Dans sa bibliothèque silencieuse
un vieil homme prend un livre
glisse sa main entre les pages
caresse
comme ferait un aveugle
le très léger relief des caractères sur les feuilles
Délices du toucher , que va tuer la numérisation.
Un vieil homme semblable à lui
déroulait doucement un rouleau, voici des siècles.
Il déplorait la brutalité rectangulaire
de ce nouveau venu: le livre.
Un tremble
c'est le nom
du peuplier blanc : luisance furtive.
Éclair des feuilles
leur vie scintille
instant après instant
elles chuchotent
que nous avons aussi des momentss miroitants
minuscules, étincelantes traces de nous sur le monde.
TOI, L’HERBE…
Toi, l’herbe
toi ligneuse, tête lourde de graines,
que le hasard a fait germer en pot sur un balcon,
je te merveille, je t’espérance
tu sauvage
tu
secrète
tu parles d’une grande terre semée de toi
sur elle je caresse ma figure civilisée,
mes livres verticaux,
l’espace tout entier : sa vieille histoire, sa fatigue.
Nous nous faisons une origine
dans l’odeur de ta sève.
Babel n’est pas encore construite
et nous non plus.
Ce sont les jours d’avant l’homme et la femme.
Tout est possible encore.
Aimer…
Aimer.
Ce sera un mot sans suite.
Mais il aura été écrit, dans un moment lui-même
ineffaçable
du grand calendrier que nous ne connaissons pas.
Oui, à vie contenue...
Oui, à vie contenue
il compose en lui
un amour fou
contre le vent
il marche vers l'urgence
il ne renonce pas aux amis disparus
il les plante au jardin
les suspend aux poignées de porte
il refuse passionnément
de refuser.
Une compilation des émissions « Poésie sur parole », par André Velter, diffusées du 30 septembre au 5 octobre 1991. Invitée : la poétesse en personne. Lecture : Maud Rayer et Francine Berger.