable, traversant allègrement les deux siècles qui nous séparent, est parvenu à m'insuffler son énergie vitale. Il m'a littéralement portée pendant cette semaine éreintante. J'en aurais pleuré de reconnaissance. Certes, il y a des choses qui ont vieilli chez Balzac, un style parfois un poil grandiloquent, des situations un peu trop rocambolesques pour paraître réalistes, des retournements de situations un peu trop théâtraux pour paraître crédibles… mais quelle énergie! Et quel sens de la psychologie! À force d'étudier ses personnages sous toutes les coutures, d'en décortiquer tous les rouages, il les rend plus réels à nos yeux que ceux qu'on côtoie tous les jours, pâles ectoplasmes traversant furtivement notre existence.

Mais de quoi parle La cousine Bette, roman tardif, paru en feuilleton en 1846? Eh bien, je dirais des passions humaines déclinées sous toutes leurs formes, et c'est à peu près tout. le contexte socio-historique est à peine ébauché, on y trouve très peu de digressions d'ordre artistique, sociologique, philosophique, on reste collés aux personnages et à l'intrigue pendant 540 pages, ce qui, personnellement, m'allait très bien.
Lisbeth, la cousine qui donne son titre au roman, vieille fille laide et désargentée, est tout entière habitée par une passion dévorante, une de ces passions tristes susceptibles d'engendrer malheur et désolation : le ressentiment. Mue par une jalousie féroce à l'endroit de sa belle cousine Adélaïde Hulot, une jalousie recuite qui plonge ses racines loin dans l'enfance, la Bette voue sa vie à l'accomplissement de son unique obsession : la vengeance. Mais si la vengeance est un thème récurrent en littérature depuis l'Antiquité jusqu'au dix-neuvième siècle, j'ai trouvé particulièrement originale la façon dont le traite Balzac. Bette se venge non pas de personnes qui lui ont fait du tort, au contraire, puisque la famille Hulot l'a extraite de sa campagne pour l'accueillir en son sein. Non, elle se venge à des décennies de distance des humiliations reçues dans l'enfance, quand on réservait à sa cousine Adélaïde, en raison de sa beauté, les tâches délicates quand elle, Bette, devait s'adonner aux rudes travaux des champs. de même, j'ai trouvé très intéressant que Lisbeth ne soit pas réduite au rôle de fruit sec desséché racorni par l'amertume, incapable de sentiments auquel l'intrigue semblait devoir la cantonner. C'est une femme de passion capable de tomber éperdument amoureuse d'un jeune réfugié polonais sans le sou qu'elle va littéralement faire renaître à la vie, puis bichonner et soutenir, enfin entretenir financièrement jusqu'à ce que l'ingrat, lassé de ses soins constants et tyranniques, ne lui échappe et épouse Hortense Hulot, la fille de la cousine honnie. le coup est terrible pour Bette qui, dès lors, poursuit le cours de sa vengeance avec une vigueur renouvelée, mais cela ne l'empêche pas de retomber en amour, d'une femme cette fois, l'irrésistible Valérie Marneffe.
« Lisbeth, étrangement émue de cette vie de courtisane, conseillait Valérie en tout, et poursuivait le cours de ses vengeances avec une impitoyable logique. Elle adorait d'ailleurs Valérie, elle en avait fait sa fille, son amie, son amour ; elle trouvait en elle l'obéissance des créoles, la mollesse de la voluptueuse ; elle babillait avec elle tous les matins avec bien plus de plaisir qu'avec Wenceslas, elles pouvaient rire de leurs communes malices, de la sottise des hommes, et recompter ensemble les intérêts grossissants de leurs trésors respectifs. »

Quant à Valérie Marneffe, véritable coeur du roman, vortex dans lequel tous les personnages du livre semblent destinés à sombrer, elle incarne à elle seule l'objet de la passion. Devenu le bras armé et consentant de Bette dans l'accomplissement de sa vengeance, elle s'y adonne avec une rouerie, une bonne humeur, un naturel déconcertants. Mais là encore, si Valérie ne représentait qu'une Idée, la figure de la courtisane dénuée de tout scrupule qui ruine les hommes et leurs familles, ce serait certes édifiant, mais pas très intéressant. Ce qui est passionnant, c'est la façon dont Balzac s'attache à son personnage, nous décrivant sa coquetterie, son esprit, son élégance, sa beauté avec une telle minutie, avec une telle attention, une telle affection qu'il nous la ferait presque aimer en retour.
Comme Choderlos de Laclos avec sa marquise de Merteuil, Balzac campe un personnage particulièrement malfaisant mais grandement excusable. Ainsi que le résume le critique Hippolyte Taine, « Balzac aime sa Valérie ; c'est pourquoi il l'explique et la grandit. Il ne travaille pas à la rendre odieuse, mais intelligible. »
Et c'est pourquoi il me semble que ce livre, au-delà de l'indéniable plaisir qu'il procure, a encore beaucoup à nous dire.

Commenter  J’apprécie          90110
Dans la famille Fisher, je demande la cousine.
La Cousine Bette s'appelle Lisbeth Fisher précisément, mais tout le monde s'attache à l'appeler Bette, jusqu'à ce facétieux Balzac qui, ici, n'hésite pas à donner de temps en temps et affectueusement, à travers les mots de certains personnages, du « ma bonne Bette ». Or, bête elle ne l'est pas, méchante allez savoir... Laide et pauvre, sûrement. Sa laideur et sa pauvreté auront sans doute cristallisé son destin dans le chemin complexe empli d'épines et de méandres, que nous dépeint ici de manière somptueuse Honoré de Balzac.
Dans la Cousine Bette, le personnage éponyme n'est pourtant pas le personnage principal.
Le personnage principal revient à sa cousine, la belle Adeline Hulot.
Il serait fastidieux de tenter de vous résumer tous les chassés-croisés multiples et biscornus qui sillonnent et tissent le ressort narratif. Ce n'est d'ailleurs pas mon intention, d'une part je risquerais de vous perdre et d'autre part un billet littéraire, tel que je l'imagine, n'est pas précisément dédié à cela.
En quelques mots, la Cousine Bette est le récit d'une vengeance implacable, celle d'une vieille fille, Lisbeth Fischer, qui va oeuvrer à la destruction systématique d'une famille - sa propre famille.
Pour situer le roman sous l'angle historique, il s'agit pour Balzac d'illustrer la déchéance d'une famille sous la Monarchie de Juillet. Dans cette oeuvre s'exerce sa férocité redoutable qui se fait un plaisir de dépeindre la réalité telle qu'elle est, dans toute sa médiocrité et sa noirceur. L'influence du contexte historique n'est sans doute pas anodin dans l'effet recherché et obtenu.
Alors, bien sûr toujours chez Balzac il y a cette atmosphère particulière liée à l'argent. Chez Balzac, l'argent a une odeur, celle du soufre. S'entremêlent ici comme ailleurs dans ses autres romans des opérations financières soit frauduleuses ou soit au détriment d'un des personnages. Ici on ne déroge pas à la règle.
La Cousine Bette est appelée presque à la rescousse à Paris par Adeline Hulot, sa chère et belle cousine, qui supporte tant bien que mal les infidélités de son vieux mari, le Baron Hulot, vieux beau, libertin éperdu. le Baron Hulot entretient des femmes l'une après l'autre et dilapide sa fortune et celle de ses enfants, incapable de surmonter son penchant. Sur ce terrain, il est le rival du beau-père de son fils, un certain Célestin Crevel, qui, quoiqu'il aborde ses relations comme des affaires et se préserve ainsi de la ruine, est tout aussi aveuglé par son désir. Ils ont même eu une amante commune, c'est dire...
La Cousine Bette voit tout de suite comment tirer profit de cette situation pour elle. Jalouse de cette famille qui n'a que condescendance et mépris pour elle depuis des lustres, elle voit dans ces relations adultères une occasion inespérée d'enfoncer encore un peu plus cette famille adorée dans sa perdition. Elle va alors imaginer tisser dans l'ombre des relations dévastatrices et immorales entre les protagonistes et surtout elle va les mettre en oeuvre.
Il s'agit ici aussi pour la Cousine Bette de se venger de la beauté de sa cousine Adeline dont elle souffre depuis l'enfance, puis de sa réussite sociale qu'elle ne supporte pas, et enfin du mariage de sa nièce Hortense avec l'artiste qu'elle avait pris sous sa protection et auquel elle portait un amour pour le moins ambigu. Elle décide d'oeuvrer sans relâche à l'anéantissement de ses proches, impitoyable.
Avec une sorte de délectation presque jubilatoire, nous voyons cette famille Hulot tanguer comme un paquebot digne du Titanic qui aurait éperonné un iceberg nommé la Cousine Bette. Cependant, il est utile de préciser que la charge de la responsabilité du naufrage vaut autant pour l'iceberg, c'est-à-dire la manière de la cousine Bette d'être à la manoeuvre, que pour l'état du paquebot qui était déjà bien gangrené de l'intérieur, c'est-à-dire une famille Hulot marquée par la présence d'un certain Baron capable d'entraîner à lui seul l'ensemble de la famille vers le naufrage.
Aussi, la Cousine Bette est bien aidée dans son entreprise par la victime toute désignée.
Étrangement, Bette ne se pose pas en ennemie de ses cousins, bien au contraire. Alors qu'elle travaille chaque jour à leur perte, elle se fait passer pour leur unique soutien et leur dernière amie dans la suite des débâcles qu'ils traversent. Hypocrite au plus haut point, la vieille fille est prête à vivre chaque jour près de ceux qu'elle haït pour mieux assister à leur chute, pour être certaine d'avoir une place aux premières loges pour admirer le spectacle de leur souffrance et de leur désespoir.
Après vous avoir posé ce décor harmonieux, je vous laisse deviner l'ambiance qui s'en est suivie : manoeuvres, manigances en tous genres, petits arrangements, chantages, bref ! La belle vie, quoi !
Ici les hommes sont fourbes, couards, avides, aveuglés. Quoi ! Vous imaginiez peut-être l'inverse ?
Finalement, la Cousine Bette a juste le beau rôle très facile de pousser certains pions déjà positionnés sur la scène, - la scène non pas de crime mais presque -, juste un peu plus les uns vers les autres. C'est juste un petit rôle modeste et ingrat de facilitatrice.
C'est donc un personnage très complexe construit avec beaucoup de subtilité que nous offre ici ce charmant et facétieux Balzac.
Mais la Cousine Bette n'est pas le personnage le plus pervers du roman, je vous laisse le soin de découvrir qui la détrône à ce titre et bien plus largement.
Que dire des thèmes qui s'invitent ? Bien sûr c'est la vengeance, une vengeance implacable qui porte l'ensemble du roman comme l'arc d'une nef. À la source de cette vengeance, il y a la jalousie et à la source de la jalousie, il y a beaucoup de blessures et d'incompréhension. Balzac dit tout cela aussi, de manière subtile, sans forcer le trait, nous invitant à porter ce regard de compréhension, évitant d'enfermer la Cousine Bette dans une forme de manichéisme. Elle vient avec son histoire, sa fragilité, sa douleur, sa méchanceté peut-être, son désespoir sûrement.
S'agissant de la morale, je trouve que Balzac est cruel avec son lecteur et s'en joue à chaque instant avec beaucoup de cynisme. Je ne parle pas de la fin, d'ailleurs je n'en parlerai pas, tiens !
J'ai aimé ici retrouvé Balzac dans son art des portraits, son habileté à mettre en scène les épisodes clefs de son récit, par son talent pour la chute romanesque, il dépeint les hommes de son temps comme un peintre, c'est beau et sans concession.
Mise à part Adeline Hulot, Balzac n'épargne aucun de ses personnages et dépeint leur médiocrité avec plaisir et dureté. Mais derrière cette satire, se lit aussi une pointe de compassion pour ces êtres fragiles soumis à des forces qui les privent de toute bonté. C'est cruel.
Mais le personnage le plus ambigu dans cette histoire, celui qui tire toutes les ficelles, triomphant par son art de la manipulation du lecteur, illusionné par le narrateur, ne serait-ce pas finalement un certain Balzac lui-même ?

« L'amour de soi, pris comme principe de toutes nos maximes, est la source de tout mal.» Emmanuel Kant.
Commenter  J’apprécie          5852
Il ne faudrait pas revenir sur le théâtre de nos amours anciennes. Et encore, Honoré n'a pas été mon préféré. Quelle admiration j'avais pour Gustave, quel plaisir j'ai pris à dévorer Emile ! Oui mais voilà, tout passe. Ou plutôt tout change et il faut croire que mes lectures récentes ont tué Balzac et avec lui, l'affection que je lui portais. Lahire, Froidevaux Metterie, Bourdieu, Chollet et consorts, assasins !

La Cousine Bette est du côté sombre de la Comédie humaine. En existe-t-il un vraiment ensoleillé me demanderez-vous ? le lys dans la vallée, les folles ambitions d'un Rastignac dans le Père Goriot laissaient au moins croire qui à un amour heureux, qui à une ambition énergique porteuse d'avenir fructueux. Et les romans plein de fantastique comme La Peau de chagrin offrent le recours à un surnaturel jugement. Mais La Cousine Bette appartient aux « Scènes de la vie parisienne », cette section de 19 romans dont elle partage une sous-partie avec le Cousin Pons au titre des « parents pauvres ». Elle est donc les deux pieds dans le réel, parfait rouage contribuant au vaste projet de son auteur de « faire concurrence à l'état civil ».

La Comédie humaine : 91 romans achevés, 48 ébauchés, entre 4000 et 6000 personnages selon les décomptes. Rien moins que l'établissement de tous les caractères humains classés selon leur appartenance sociale, leur tempérament et leurs lieux d'habitation. Une entreprise sociologique à la hauteur de ce qui fit Buffon et son Histoire naturelle pour la zoologie. Balzac écrit à Mme Hanska en 1844, trois ans avant la rédaction de Bette donc : « Quatre hommes auront eu une vie immense : Napoléon, Cuvier, O'Connell, et je veux être le quatrième. le premier a vécu de la vie de l'Europe ; il s'est inoculé des armées ; le second a épousé le globe ; le troisième s'est incarné un peuple ; moi, j'aurai porté une société toute entière dans ma tête. » On retrouve la modestie proverbiale du bonhomme.

Allez, vas-y, mon Nono, prenons un exemple, explique-moi la vie : « En ceci peut-être consiste toute la différente qui sépare l'homme naturel de l'homme civilisé. Le Sauvage n'a que des sentiments, l'homme civilisé a des sentiments et des idées. Aussi, chez les Sauvages, le cerveau reçoit-il pour ainsi dire peu d'empreinte, il appartient alors tout entier au sentiment qui l'envahit, tandis que chez l'homme civilisé, les idées descendent sur le coeur qu'elles transforment ; celui-ci est à mille intérêts, à plusieurs sentiments, tandis que Le Sauvage n'admet qu'une idée à la fois. ». Hum. Et cette pensée subtile s'applique à… ? La cousine Bette bien sûr, qui, depuis ses origines d'arriérée, ne peut pas avoir la lumière à tous les étages, ça se comprend… Mais ça vaudrait pour le baron Brésilien dont je ne vous ai pas encore parlé. Bah ouais, il est quand même un peu noiraud…. Bon… En fait, Nono, je préfère quand t'expliques pas(1). Ça promet une vraie partie de plaisir, ce roman... Mais mettons les choses dans l'ordre et faisons les présentations.

Nous voici donc avec Bette, cette solide vosgienne qui a le malheur de ne pas être belle, emportée à Paris à la suite de sa jolie cousine Adeline laquelle a fait un mariage d'amour avec le riche, brillant et volage baron Hulot. Bette est donc laide, pauvre et obstinée. Jetez à ce petit bois de prédispositions l'allumette d'un amour contrarié et vous en ferez un boulet de canon. La puissance qui ne peut s'épanouir en vertu se démultiplie dans la rancoeur et la vengeance, postule et professe Balzac. Et pour que cette démonstration emporte avec elle d'autres illustrations de sa théorie sociale, pour qu'elle s'intègre dans la grande fresque de son « étude de moeurs », nous aurons 1) Adeline, une prude et admirable épouse immolée à sa famille et à sa réputation (l'impeccable Elvire de Dom juan version matrone ou la splendide Mme de Tourvel sans qu'elle ait jamais rencontré Valmont si vous préférez), 2) Hortense, sa fille, une tendre et passionnée jeune fille payant le péché d'avoir rusé pour assouvir son amour naïf (comprenez que la femme reste Eve, déchue et pécheresse donc, même - surtout ? - quand elle aime), 3) l'abominable Valérie, épouse au petit pied de l'insignifiant et corrompu Marneffe, belle à se damner - et elle le sait, la garce ! -, dont l'intrigue et la vénalité confinent au génie. Une que Balzac aimerait qu'on compare à Merteuil, et si je n'y suis pas parvenue, ce n'est pas faute qu'il me l'ait suggéré à moulte reprises, fin abominable comprise.

On comptera aussi a) un Comte polonais, Wenceslas Steinbock, artiste sculpteur aussi beau, jeune, idéal que velléitaire (Tragicomix dans La fiancée d'Astérix si vous voulez une image), b) un arriviste ancien boutiquier, le sieur Crevel, bourgeois gentilhomme façon 19e siècle, sans lustre et sans candeur, se réclamant du libertinage à la Louis XV quand son avarice de petit bourgeois le range plutôt dans la catégorie des tristes Harpagon. le sommet d'une époque désespérante, quand les épiciers cupides ont fini de remplacer les héros émancipateurs. Quand les sombres manoeuvres ont pris la place des grands desseins. Ajoutez-y c) le baron Hulot, déjà mentionné, tristement réduit - nous sommes chez La Bruyère cette fois - à un toupet qu'il met pour masquer ses cheveux rares, des favoris teints, un ventre que ne retient qu'un corset et des ambitions démonétisées de vieux beau aussi pathétiques que ridicules. Pour faire bonne mesure, mettez un peu d'exotisme facile et de racisme bien trempé avec d) le Maure qui sera ici Brésilien, baron de Montéjanos, richissime et premier amant de Valérie Marneffe ayant le double tort d'avoir abandonné la donzelle trois ans auparavant et de revenir quelques mois trop tôt avant que la belle ait liquidé, laissez-moi compter, son mari, ses deux, non trois amants ! Quatre avec lui ! Versez pour finir quelques utilités du monde des arts, des administrations comme autant d'arcanes capables de jouer le destin des personnages sur les deux seuls aspects ayant véritablement de l'importance à Paris : la renommée et l'argent. Et déroulez ! Ce sera cruel, ce sera sanglant, ce sera sans merci.

Alors quoi ? Pourquoi n'ai-je pas aimé ?

Parce qu'il en fait des tonnes, le père Balzac ! Non content de nous brosser des caractères selon les besoins de sa démonstration, de nous proposer une intrigue à désespérer le plus enthousiaste des optimistes, il faut encore qu'il pontifie, prophétique et péremptoire, qu'il assassine tout le sexe féminin à coup de phrases définitives : A propos d'Adeline, la Sainte de service, lorsqu'elle comprend que son barbon d'époux l'a trahie « La passion fait arriver les forces nerveuses de la femme à cet état extatique où le pressentiment équivaut à la vision des Voyants. Une femme se sait trahie, elle ne s'écoute pas, elle doute, tant elle aime ! et elle dément le cri de sa puissance de pythonisse. » Passez donc considération pour la capacité individuelle à jouer sa partition, liberté de penser et foi dans l'intelligence ! La femme est tragiquement, constitutivement fichue. Par son sexe, ses talents mêmes ne sont utiles qu'à la desservir. Là où l'homme désire, elle aime ou se vend. Là où il butine, elle se prostitue ou s'immole. Ou comment enterrer la moitié de l'humanité sous un tombereau d'hommages amèrement fleuris.

Vous me direz qu'il n'est pas tendre avec les hommes non plus. Certes mais lisez ce qu'il écrit par exemple à propos du baron Hulot lorsque ce dernier découvre que sa maîtresse, la démoniaque Valérie, le trompe avec l'affreux Crevel (entre autres), et jugez ensuite : « Les catastrophes poussent tous les hommes forts et intelligents à la philosophie. le baron était, moralement, comme un homme qui cherche son chemin la nuit dans une forêt ». Voilà. Quoique sublime, la meilleure des femmes est damnée par son sexe, à l'image de toutes ses soeurs. le plus lâche et lubrique des hommes reste lui en deçà d'une perfection, certes, mais cela n'entache en rien le reste de ses comparses, toujours appelés, eux, à prétendre à des idéaux philosophiques.

Juge et parti, voilà ce que je reproche à Balzac. C'est de son temps, Hugo, Zola et quelques-uns de leurs continuateurs ont, jusqu'à des époques pas si reculées, continué de nous assommer de leur vision du monde, colorant pour cela de leurs tristes opinions la peinture soi-disant objective qu'ils faisaient de leur siècle. On pourrait considérer donc la Cousine Bette comme un témoignage daté sur le monde, le résultat d'une certaine vision de l'écrivain, du rôle de la littérature et d'un talent à la mise en fiction romanesque. Ce serait, à ce titre précis, un très bon roman même si ses personnages ont plus à voir avec la charge d'une carricature qu'avec l'analyse psychosociologique la plus fine.

Ce que je n'admets plus aujourd'hui toutefois, c'est que, sur la base de son discours moral, on l'encense. Qu'on y applaudisse la peinture des moeurs passées comme si elle était objective et dépourvue de toute intentionnalité idéologique. C'est qu'on oublie qu'en l'étudiant, en le relisant et s'en délectant, on cautionne le monde qu'il dépeint et qui, sans l'existence de tous ces romans, de toutes ces oeuvres de fiction corroborant un mercantilisme triomphant, une division des sexes à la défaveur des femmes, une hiérarchisation des humains avec les Occidentaux tout en haut, ne serait peut-être pas à ce point prédominant. Plus que simple peinture à visée moralisante ou critique, la Comédie humaine me semble avoir été, comme d'autres oeuvres de son siècle, un précieux adjuvant à une idéologie patriarcale et capitaliste en train de se constituer. Vous me direz, l'oeuf, la poule, qui de la Comédie humaine ou de l'idéologie capitaliste a fait qui ? Je vous l'accorde. Mais que cette oeuvre soit conséquence ou cause partielle, on n'est peut-être pas obligé de continuer à lui faire tout ce crédit.

Est-ce que cela signifie qu'il faut déboulonner Balzac ? Naturellement non ! C'est un monument qui appartient à notre histoire. Pondérer sa lecture d'une analyse critique éclairée et la panacher d'autres oeuvres moins colorées de cette orgueilleuse et délétère ambition, oui !

J'ai entrepris cette lecture sur l'impulsion d'Anna. Hélas, les circonstances ne nous ont pas permis cette fois de la suivre exactement au même rythme. Ses rendez-vous successifs avec des kleenex et des pylônes, mes propres aventures avec des bus scolaires enneigés et des frigos mystérieusement vidés se seront ajoutés à une différence initiale d'approche (elle a tout de suite adoré, en a fait une lecture plaisir, moi pesté, m'imposant de décortiquer les raisons de mon agacement, ce qui vous vaut cette micro critique, oui, je sais, je sais, moi aussi j'aimerais faire autrement parfois). Ca ne peut pas marcher à chaque fois et même s'il n'a pas été aussi plaisant qu'escompté, ce voyage commun avec la Cousine Bette m'aura bien dépaysée.

**************************************

(1) Pour ceux qui plaideraient le « autre temps, autres moeurs » et le tour déformant avec lequel notre regard contemporain peut indument exiger des hommes anciens une lucidité que la marche de l'Histoire ne leur autorisait pas, je rappellerais simplement la manière si humble et juste dont Montaigne, Jean de Léry, au 16e siècle donc, Montesquieu ou Diderot, au 18e siècle, envisageaient l'autre, qu'il soit noir, féminin ou sauvage.
Commenter  J’apprécie          3836
« Bonjour les Babélionautes ! Aujourd'hui, je viens causer d'un grand beau classique, La cousine Bette, d'Honoré de Balzac.

-Oh noooooon !

-Ah siiiiiiiii !

-C'est pourri, Balzac ! T'as vu l'épaisseur du bouquin, en plus ? Ca sent encore des pages et des pages de description qui ne font pas avancer l'action, c'est nul !

-Hé bien tu as tort : la première page ne s'ouvre pas sur quatre kilotonnes de description, mais sur un dialogue.

Or donc, Adeline Hulot, épouse du baron Hulot, rencontre des soucis d'argent : son époux dilapide leur fortune avec ses amantes. Adeline ne peut donc pas marier sa fille. Qu'à cela ne tienne : Hortense, ladite fille, va se trouver un fiancé en séduisant l'amoureux de la cousine Bette… qui va machiner...

-Qui va machiner ?

-Une Terrible Vengeance !

-Moué. Pourquoi pas.

-Tu parlais plus haut des pages de description : il n'y en a point autant dans ce livre. En revanche, je reconnais que les textes dissertant sur la nature du Polonais, des Sauvages, des Corses, des femmes m'ont quelque peu agacée. Ces passages-là ont mal vieilli, je le crains. Fort heureusement, ils sont peu nombreux si l'on considère l'oeuvre dans son ensemble, oeuvre qui fait la part belle à la peinture de caractères.

-Y a des trucs, quand même, nan mais, y a des trucs… ça va pas, quoi !

-Quels trucs ?

-Mais tu as vu le traitement d'Adeline ? comment la figure de victime est valorisée, donnée pour modèle de perfection, alors que… alors qu'aujourd'hui, on lui dirait de divorcer et de mettre Hector en taule s'il ne lui paye pas sa pension alimentaire ?

-Oui, mais le roman ne se passe pas « aujourd'hui ». Je pense que c'est une erreur de le lire entièrement avec ses lunettes de lecteur/trice du XXIe siècle. Bien sûr que sa situation est inadmissible et injuste, cependant, Balzac écrit sur et dans son siècle, pas sur et dans le nôtre, avec tout ce que cela comporte comme préjugés culturels et jugements religieux.

Le roman, disais-je plus haut, est parfaitement réussi en ce qui concerne les portraits. Les personnages ont les défauts de leurs qualités, leur bonheur provoque paradoxalement leur malheur (je pense ici à Hortense et à son époux). La cousine Bette constitue un personnage ambigu : sa vengeance ne tombe pas complètement du ciel, il y a un contexte fort défavorable pour elle et l'on peut se demander quelle est la responsabilité de ses parents dans le ressentiment qu'elle éprouve pour Adeline. Il n'en reste pas moins qu'elle est habitée par une soif de pouvoir malsaine, démontrée par sa relation avec Wenceslas, l'artiste qu'elle soutient, soigne et torture en même temps.

Voilà ce que j'ai apprécié dans ce roman : il plonge au fond des coeurs pour nous les livrer dans ce qu'ils possèdent de pur et de noir. Evidemment, ces nuances ne sont pas également réparties entre les personnages et j'avoue mépriser le baron Hulot.

Un autre des points forts de ce roman réside dans ses dialogues. Plusieurs scènes sont traitées comme des scènes de théâtre, ce qui dynamise le texte et l'action, les rendant plus prenantes.

Et puis, c'est très sexuel, comme roman.

-Pardon ? Balzac ? Sexuel ?!

-Oui, bon, pas de façon explicite, bien entendu, nous sommes en 1846 quand même. Toutefois, il est plaisant de repérer les sous-entendus, les métaphores dissimulant la vérité crue et nue.

Il reste une dernière chose que je voulais mentionner : l'humour.

-L'humour? Ah, parce que maintenant, Balzac, ce poids lourd de la morale, de l'analyse psychologique, devient un blagueur faisant rire les foules ? Ben j'aurais tout lu, Déidamie.

-Non, tu exagères ! Bien sûr que non, tu ne vas pas trouver des boutades désopilantes à la façon d'un humoriste maître de l'art du stand-up. Cependant, tu vas lire dans ce roman des tournures pince-sans-rire, une ironie discrète, de l'humour authentique, mais appliqué en touches légères et subtiles, parfois si ténues qu'elles ne se remarquent qu'à la deuxième lecture. Je regrette, quand la cousine Bette foudroie du regard sa bobine, cela me fait sourire.

La cousine Bette est un roman incroyablement riche par son style et ses portraits approfondis. Oui, le texte est pessimiste, parfois alourdi par des réflexions désuètes et des allusions bibliques ou antiques (qui connaît encore aujourd'hui Combabos* ?), je le reconnais. D'un autre côté, il offre une exploration extraordinaire de la société du XIXe siècle avec une prose intelligente et complexe.

-C'est beau, quoi.

-Oui, voilà. C'est beau. »

*Combabos (résumé rapide) : son roi le chargea d'escorter la reine Stratonice, désireuse d'élever un temple à Hiérapolis. Terrifié à l'idée de trahir le roi, il se coupa les parties génitales avant de partir. Lorsqu'il fut accusé d'avoir couché avec la reine, il put aisément prouver son innocence.
Commenter  J’apprécie          465

Citations et extraits (88) Voir plus Ajouter une citation
[...] ... Ces malheurs de famille, la disgrâce du baron Hulot, une certitude d'être peu de chose dans cet immense mouvement d'hommes, d'intérêts et d'affaires, qui fait de Paris un enfer et un paradis, domptèrent la Bette. Cette fille perdit alors toute idée de lutte et de comparaison avec sa cousine [Adeline Hulot], après en avoir senti les diverses supériorités ; mais l'envie resta cachée dans le fond du coeur, comme un germe de peste qui peut éclore et ravager une ville, si l'on ouvre le fatal ballot de laine où il est comprimé. De temps en temps, elle se disait bien : "- Adeline et moi, nous sommes du même sang, nos pères étaient frères, elle est dans un hôtel et je suis dans une mansarde." Mais, tous les ans, à sa fête et au jour de l'An, Lisbeth recevait des cadeaux de la baronne et du baron ; le baron, excellent pour elle, lui payait son bois pour l'hiver ; le vieux général Hulot [frère du baron] la recevait un jour à dîner, son couvert était toujours mis chez sa cousine. On se moquait bien d'elle mais on n'en rougissait jamais. On lui avait enfin procuré son indépendance à Paris, où elle vivait à sa guise.

Cette fille avait en effet peur de toute espèce de joug. Sa cousine lui offrait-elle de la loger chez elle ? ... Bette apercevait le licou de la domesticité ; maintes fois, le baron avait résolu le difficile problème de la marier ; mais, séduite au premier abord, elle refusait bientôt en tremblant de se voir reprocher son manque d'éducation, son ignorance et son défaut de fortune ; enfin, si la baronne lui parlait de vivre avec leur oncle et d'en tenir la maison à la place d'une servante-maîtresse qui devait coûter cher, elle répondait qu'elle se marierait encore bien moins de cette façon-là.

La cousine Bette présentait dans les idées cette singularité qu'on remarque chez les natures qui se sont développées fort tard, chez les Sauvages qui pensent beaucoup et parlent peu. Son intelligence paysanne avait d'ailleurs acquis, dans les causeries de l'atelier [la cousine Bette est une ancienne ouvrière en passementerie d'or et d'argent de la Maison Pons], par la fréquentation des ouvriers et des ouvrières, une dose du mordant parisien. Cette fille, dont le caractère ressemblait prodigieusement à celui des Corses, travaillée inutilement par les instincts des natures fortes, eût aimé à protéger un homme faible ; mais à force de vivre dans la capitale, la capitale l'avait changée à la surface. Le poli parisien faisait rouille sur cette âme vigoureusement trempée. Douée d'une finesse devenue profonde, comme chez tous les gens voués à un célibat réel, avec le tour piquant qu'elle imprimait à ses idées, elle eût paru redoutable dans toute autre situation. Méchante, elle eût brouillé la famille la plus unie. ... [...]
Commenter  J’apprécie          40
- Vous voilà comme je vous veux mon enfant, dit-elle en le regardant avec ivresse.
La vanité chez nous tous est si forte, que Lisbeth crut à son triomphe. Elle éprouva la plus vive émotion de sa vie, elle sentit pour la première fois la joie inonder son coeur.
- Je suis engagé, répondit-il, et j'aime une femme contre laquelle aucune autre ne peut prévaloir. Mais vous êtes et vous serez toujours la mère que j'ai perdue.
Ce mot versa comme une averse de neige sur ce cratère flamboyant. Lisbeth s'assit, contempla d'un air sombre cette jeunesse, cette beauté distinguée, ce front d'artiste, cette belle chevelure, tout ce qui sollicitait en elle les instincts comprimés de la femme, et de petites larmes aussitôt séchées mouillèrent pour un moment ses yeux. Elle ressemblait à ces grêles statues que les tailleurs d'images du moyen âge ont assises sur des tombeaux.
Commenter  J’apprécie          140
Au moment où la cousine Bette, la plus habile ouvrière de la maison Pons, où elle dirigeait la fabrication, aurait pu s’établir, la déroute de l’Empire éclata. L’olivier de la paix que tenaient à la main des Bourbons effraya Lisbeth, elle eut peur d’une baisse dans ce commerce, qui n’allait plus avoir que quatre-vingt-six au lieu de cent trente-trois départements à exploiter, sans compter l’énorme réduction de l’armée. Epouvantée enfin par les diverses chances de l’industrie, elle refusa les offres du baron, qui la crut folle. Elle justifia cette opinion en se brouillant avec M. Rivet, acquéreur de la maison Pons, à qui le baron voulait l’associer, et elle redevint simple ouvrière.

La famille Fischer était alors retombée dans la situation précaire d’où le baron Hulot l’avait tirée.

Ruinés par la catastrophe de Fontainebleau, les trois frères Fischer servirent en désespérés dans les corps francs de 1815. L’aîné, père de Lisbeth, fut tué. Le père d’Adeline, condamné à mort par un conseil de guerre, s’enfuit en Allemagne, et mourut à Trèves, en 1820. Le cadet, Johann, vint à Paris implorer la reine de la famille, qui, disait-on, mangeait dans l’or et l’argent, qui ne paraissait jamais aux réunions qu’avec des diamants sur la tête et au cou, gros comme des noisettes et donnés par l’empereur Johann Fischer, alors âgé de quarante-trois ans reçut du baron Hulot une somme de dix mille francs pour commencer une petite entreprise de fourrages à Versailles, obtenue au ministère de la Guerre par l’influence secrète des amis que l’ancien intendant général y conservait.
Commenter  J’apprécie          70
[...] ... En examinant les fenêtres de sa nouvelle belle, [Hulot a déjà aperçu Mme Marneffe mais sans lui parler] le baron aperçut le mari qui, tout en brossant sa redingote lui-même, faisait évidemment le guet et semblait attendre quelqu'un sur la place. Craignant d'être aperçu puis reconnu plus tard, l'amoureux baron tourna le dos à la rue du Doyenné, mais en se mettant de trois-quarts afin de pouvoir y donner un coup d'oeil de temps en temps. Ce mouvement le fit rencontrer presque face à face avec madame Marneffe qui, venant des quais, doublait le promontoire des maisons pour retourner chez elle. Valérie éprouva comme une commotion en recevant le regard étonné du baron, et elle y répondit par une oeillade de prude.

- "Jolie femme !"s'écria le baron, "et pour qui l'on ferait bien des folies !

- Eh ! monsieur !" répondit-elle en se retournant comme une femme qui prend un parti violent. "Vous êtes bien monsieur le baron Hulot, n'est-ce pas ?"

Le baron, de plus en plus stupéfait, fit un geste d'affirmation.

- "Eh ! bien, puisque le hasard a marié deux fois nos yeux, et que j'ai le bonheur de vous avoir intrigué ou intéressé, je vous dirai qu'au lieu de faire des folies, vous devriez bien faire justice ... Le sort de mon mari dépend de vous.

- Comment l'entendez-vous ?" demanda galamment le baron.

- "C'est un employé de votre direction, à la Guerre, division de monsieur Lebrun, bureau de monsieur Coquet," répondit-elle en souriant.

" - Je me sens disposé, madame ... madame ?

- Madame Marneffe.

- Ma petite madame Marneffe, à faire des injustices pour vos beaux yeux ... J'ai dans votre maison une cousine, et j'irai la voir un de ces jours, le plus tôt possible, venez m'y présenter votre requête.

- Excusez mon audace, monsieur le baron ; mais vous comprendrez comment j'ai pu oser parler ainsi, je suis sans protection.

- Ah ! ah !

- Oh ! monsieur, vous vous méprenez," fit-elle en baissant les yeux.

Le baron crut que le soleil venait de disparaître.

' - Je suis au désespoir mais je suis une honnête femme," reprit-elle. "J'ai perdu, il y a six mois, mon seul protecteur, le maréchal Montcornet.

- Ah ! vous êtes sa fille.

- Oui, monsieur, mais il ne m'a jamais reconnue.

- Afin de pouvoir vous laisser une partie de sa fortune.

- Il ne m'a rien laissé, monsieur, car on n'a pas trouvé de testament.

- Oh ! pauvre petite, le maréchal a été surpris par l'apoplexie ... Allons, espérez, madame, on doit quelque chose à la fille de l'un des chevaliers Bayard de l'Empire."

Madame Marneffe salua gracieusement et fut aussi fière de son succès que le baron l'était du sien.

- "D'où diable vient-elle si matin ?" se demanda-t-il en analysant le mouvement onduleux de la robe auquel elle imprimait une grâce peut-être exagérée. "Elle a la figure trop fatiguée pour revenir du bain, et son mari l'attend. C'est inexplicable et cela donne beaucoup à penser. ... [...]
Commenter  J’apprécie          30
On croit les mouches du dix-huitième siècle perdues ou supprimées ; on se trompe. Aujourd'hui les femmes, plus habiles que celles du temps passé, mendient le coup de lorgnette par d'audacieux stratagèmes. Telle découvre, la première, cette cocarde de rubans, au centre de laquelle on met un diamant, et elle accapare les regards pendant toute une soirée ; telle autre ressuscite la résille ou se plante un poignard dans les cheveux pour faire penser à la jarretière ; celle-ci se met des poignets en velours noir ; celle-là reparaît avec des barbes.
Commenter  J’apprécie          130

Videos de Honoré de Balzac (153) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Honoré de Balzac
Balzac, colosse des lettres, buvait café sur café, travaillait des journées entières et dormait trop peu. Il finit par s'épuiser de tant d'énergie dépensée et meurt en 1850, à seulement 51 ans.
Pour en découvrir davantage : https://LLS.fr/CL10Video
autres livres classés : classiqueVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (4272) Voir plus



Quiz Voir plus

Connaissez-vous La Peau de Chagrin de Balzac ?

Comment se comme le personnage principal du roman ?

Valentin de Lavallière
Raphaël de Valentin
Raphaël de Vautrin
Ferdinand de Lesseps

10 questions
1285 lecteurs ont répondu
Thème : La Peau de chagrin de Honoré de BalzacCréer un quiz sur ce livre

{* *}