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Patrick Berthier (Éditeur scientifique)
EAN : 9782253146223
95 pages
Le Livre de Poche (01/04/1999)
  Existe en édition audio
3.67/5   552 notes
Résumé :
Ce récit écrit en 1829 sera placé, plus tard, par Balzac en ouverture de la "Comédie Humaine". On y retrouve la trame de ce que seront les romans la composant et l'on y croise déjà les héros d'autres épisodes. Tout y préfigure la grande œuvre de Balzac. C'est en ces quelques pages une miniature parfaite de tout ce qui suivra. La Maison du chat qui pelote, titre définitif que l'auteur donna à cette ouvrage, avait à l'origine été intitulé "Gloire et Malheur". Il s'y j... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (81) Voir plus Ajouter une critique
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C'est la première fois que je lis une nouvelle De Balzac dont j'aime beaucoup les romans et c'est une vraie pépite. A travers elle, l'auteur nous décrit l'univers d'un commerçant drapier, sa vie de tous les jours entre sa femme (mariage de raison bien-sûr) ses filles qu'il convient de marier, ses apprentis qui sont prennent les repas en commun, mais doivent quitter la table avant le dessert.

Quel nom étrange pour une enseigne : « La maison du chat-qui-pelote » ! En fait, les chalands portent un nom qui peut nous surprendre, la Truie-qui-file, le Singe-vert, en référence à des animaux exposés autrefois, ou à l'architecture : « Au milieu de cette large poutre mignardement sculptée se trouvait un antique tableau représentant un chat qui pelotait ».

Ce que l'auteur résume ainsi :

« Afin de rabattre l'orgueil de ceux qui croient que le monde devient de jour en jour plus spirituel, et que le moderne charlatanisme surpasse tout, il convient de faire observer ici que ces enseignes, dont l'étymologie semble bizarre à plus d'un négociant parisien, sont les tableaux morts de vivants tableaux à l'aide desquels nos espiègles ancêtres avaient réussi à amener les chalands dans leurs maisons. »



On a une belle description de ce milieu social où l'argent est dur à gagner, donc se dépense avec modération, où les mariages ont pour but de renforcer le commerce, où la fille aînée doit se marier en premier tant pis si elle est moins belle. Donc tout devrait ronronner, dans ce destin écrit à l'avance. Quelle est la place de l'amour dans le mariage ?

Un artiste peintre vient modifier le cours des choses, et offrir à la cadette un mariage de contes de fées. Balzac décrit très bien les deux univers que tout oppose, rythmé par le travail, la tenue du commerce pour le faire fructifier et de l'autre l'univers des artistes, nobles de surcroît, insouciants, ne parlant que d'art, fréquentant les salons, dépensant sans compter et vivant sur une autre planète.

En plus de l'analyse sociologique, l'auteur nous offre une belle réflexion sur le mariage, qu'il soit d'amour ou de raison, le bonheur n'étant pas toujours du côté où l'on croit. « le bonheur conjugal a été de tout temps une spéculation, une affaire qui demande une attention particulière. », ainsi que de très beaux passages consacrés à l'art.

On retrouve tout le talent de l'auteur, son amour des détails : la description de la maison fourmille de détails, on la visualise sans problèmes, de même les façons de s'habiller, de se comporter…

Dans les nouvelles, le style est plus sobre, il n'a pas besoin de diluer (à l'époque les auteurs étaient payés à la ligne), et celle-ci est une gourmandise à déguster, à savourer et qu'on a du mal à lâcher.

J'aime Balzac, ce n'est un secret pour personne, je l'ai découvert très tôt avec un coup de foudre pour « Eugénie Grandet », on pourra peut-être me taxer de partialité, mais cette nouvelle est un chef-d'oeuvre pour moi.

Note : 10/10
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Si j'ai toujours un peu de mal avec les romans De Balzac, j'avoue préférer de loin ses nouvelles. Il faut dire aussi que j'apprécie tout particulièrement ce genre qui oblige les auteurs à ne pas s'appesantir lourdement sur des descriptions. Car je ne supporte pas que l'on écrive 160 000 pages pour nous décrire une feuille tombant d'un arbre (j'me comprends, comme dirait l'autre...). Alors bien sûr, Balzac ne peut pas s'en empêcher, même ici. Il laisse courir sa plume mais de façon plus retenue. Et dans cette courte narration, cela peut avoir du charme.

Drôle de titre n'est-ce-pas ? Un titre qui va nous plonger dans les méandres d'un univers clos, ce que Balzac sait si bien faire. Une vision de la bourgeoisie par le petit trou de la lorgnette... Il s'agit ici d'une famille de commerçants, des drapiers pour être plus précise. M. Guillaume a deux filles (non, je ne joue pas au jeu des M. et Mme ont un fils !!!), Virginie et Augustine. Il s'avère que la première a épousé le premier commis de la boutique. Non pas par amour mais par devoir. Sa cadette, quant à elle, a écouté son coeur en épousant un peintre. Mais bien évidemment, rien ne se passe comme prévu. le destin des deux jeunes femmes est passé à la loupe. Je n'en raconte pas plus par peur de déflorer les soixante-deux pages. le mieux est de le lire !

Quid du fameux chat alors, pour revenir au titre ? Il s'agit de la devanture de la boutique du sieur Guillaume. Et c'est d'ailleurs avec cette dernière que Balzac commencera son récit en insistant d'abord sur le côté vétuste avant de la faire s'animer et de faire rentrer le lecteur dans ce microcosme intimiste.

Comme il est plaisant de relire ainsi des classiques ! Allez, je vous laisse entre de bonnes mains...
Lien : http://www.lydiabonnaventure..
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La Maison du Chat qui Pelote... Comment résister à un titre aussi imaginatif que mystérieux? Que peut bien receler cette maison du Chat qui Pelote. Une seule solution: pousser la porte de l'ami Balzac et le laisser nous conter une petite histoire à sa manière.

Sous cette enseigne si accrocheuse vivent Monsieur Guillaume, maître drapier, son épouse et ses deux filles Augustine et Virginie. Quoique disposant d'un confortable revenu, le besogneux et économe maître Guillaume tient les cordons de l'escarcelle très serrés par peur du gaspillage.
Tout irait le mieux du monde sans l'arrivée dans ce petit monde clos et restreint de la bourgeoisie commerçante du vieux Paris sans la venue du jeune peintre aristocrate Théodore de Sommervieux. Celui-ci, en arrêt devant la belle Augustine à sa croisée, en tombe fou amoureux, ou tout du moins de l'image qu'il se fait d'elle.
Après tribulations et au grand désarroi de ses parents, Augustine, éprise du beau jeune homme aux si belles paroles cassant le carcan étouffant du domicile familial, l'épouse.
Mais la suite du mariage se révèle bien différent pour les deux époux, chacun découvrant l'autre. Sommervieux se détourne bien vite de sa petite femme empreinte du tenace esprit petit-bourgeois parental. Augustine, incapable de se mesurer à l'esprit de l'entourage de son époux et cruellement touchée par sa liaison avec la duchesse de Carigliano, se laisse sombrer dans un chagrin sans fond.

Dans ce court roman, Balzac dépeint les us et coutumes de deux catégories sociales que tout oppose. Plus qu'une distinction de naissance ou de fortune, on contemple ici une différence de culture, de concept de vie. Une phrase résume parfaitement cette opposition: Maître Guillaume estime que les pièces de monnaie sont plates pour pouvoir s'amasser, tandis que son gendre prodigue les estiment rondes pour pouvoir rouler.

Appartenant aux "Scènes de la Vie Privée", cette fable est un régal. J'aime l'ambiance dépeinte dans les romans du XIXème siècle. La verve De Balzac, même si son ton se fait parfois plus tragique, fourmille d'humour.
Mal aimé de l'enseignement secondaire, je n'ai réellement découvert cet immense auteur qu'après la fin du lycée. Mieux vaut tard que jamais.
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Je lis Balzac dans un total désordre, sans fil rouge ni chronologie. Est-ce un tort?
Pas sûre, mais en découvrant ce petit joyau qui ouvre la Comédie humaine, je me suis fait la réflexion que c'était dommage de n'avoir pas commencé par passer le porche de cette Maison du chat-qui-pelote pour se chauffer les papilles, tant on s'y régale (rien que le titre est un petit bonheur savoureux).

Il y a tout ce que, opus après opus, j'ai appris à aimer chez Balzac : d'abord cette langue somptueuse, qui coule comme de l'eau bien que d'une densité et d'une exigence rare; une manière unique de poser un décor (ces fameuses descriptions qui me rebutaient jadis), où le descriptif d'une devanture ou d'un vêtement en dit autant qu'un essai fouillé ou long portrait; des personnages et des situations sociales si universelles que c'est à chaque fois un jeu malicieux que de les transposer dans toutes les époques.
Quant à l'histoire, j'ai adhéré d'emblée, j'adore quand Balzac égratigne la mesquinerie bourgeoise autant que quand il s'émeut de la souillure que la société verse sur les âmes pures.

Ce court roman ou longue nouvelle, au format accessible car bref et à l'intrigue impeccable (et implacable) serait-il la meilleure porte d'entrée sur l'oeuvre De Balzac?

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J'ai beaucoup apprécié cette nouvelle, qui du reste peut presque s'apparenter à un court roman. Balzac y prend le temps de présenter ses personnages, de les poser dans leur élément, cette boutique du drapier Guillaume, au nom énigmatique et fantaisiste. J'avoue m'être demandé si le chat tricotait, ou même s'il avait les mains baladeuses ? Non, le chat joue au jeu de raquette, comme la pelote basque. Il est vrai que la boutique est un personnage à part entière, en ce que la demeure incarne à merveille le mode de vie de la famille Guillaume.

Le drapier Guillaume mène avec fermeté sa maison, composée d'une épouse et de deux filles, Virginie, âgée de 28 ans, et Augustine, âgée de 18 ans, ainsi que de ses trois apprentis, qui sont comme adoptés par leur maître, en des soins tout paternels mais d'une rigueur monacale. Joseph Lebas, premier commis et orphelin, est plus ou moins destiné à épouser Virginie, mais il est amoureux d'Augustine. Virginie est bien éprise de Joseph, mais sans retour, et Augustine... personne ne le sait encore, elle aime en cachette un jeune peintre, qui a fait son portrait de mémoire, et va devenir célèbre avec ces premières toiles exposées au Salon.

Leur destin va se sceller le jour où Guillaume annonce enfin à Joseph qu'il va devenir son gendre, et lui propose de s'associer ; seulement, c'est Augustine qu'il voudrait épouser. Pour se sortir de ce mauvais pas, celle-ci avoue qu'elle aime un jeune homme, Théodore de Sommervieux, à qui elle s'est plus ou moins promise. Il est peintre, certes - métier qui ne peut rencontrer les attentes des deux parents, boutiquiers raisonnables et économes, mais il connaît le succès, et il est de la meilleure société. L'ambiance est tendue, mais Augustine aura gain de cause, et pourra s'installer dans son ménage avec Théodore, et vivre leur amour.

Ils sont jeunes, beaux, ils s'aiment et sont enviés de tous ; Augustine rayonne, la gloire du peintre rejaillit sur elle. Jusqu'à ce que les nuages s'amoncellent, et que la jeune fille prenne conscience qu'aimer ne suffit pas, qu'il faut aussi faire bonne figure dans le monde, montrer de l'esprit, de l'éducation, que sa nature simple et sa jeunesse renfermée ne lui ont pas permis d'acquérir. Les amis de Théodore n'aiment pas la jeune femme, elle leur paraît trop prude, insensible. Théodore se détourne, et Augustine cherchera par tous les moyens à comprendre, à le reconquérir...

Cette nouvelle met du temps à s'installer, mais ce prélude n'est en rien ennuyeux, car il présente une étude de cas étonnante, avec cette famille et son train de vie. de même, il amène la relation à venir entre Théodore qui épie la maison de l'extérieur et Augustine, qui cache bien son jeu. Lorsque les deux jeunes gens se marient, le rythme s'accélère vivement, enlevé jusqu'au dénouement brusque. J'ai été intéressée par les efforts d'Augustine pour s'instruire, et sa lente prise de conscience qu'aimer et se donner toute entière à l'amour ne suffit pas. Je ne peux en revanche pas dire que j'aie eu une empathie surdéveloppée pour Théodore et ses tracas d'artiste, quoique, selon l'auteur, il ait souffert aussi. J'ai été curieuse de l'entrevue entre Augustine et la duchesse de Carigliano, rivale éminemment impressionnante de la jeune femme, qui se révèle pourtant relativement bienveillante, et propose à sa manière de l'aider. C'est un face-à-face intense et dramatique, un décor de séduction maîtrisée, une belle prouesse d'auteur.

Pour tout dire, je me suis vraiment trouvée bien d'avoir lu Physiologie du mariage, car cette nouvelle est en grande partie une illustration des théories De Balzac quant au mariage, notamment en ce qui concerne la durée limitée de la lune de miel dans le couple, et ce qui fait - ou non - les mariages réussis. C'est une nouvelle qui peut tout à fait faire apprécier Balzac, si ce n'est qu'il faut un peu patienter avant que l'action ne s'engage.
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Citations et extraits (112) Voir plus Ajouter une citation
Une formidable pièce de bois, horizontalement appuyée sur quatre piliers qui paraissaient courbés par le poids de cette maison décrépite, avait été rechampie d’autant de couches de diverses peintures que la joue d’une vieille duchesse en a reçu de rouge. Au milieu de cette large poutre mignardement sculptée se trouvait un antique tableau représentant un chat qui pelotait. Cette toile causait la gaieté du jeune homme. Mais il faut dire que le plus spirituel des peintres modernes n’inventerait pas de charge si comique. L’animal tenait dans une de ses pattes de devant une raquette aussi grande que lui, et se dressait sur ses pattes de derrière pour mirer une énorme balle que lui renvoyait un gentilhomme en habit brodé. Dessin, couleurs, accessoires, tout était traité de manière à faire croire que l’artiste avait voulu se moquer du marchand et des passants. En altérant cette peinture naïve, le temps l’avait rendue encore plus grotesque par quelques incertitudes qui devaient inquiéter de consciencieux flâneurs. Ainsi la queue mouchetée du chat était découpée de telle sorte qu’on pouvait la prendre pour un spectateur, tant la queue des chats de nos ancêtres était grosse, haute et fournie. À droite du tableau, sur un champ d’azur qui déguisait imparfaitement la pourriture du bois, les passants lisaient GUILLAUME ; et à gauche, SUCCESSEUR DU SIEUR CHEVREL. Le soleil et la pluie avaient rongé la plus grande partie de l’or moulu parcimonieusement appliqué sur les lettres de cette inscription, dans laquelle les U remplaçaient les V, et réciproquement, selon les lois de notre ancienne orthographe. Afin de rabattre l’orgueil de ceux qui croient que le monde devient de jour en jour plus spirituel, et que le moderne charlatanisme surpasse tout, il convient de faire observer ici que ces enseignes, dont l’étymologie semble bizarre à plus d’un négociant parisien, sont les tableaux morts de vivants tableaux à l’aide desquels nos espiègles ancêtres avaient réussi à amener les chalands dans leurs maisons. Ainsi la Truie-qui-file, le Singe-vert, etc., furent des animaux en cage dont l’adresse émerveillait les passants, et dont l’éducation prouvait la patience de l’industriel au quinzième siècle. De semblables curiosités enrichissaient plus vite leurs heureux possesseurs que les Providence, les Bonne-foi, les Grâce-de-Dieu et les Décollation de saint Jean-Baptiste qui se voient encore rue Saint-Denis. Cependant l’inconnu ne restait certes pas là pour admirer ce chat, qu’un moment d’attention suffisait à graver dans la mémoire.
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[...] ... La fougue de passion qui possédait Théodore fit dévorer au jeune ménage près d'une année entière sans que le moindre nuage vînt altérer l'azur du ciel sous lequel il vivait. Pour ces deux amants, l'existence n'eut rien de pesant. Théodore répandait sur chaque journée d'incroyables fioritures de plaisir, il se plaisait à varier les emportements de la passion par la molle langueur de ces repos où les âmes sont lancées si haut dans l'extase qu'elles semblent y oublier l'union corporelle. Incapable de réfléchir, l'heureuse Augustine se prêtait à l'allure onduleuse de son bonheur : elle ne croyait pas faire encore assez en se livrant toute à l'amour permis et saint du mariage ; simple et naïve, elle ne connaissait d'ailleurs ni la coquetterie des refus, ni l'empire qu'une jeune demoiselle du grand monde se crée sur un mari par d'adroits caprices ; elle aimait trop pour calculer l'avenir, et n'imaginait pas qu'une vie si délicieuse pût jamais cesser. Heureuse d'être alors tous les plaisirs de son mari, elle crut que cet inextinguible amour serait toujours pour elle la plus belle de toutes les parures, comme son dévouement et son obéissance seraient un éternel attrait. Enfin, la félicité de l'amour l'avait rendue si brillante que sa beauté lui inspira de l'orgueil et lui donna la conscience de pouvoir toujours régner sur un homme aussi facile à enflammer que Monsieur de Sommervieux. Ainsi son état de femme ne lui apporta d'autres enseignements que ceux de l'amour. Au sein de ce bonheur, elle resta l'ignorante petite fille qui vivait obscurément rue Saint-Denis*, et ne pensa point à prendre les manières, l'instruction, le ton du monde dans lequel elle devait vivre. Ses paroles étaient des paroles d'amour, elle y déployait bien une sorte de souplesse d'esprit et une certaine délicatesse d'expression ; mais elle se servait du langage commun à toutes les femmes quand elles se trouvent plongées dans la passion qui semble être leur élément. Si, par hasard, une idée discordante avec celles de Théodore était exprimée par Augustine, le jeune artiste en riait comme on rit des premières fautes que fait un étranger, mais qui finissent par fatiguer s'il ne se corrige pas. Malgré tant d'amour, à l'expiration de cette année aussi charmante que rapide, Sommervieux sentit un matin la nécessité de reprendre ses travaux et ses habitudes. Sa femme était d'ailleurs enceinte. Il revit ses amis. Pendant les longues souffrances de l'année où, pour la première fois, une jeune femme nourrit un enfant, il travailla sans doute avec ardeur ; mais parfois, il retourna chercher quelques distractions dans le grand monde. La maison où il allait le plus volontiers fut celle de la duchesse de Carigliano qui avait fini par attirer chez elle le célèbre artiste. Quand Augustine fut rétablie, quand son fils ne réclama plus ces soins assidus qui interdisent à une mère les plaisirs du monde, Théodore en était arrivé à vouloir éprouver cette jouissance d'amour-propre que nous donne la société, quand nous y apparaissons avec une belle femme, objet d'envie et d'admiration. Parcourir les salons en s'y montrant avec l'éclat emprunté de la gloire de son mari, se voir jalousée par les femmes, fut pour Augustine une nouvelle moisson de plaisirs ; mais ce fut le dernier reflet que devait jeter son bonheur conjugal. Elle commença par offenser la vanité de son mari quand, malgré de vains efforts, elle laissa percer son ignorance, l'impropriété de son langage et l'étroitesse de ses idées. Dompté pendant près de deux ans et demi par les premiers emportements de l'amour, le caractère de Sommervieux reprit, avec la tranquillité d'une possession moins jeune, sa pente et ses habitudes un moment détournées de leur cours. ... [...]

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Et déployant alors cette force de volonté, cette énergie que les femmes possèdent toutes quand elles aiment, Madame de Sommervieux tenta de changer son caractère, ses mœurs et ses habitudes ; mais en dévorant des volumes, en apprenant avec courage, elle ne réussit qu'à devenir moins ignorante. La légèreté de l'esprit et les grâces de la conversation sont un don de la nature ou le fruit d'une éducation commencée au berceau. Elle pouvait apprécier la musique, en jouir, mais non chanter avec goût. Elle comprit la littérature et les beautés de la poésie, mais il était trop tard pour en orner sa rebelle mémoire. Elle entendait avec plaisir les entretiens du monde, mais elle n'y fournissait rien de brillant. Ses idées religieuses et ses préjugés d'enfance s'opposèrent à la complète émancipation de son intelligence.

Ils avaient accepté la vie comme une entreprise commerciale où il s'agissait de faire avant tout, honneur à ses affaires. La femme, n'ayant pas rencontré dans son mari un amour excessif, s'était appliquée à le faire naître. Insensiblement amené à estimer, à chérir Virginie, le temps que le bonheur mit à éclore, fut, pour Joseph Lebas et pour sa femme, un gage de durée.

Ma chère, reprit la grande dame d'une voix grave, le bonheur conjugal a été de tout temps une spéculation, une affaire qui demande une attention particulière. Si vous continuez à parler passion quand je vous parle mariage, nous ne nous entendrons bientôt plus. Écoutez-moi, continua-t-elle en prenant le ton d'une confidence. J'ai été à même de voir quelques-uns des hommes supérieurs de notre époque. Ceux qui se sont mariés ont, à quelques exceptions près, épousé des femmes nulles. Eh bien ! Ces femmes-là les gouvernaient, comme l'empereur nous gouverne, et étaient, sinon aimées, du moins respectées par eux. J'aime assez les secrets, surtout ceux qui nous concernent, pour m'être amusée à chercher le mot de cette énigme. Eh bien, mon ange ! Ces bonnes femmes avaient le talent d'analyser le caractère de leurs maris. Sans s'épouvanter comme vous de leurs supériorités, elles avaient adroitement remarqué les qualités qui leur manquaient. Soit qu'elles possédassent ces qualités, ou qu'elles feignissent de les avoir, elles trouvaient moyen d'en faire un si grand étalage aux yeux de leurs maris qu'elles finissaient par leur imposer. Enfin, apprenez encore que ces âmes qui paraissent si grandes ont toutes un petit grain de folie que nous devons savoir exploiter. En prenant la ferme volonté de les dominer, en ne s'écartant jamais de ce but, en y rapportant toutes nos actions, nos idées, nos coquetteries, nous maîtrisons ces esprits éminemment capricieux qui, par la mobilité même de leurs pensées, nous donnent les moyens de les influencer.

Les humbles et modestes fleurs, écloses dans les vallées, meurent peut-être, se disait-il, quand elles sont transplantées trop près des cieux, aux régions où se forment les orages, où le soleil est brûlant.
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[...] ... En 1800, vers la fin du mois d'octobre, un étranger, accompagné d'une femme et d'une petite fille, arriva devant les Tuileries, à Paris, et se tint assez longtemps auprès des décombres d'une maison récemment démolie, à l'endroit où s'élève aujourd'hui l'aile commencée qui devait unir l'aile de Catherine de Médicis au Louvre des Valois. Il resta là, debout, les bras croisés, la tête inclinée et la relevait parfois pour regarder alternativement le palais consulaire, et sa femme assise auprès de lui sur une pierre. Quoique l'inconnue parût ne s'occuper que de la petite fille âgée de neuf à dix ans dont les longs cheveux noirs étaient comme un amusement entre ses mains, elle ne perdait aucun des regards que lui adressait son compagnon. Un même sentiment, autre que l'amour, unissait ces deux êtres, et animait d'une même inquiétude leurs mouvements et leurs pensées. La misère est peut-être le plus puissant de tous les liens. L'étranger avait une de ces têtes abondantes en cheveux, larges et graves, qui se sont souvent offertes au pinceau des Carraches. Ces cheveux si noirs étaient mélangés d'une grande quantité de cheveux blancs. Quoique nobles et fiers, ses traits avaient un ton de dureté qui les gâtait. Malgré sa force et sa taille droite, il semblait avoir plus de soixante ans. Ses vêtements délabrés annonçaient qu'il venait d'un pays étranger. Quoique la figure jadis belle et alors flétrie de la femme trahît une tristesse profonde, quand son mari la regardait, elle s'efforçait de sourire en affectant une contenance calme. La petite fille restait debout, malgré la fatigue dont les marques frappaient son jeune visage hâlé par le soleil. Elle avait une tournure italienne, de grands yeux noirs sous des sourcils bien arqués ; une noblesse native, une grâce vraie. ... [...]
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Par une matinée pluvieuse, au mois de mars, un jeune homme, soigneusement enveloppé dans son manteau, se tenait sous l’auvent de la boutique qui se trouvait en face de ce vieux logis, et paraissait l’examiner avec un enthousiasme d’archéologue. À la vérité, ]ce débris de la bourgeoisie du seizième siècle pouvait offrir à l’observateur plus d’un problème à résoudre. Chaque étage avait sa singularité. Au premier, quatre fenêtres longues, étroites, rapprochées l’une de l’autre, avaient des carreaux de bois dans leur partie inférieure, afin de produire ce jour douteux, à la faveur duquel un habile marchand prête aux étoffes la couleur souhaitée par ses chalands. Le jeune homme semblait plein de dédain pour cette partie essentielle de la maison, ses yeux ne s’y étaient pas encore arrêtés. Les fenêtres du second étage, dont les jalousies relevées laissaient voir, au travers de grands carreaux en verre de Bohême, de petits rideaux de mousseline rousse, ne l’intéressaient pas davantage. Son attention se portait particulièrement au troisième, sur d’humbles croisées dont le bois travaillé grossièrement aurait mérité d’être placé au Conservatoire des arts et métiers pour y indiquer les premiers efforts de la menuiserie française. Ces croisées avaient de petites vitres d’une couleur si verte, que, sans son excellente vue, le jeune homme n’aurait pu apercevoir les rideaux de toile à carreaux bleus qui cachaient les mystères de cet appartement aux yeux des profanes.
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Balzac, colosse des lettres, buvait café sur café, travaillait des journées entières et dormait trop peu. Il finit par s'épuiser de tant d'énergie dépensée et meurt en 1850, à seulement 51 ans.
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