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Critique de Erik35


LE DITS DES AMOURS ÉTERNELLES

Le grand conteur -et un peu magicien- René Barjavel, l'auteur inoubliable du roman post-apocalyptique Ravage de l'histoire d'amour inoubliable d'intemporalité La nuit des temps, est, une fois encore à la manoeuvre et nous propose de revisiter le cycle arthurien peuplé de mages et de magiciennes, de rois et de preux chevaliers, d'un rêve d'égalité - la fameuse table ronde - et d'une mission transcendante : la mirifique mais aussi terrible quête du St Graal.

Barjavel avait déjà 73 ans lorsque sorti, en 1984, L'enchanteur. Il ne lui restait malheureusement qu'une seule année à vivre et un ultime roman à publier, La peau De César. Il était, c'est un truisme, arrivé aux ultimes lueurs du crépuscule de sa belle vie et pourtant, aussi incroyable cela puisse-t-il sembler, c'est le roman d'un presque jeune homme - mais d'un jeune homme riche d'une longue et riche expérience - qu'il nous donne à découvrir !

Inutile de revenir en détail sur la légende arthurienne, telle qu'elle fut d'abord envisagée, en France, par le poète Chrétien de Troyes - pour les yeux de la belle Aliénor d'Aquitaine ? - avec ces célèbres ouvrages le Conte du Graal ou le roman de Perceval le Gallois et, bien entendu, le prototype même du roman courtois, Lancelot ou le Chevalier de la charrette ou en Angleterre par les grands fondateurs du mythe tels que Geoffroy de Monmouth et son incroyable Histoire des rois de Bretagne ainsi, bien entendu que Merlin : La vie de Merlin ; Les prophéties de Merlin et enfin, le plus crépusculaire mais absolument inévitable texte de Thomas Mallory, le roman du roi Arthur et de ses chevaliers de la Table Ronde. le morte d'Arthur. Enfin, et plus que tous les autres (n'oublions pas Wace non plus), Robert de Boron, celui qui contribua le plus à christianiser le fameux Graal pour en faire le St Calice ayant contenu le sang du Christ en croix, dans le Roman de Merlin. Il n'est pas à douter que René Barjavel avait patiemment lu ces ouvrages, s'inspirant au moins de trois d'entre ces grands précurseurs (Monmouth, Boron et Troyes)

Sous la houlette patiente et bienveillante de l'enchanteur Merlin, Arthur, fils d'Uther Pendragon, institue la fameuse table ronde en sa forteresse utopique de Camelot, table autour de laquelle se retrouve tous les chevaliers ayant juré de consacrer leur vie à défendre l'idéal chevaleresque et, Quête parmi les quêtes, à retrouver le St Graal, objet et symbole du sacré s'il en est. Mais seul celui susceptible de s'asseoir sur le siège périlleux sans disparaître est destiné à retrouver la Sainte Coupe. Qui sera-t-il ? D'évidence, cela ne peut être Arthur, au destin temporel de régnant sur le Royaume de Logres. Cela pourrait-il être Perceval le Gallois, chevalier à l'honnêteté et à la candeur tellement désarmante qu'elle le rend parfois stupide et niais ? Ou bien cet autre symbole, celui du chevalier blanc, modèle presque absolu de toute chevalerie bien comprise, sans peur mais, malheureusement, pas sans reproche. Gauvain, le plus humain, toujours symboliquement, de tous. le plus fort, aussi, du moins, au midi de sa journée (de sa vie ?) sa force accroissant et déclinant au fil du mouvement solaire. le plus faible, encore, face à ses démons, la nuit venant. Mais qui lutte et lutte encore contre lui-même et contre ses pulsions. L'éternel combat du coeur contre la raison. Ou bien, ce jeune homme d'une pureté absolue, fils inconnu de Lancelot, dénommé Galaad ?

A l'exception d'Arthur - dont on sait que ce ne peut être la tâche - et de Gauvain, tellement imparfait dans sa recherche de perfection, inabouti dans sa volonté d'aboutissement, les trois autres ont, indéniablement, leur chance. Et surtout si se mêle de provoquer le destin un certain MERLIN.

Le Merlin que nous propose Barjavel est tout en nuance, tout en mystère, sans doute, mais pas absolument si énigmatique ni occulte que cela. C'est aussi - mais d'une manière très différente de Gauvain - un être partagé, sans être dédoublé. Car si sa mère était une vierge (aucune ressemblance avec un autre fils de Vierge n'est fortuite !), son père n'est rien moins que l'ange déchu, le Démon, le Diable en personne ! Et le moins que l'on puisse dire c'est que ce dernier tente tout pour faire trébucher son fiston dans des abîmes d'incertitude, d'exaspération et d'échec. Car notre Merlin, avatar des anciens druides par certains aspects, est aussi le parangon d'une spiritualité éternelle (laquelle ne semble pas appartenir à une foi unique), qui remonte à Adam et Ève en passant par le Christ, bien entendu, mais qui, plutôt que d'être un symbole strictement religieux, s'avère être l'emblème permettant au monde d'être bienveillant, et le destin des hommes susceptible d'être heureux. C'est dans ce combat, terrible et sans aucune rémission entre le bien et le mal, que Merlin entreprend d'apporter toute sa sapience aux trois chevaliers sus-nommés, personnellement ou sous la houlette gracieuse, patiente et douce de la fameuse Viviane, dont il est amoureux autant qu'il est l'impossible amant. Mais face à ce couple aussi sublime qu'inconcevable (ils devraient perdre tous leurs pouvoirs s'il leur prenait de consommer cet amour extra-ordinaire), le Démon n'est pas sans ressource. L'une d'elle est, comme on s'en doute, l'impitoyable Morgane, demi-soeur inextricablement amoureuse et jalouse de son propre frère, Arthur, qui prend, une fois encore, le rôle de la femme aussi fatale qu'elle est machiavélique et mauvaise (mais l'empathie de l'auteur pour tous les êtres est tellement surhumaine qu'il nous la rend presque digne de pitié, de commisération, cette femme hautement malheureuse et tragique).

On l'aura compris, René Barjavel ne s'écarte guère, dans les grandes lignes, de la légende dorée des chevaliers de la table ronde, du Merlin que nous imaginons tous plus ou moins, d'Arthur, de ses chevaliers les plus connus, de la fameuse Quête. Cependant, l'ensemble est particulièrement rafraîchissant, diablement bien tourné (sic!), se lit comme un roman d'aventure éternellement renouvelé et nous pénètre de sa beauté, de son humour, aussi, car ce Merlin/Barjavel n'en manque assurément pas, qui donne ses conseils du haut de son pommier ou qui fait apparaître des boites de conserve à une femme et son enfant menacées de famine. Un Merlin capable d'aimer comme les autres grands couples créés par l'auteur dans tant de ses autres ouvrages, dans un mélange de pureté enfantine et d'élévation quasi métaphysique. Un Merlin, enfin, apte à lutter de toutes ses forces contre le mal et son empire, capable aussi, parfois trop, de faire confiance à l'homme, malgré ses défauts.

Alors oui, c'est un texte d'éternel jeune homme, amoureux des choses et de la vie, des êtres comme de la nature environnante qui nous délivra-là un de ses plus beaux textes, sans nul doute, des pages d'un homme qui eut toujours faim de toutes ces choses, pourvu qu'elles soient d'amour, comme il/Merlin le rappelle à Viviane :

"- Celui qui vient de te quitter mettra fin à notre solitude en levant le voile du Graal. Viviane, mon aimée, ma désirée, mon printemps intouchable, tu sais bien que ma faim est aussi grande que la tienne..."

Et le lecteur de se laisser envoûter, littéralement, par le charme de cet Enchanteur, légendaire ou écrivain, chez qui l'on peut prendre, selon ses envies ou ses attentes, selon son âge ou son expérience. Puis croire un peu et avec eux, magiciens intemporels, que le bonheur peut quand même être, hic et nunc, de ce monde...
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