Pour l'amour de Jane

Et pourtant, jusqu’à l’âge de dix ans, Jane était persuadée d’avoir le monde à portée de main ; le cercle de lumière du brasero lui donnait cette force, la certitude qu’elle pourrait grandir, travailler partout. C’était son cocon, son refuge qui aurait dû être éternel comme l’amour de ses parents. Et même si rien dans son physique ne révélait ses ascendances tziganes, Jane avait reçu de plein fouet et à maintes reprises les remontrances, voire les insultes des villageois, là où elle résidait avec Mary et Billy.
Porter l’uniforme des sages-femmes l’avait remplie d’une joie profonde ; personne ne pourrait deviner. Les vêtements avaient toujours été un problème pour Jane. Non pas qu’elle fût coquette, mais elle avait compris que les enfants des écoles qu’elle fréquentait jugeaient d’un seul coup d’œil qu’elle était différente.

Jane savait à quel point l’infertilité pouvait peser sur le moral des futurs parents. Le traitement était long et douloureux, le fol espoir au moment de la FIV cédait la place à l’immense déception si l’opération échouait. Il fallait recommencer, mais l’angoisse de l’échec était toujours présente. Il fallait être solide pour supporter toutes ces manipulations et continuer d’espérer. Jane le savait : souvent les femmes acceptaient moins bien que leurs maris de ne pas concevoir d’enfant. Eux jetaient plus facilement l’éponge, ils n’en faisaient pas une idée fixe.

Je ne l’aimais pas au sens où tu l’entends. Mais épouser quelqu’un sans l’aimer, c’est sans doute la seule arme des pauvres. Je plaisais aux hommes, Simon. Des tas d’hommes me couraient après, et ton père a été plus insistant que les autres.

— Je ne suis pas votre petite !
Elle était hors d’elle. Jane avait été humiliée par cette femme austère et rigide qui l’avait prise en grippe dès son arrivée, une femme qui devait penser que la rudesse était l’expression de la droiture et du professionnalisme.

Elle avait vite découvert que la meilleure manière de réussir, c’était de se fondre dans la foule, d’effacer toute trace de ses origines.