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Critique de Woland


Seta
Traduction : Françoise Brun

ISBN : 9782070419654

Attention ! Nombreux spoilers ! ;o)

Bon, ça y est : j'ai chaussé mes gros sabots, arrimé mes crampons, mis mon casque et assuré mon bouclier sans oublier ma masse, je peux me lancer. Je précise que je n'aurais jamais lu "Soie" si ma cadette ne me l'avait demandé. Elle voulait "comprendre." Et le livre était prescrit par l'Education nationale Soi-même dans le cadre de la découverte de "la littérature contemporaine."

Donc, comme aurait dit le très regretté Coluche - qui était lui-même d'origine italienne - "Soie", c'est l'histoire d'un mec, d'un type, si vous préférez, qui s'appelle Hervé Joncour et qui, au départ, veut faire carrière dans l'armée. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, en France. Dans l'armée, Joncour se débrouille plutôt bien mais voilà qu'un jour, arrive un autre mec, sensiblement plus âgé, un dénommé Baldabiou - quel nom, mais où a-t-il pris ce nom, Baricco ! - qui lui dit qu'il y a une fortune à se faire dans la sériciculture, nom savant de l'élevage du ver à soie (eh ! si !). Et Joncour, qui est une bonne pâte, se laisse convaincre.

Avec le compère Baldabiou, il fait fortune en effet. Il est marié à Hélène, une femme bien gentille, ma foi, ils n'ont pas d'enfant mais, entourés de leurs bombyx du mûrier et de Baldabiou, ils sont heureux.

Seulement, voilà qu'une maladie attaque le ver à soie. Aïe, pécaïre ! aurait dit Alphonse Daudet. Et notre Hervé Joncour est bien obligé de s'en aller chercher des vers en bonne santé là où ils se trouvent, à savoir le Japon, dans un village tout perdu, là-bas, au loin, très loin dans les terres et où le seigneur du coin lui vend la marchandise au marché noir (belle mentalité, soit-dit en passant ... ).

Le seigneur en question, qui est impassible soit comme un authentique Indien des plaines, soit comme un vrai samouraï avec tout ce que le terme comporte de dignité et de raffinement (vous choisissez ce que vous préférez ) a aussi une concubine. Et alors, c'est le drame, ou plutôt le coup de foudre : Hervé Joncour tombe éperdument amoureux de la dame.

Je parie que vous êtes surpris, non ? ...

Mais il y a mieux : la belle inconnue - il ne saura jamais son nom - se débrouille pour soulever une tenture de soie (une soie arachnéenne, cela va de soi ) et pour glisser dans la main du voyageur sur le départ un minuscule billet avec un ou deux caractères japonais.

Joncour revient chez lui où il retrouve sa femme, qui lui a déjà dit qu'elle l'aimerait "toujours" et, voyez comment sont les choses, en dépit de cet amour éternel dont il devrait pourtant sentir toute la profondeur, il n'a rien de plus pressé que de se faire traduire le billet de la Japonaise entraperçue sous la soie. Pour ce faire, comme c'est un homme qui ne recule devant rien, il va chez une mère maquerelle du coin qui, ô miracle ! , est elle-même japonaise. Il apprend ainsi que le texte du billet veut dire : "Revenez ou je mourrai."

... Dans de telles conditions de passion échevelée, vous pensez bien qu'il va trouver une occasion de repartir pour le Japon, cet homme : après tout, les bombyx sont toujours malades ou alors à peine convalescents ... Ce qui permet d'ailleurs à l'auteur de nous fournir l'un des passages les plus intéressants, les plus "littérature contemporaine" de son oeuvre, dirai-je même, à savoir l'itinéraire détaillé que son héros doit emprunter pour atteindre le Japon. Or, cet itinéraire, non content de nous l'avoir déjà fourni au premier voyage, il nous avait gratifié de son jumeau inversé au retour, et là, il recommence dans l'autre sens : si vous avez beaucoup d'imagination, ça vous fait penser à du Marguerite Duras au mieux de sa forme, voyez ? au temps de "Hiroshima ... Tu n'as rien vu à Hiroshima ..."

Arrivé chez Hara-kei - le seigneur japonais - Joncour est reçu comme un frère et, la nuit venue, une étreinte torride l'unit soit à la concubine du seigneur, soit à une jeune servante en kimono blanc : c'est le point-clef du livre, celui qu'on n'éclaire pas vraiment. Est-ce ELLE ? N'est-ce pas ELLE ?

Si Joncour était un peu plus causant par nature, on tomberait dans le monologue shakespearien façon "Hamlet". Mais au lieu de nous interpeller comme le mélancolique prince d'Elseneur, il reprend la route, en sens inverse et si vous voulez le détail de l'itinéraire, achetez le livre et vous l'aurez noir sur blanc, toujours aussi fastidie ... pardon ! toujours aussi monotone et durassien - ou quasi.

Quand il rentre, Hélène lui assure une fois de plus qu'elle l'aimera toujours. Et là, vous avez presque envie de pleurer, tellement c'est beau, tout ça.

Ca n'empêche pas Hervé Joncour, le vilain , de repartir pour son quatrième voyage, en octobre 1864. Il emprunte ... l'itinéraire habituel et là, ô surprise (quel suspens ! ), le village est rasé, brûlé, détruit. "La fin du monde", comme pense Hervé Joncour, qui n'a pas pour habitude, le lecteur l'aura compris depuis belle lurette, de mâcher ses pensées.

Après quelques tribulations, le malheureux reprend la route - en sens inverse, vous avez bien compris, surtout ? Non ? Ce n'est pas grave : Baricco vous redonne l'itinéraire - et il rentre au bercail. Où sa femme - qui ne pleure jamais - l'attend toujours pour lui dire qu'elle l'aimera toujours.

J'étais bouleversée.

Et la vie reprend. Et voilà que six mois plus tard à peu près, Joncour reçoit une vilaine enveloppe couleur moutarde (berk ! ) contenant sept feuilles d'un vélin aussi fin que de la soie bien entendu et entièrement recouvertes d'idéogrammes japonais. La maquerelle qui l'avait aidée dans le temps ayant, pour de strictes raisons professionnelles, émigré à Paris, Joncour s'y précipite - l'itinéraire, par contre, n'est pas précisé mais peut-être que, si vous écrivez à l'auteur en ajoutant une enveloppe et les frais de timbre, il vous l'indiquera par la poste ? ), retrouve Madame Blanche - tel est en effet le nom virginal de la maquerelle - et lui demande de traduire sa précieuse lettre. Madame Blanche le fait plus ou moins à contrecoeur - le lecteur un tant soit peu éclairé et obstiné, qui n'a pas encore renoncé au "roman" de Barrico pour se réfugier entre les bras de Morphée ou alors dans les Annales du Disque-Monde, sent bien comme une petite réticence chez elle - et nous obtenons ainsi une leçon pratique de fellation intégrale qui ne saurait manquer d'intéresser toute jeune fille se posant des questions sur la sexualité masculine - et les autres aussi, d'ailleurs, ne soyons pas bêtement bégueules, mesdames.

Sûr et certain d'avoir, comme le disait l'immortel Tennyson, "eu son jour", Joncour regagne son trou de province. Plus de voyage au Japon certes mais la certitude d'avoir vécu un amour sublime et inoubliable - et alors, point de vue fellation, je ne vous raconte pas, mes amis mais c'était ... c'était ... . Et puis, dans les heures sombres, il lui reste Hélène, qui l'aimera ... etc ...

N'êtes-vous pas bouleversés, vous aussi ?

Dix ans après, la Faucheuse s'en vient et s'en repart avec Hélène. Ce sont des choses qui arrivent et Joncour, un homme courageux, un vrai homme (un vrai mec, quoi, vous avez dû vous en rendre compte, tout de même ? ) occupe ses journées de veuf bon teint à fleurir régulièrement sa tombe au cimetière. Qui ne doit pas être très éloigné de là où il habite car, malgré tous mes efforts, je n'ai pu découvrir un seul détail sur le chemin à emprunter : d'où ma conclusion et, si vous avez réussi à me lire jusqu'ici, suivez-vous mon raisonnement ou dois-je préciser ?

Et puis, un beau jour, il voit, sur la tombe, un bouquet de fleurs exactement semblable à ceux qui ornaient l'antichambre de Madame Blanche. du coup, notre veuf, toujours débordant de courage - après tout, c'est pour la bonne cause - reprend son bâton de pèlerin et file à Paris où la matrone n'est pas très contente de le voir mais finit par lui avouer que la lettre, la fameuse lettre, c'est elle-même qui l'avait écrite, sous la dictée d'Hélène, laquelle savait pertinemment (mais comment le savait-elle, mystère ? A moins que Joncour, si taiseux le jour, n'ait passé tous ses rêves nocturnes en pleine logorrhée verbale et porno ... non, repardon : romantique ? ) que son mari (qu'elle aimait pour toujours) l'avait trompée au Japon.

C'était le dernier voyage d'Hervé Joncour - avouez que vous êtes soulagés, hein ? Tant mieux : moi aussi. Enfin, l'avant-dernier parce qu'il doit regagner sa province pour y mourir en songeant à ... à qui ?

A Hélène, sa femme ? A la concubine sans nom de Hara-kei ? A la petite servante en kimono blanc ? A vous de choisir et même si vous osez penser qu'il ne songera une fois de plus qu'à lui-même, merci de venir nous l'exprimer ici : nous vous ferons membre d'honneur de Nota Bene !

Et tout ça, ça vous fait cent-quarante-deux pages d'une grosse écriture sans complexes chez Folio-Gallimard, avec des phrases plutôt courtes, des ponctuations astucieusement oubliées - pour faire "littérature contemporaine" sans doute - et des "Dit-il" repris systématiquement à la ligne avec une majuscule dont on se demande ce qu'elle fait là quand on est, comme votre servante, une pauvre petite lectrice qui ne comprend manifestement rien la "littérature contemporaine", prescrite ou pas par le Mammouth.

... Comment ? Que dites-vous ? ... Avec qui Joncour a-t-il réellement couché au Japon ? ... Eh ! bien, pour moi, c'est avec la jeune servante. Ou alors avec une illusion, un spectre : l'une de nos membres a parlé, à propos de ce "roman", de "vague histoire d'amour ectoplasmique", elle avait bien raison ! Ectoplasmique et arachnéen, même.

Comme la plus arachnéenne des soies du Japon. Mais sans la splendeur du tissu. Une imitation de très bas-étage d'un conte érotique japonais par un homme dont je ne peux même pas certifier qu'il a lu le grand Tanizaki. Bref, à "Soie" de Baricco, préférez "Le Coupeur de Roseaux" ou "Le Pont Flottant des Songes" de Tanizaki : vous vous poserez peut-être des questions mais au moins vous aurez lu un écrivain - un vrai, pas une contrefaçon, de la vraie soie, pas du polyester.

Nota Bene : diable ! J'ai fait encore plus long que d'habitude ! Mais rarement un livre m'aura autant porté sur le système ... ;o)
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