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Critique de Nastasia-B


Sont regroupés ici deux portraits-nouvelles auxquels Honoré de Balzac nous a si souvent habitués. Tout d'abord La Maison Nucingen où l'auteur invite son lecteur à être une oreille indiscrète, qui écoute aux portes des confidences de quatre larrons — journalistes ou apparentés journalistes — bien connus de la comédie humaine : Bixiou, Blondet, Couture et Finot.

Lesquels amis commentent la réussite financière aussi subite qu'étonnante d'Eugène de Rastignac (héros du père Goriot) sous l'impulsion du Baron de Nucingen. Balzac y dresse un bref portrait du financier en général, dont Nucingen est selon lui l'archétype et qui s'appuie sur le personnage réel de James de Rothschild.

Ce faisant, Balzac décrit aussi la mécanique d'auto dévaluation ou réévaluation de ses propres valeurs. le tout visant à faire exploser ou imploser temporairement la masse d'un portefeuille d'actions en vue soit de sa cession au-dessus de sa valeur réelle ou réciproquement de son rachat bien en-dessous.

Évidemment, beaucoup sont les dupes de ces transactions, et d'autant plus que l'on est un proche de Nucingen — que l'auteur compare à un loup-cervier. Si Nucingen est effectivement l'artisan de la fortune de Rastignac, il ne lui procure pas cet avantage par sympathie ou amitié, mais juste parce qu'il a besoin d'un porte-parole crédible pour ébruiter des " fuites " volontaires, le tout, bien sûr, dans le dessein d'affoler les places financières à son profit.

Cette mécanique boursière, évoquée un peu rapidement, presque en dilettante, est reprise, complétée et développée dans l'excellent roman de Zola, L'Argent. On peut en effet reprocher à Balzac, une fois n'est pas coutume, le côté succinct de la façon dont il traite un sujet aussi vaste, et aussi important de sa Comédie humaine, car, peu ou prou, l'argent est cause de tous les maux de son oeuvre, ou du moins d'un très grand nombre.

Pierre Grassou est un portrait, quant à lui, qui, même s'il s'appuie vraisemblablement sur une personne concrète, est bien plus la peinture d'un type que de quelqu'un en particulier. Il est d'ailleurs grandement question de peinture ici.

Qu'a cherché à nous dire Balzac au travers de Pierre Grassou ? Encore une fois, une parcelle du fonctionnement social ou sociétal dans lequel nous nous inscrivons encore de nos jours et qui concerne certes la peinture, mais encore bien davantage : littérature, musique et, je pense, à peu près tout le monde des arts au sens large.

Qu'en est-il ? Pierre Grassou est un provincial d'origine modeste et qui est venu tenter sa chance à Paris. Il s'échine et ne ménage pas sa peine auprès de très grands maîtres qui, tous, lui signifient poliment mais fermement qu'il n'a aucun talent et qu'il ferait mieux de quitter ce milieu. Ils le trouvent tous bon camarade mais en qualité d'artiste, zéro.

Alors Pierre Grassou gratte, gratte, gratte, s'efforce, s'efforce, s'efforce. Il rampe centimètre par centimètre pour tâcher d'atteindre les sommets. Mais il reste, au mieux, un copiste honnête, qui refait en très ordinaire de compositions qui ont révolutionné l'art en leur temps.

Toutefois, parmi les gens du gratin mondain qui n'y connaissent pas grand-chose en art, il arrive que certaines oeuvres de Grassou puissent, sur un malentendu, satisfaire l'oeil de l'une ou l'autre grosse légume, au rang desquels on comptera le roi Charles X.

La cour des lèche-savates fait donc grand éloge du tableau de Grassou et, dans la minute, on lui en commande à la pelle, de la même veine. Grassou exploite honnêtement le filon et devient vite un artiste dans le vent, une sommité de pacotille, multi-décoré, qui siège aux académies compétentes...

Je vous laisse évidemment découvrir le sel narratif de cette nouvelle et le rôle d'entremetteur que jouera le roublard marchand d'art juif Élias Magus. Ce qu'il est intéressant de noter, c'est que rien, absolument rien n'a changé à l'heure actuelle. Toutes les assemblées dites " d'experts " ou " d'artistes " sont pour la plupart un ramassis d'auteurs ou d'interprètes de deuxième voire troisième zone qui, par les vicissitudes de la vie, se sont fait un nom à un moment donné et qui capitalisent dessus jusqu'au restant de leurs jours.

Il suffit de regarder les jolies têtes de veaux d'Éric-Emmanuel Schmitt, Didier Decoin et consort pour se faire une opinion de l'académie Goncourt, et je n'ose même pas vous parler de la réception récente du grand, de l'illustre, du génialissime Marc Lambron à l'abracadémie française. Comme Lambron y est, Grassou y est. (Excusez une nouvelle fois ma fâcheuse tendance matinale au calembour de bas aloi ; on ne se refait pas.)

Là, là vraiment, on se dit qu'il avait tout de même un sacré oeil d'observateur notre petit Honoré chéri. On pourrait évidemment élargir ceci aux victoires de la musique et autres singeries du même genre dans d'autres domaines spécifiques des arts. En somme, le fossé qui existe entre le génie des artistes et leur reconnaissance publique et/ou académique.

Vaste sujet qui nous emmènerait loin et sur lequel je ne souhaite pas m'élancer plus avant. Deux nouvelles donc, très clairvoyantes, de loin pas celles que je préfère De Balzac qui a su faire beaucoup, beaucoup mieux, mais du Balzac — même de second choix — reste plus intéressant que ceux écris par la ribambelle de tiers couteaux sus-mentionnée. Au demeurant, souvenez-vous que ce que j'exprime ici est sujet à fluctuations sur les marchés de la critique car ce n'est que mon avis, qui, à tout moment peut se dévaluer et ne plus valoir grand-chose.
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