« C'était au temps où le promeneur, un tant soit peu attentif, rencontrait des fées sur les sentiers dérobés de la vieille Angleterre… Celle à qui l'on rêve encore à travers ces gravures glissées entre les pages précieuses de nos mémoires. Il suffit de les feuilleter pour que, aussitôt, elles se ravivent : les haies tressées, les chênes sans âge aux somptueuses ramures, les cottages blottis dans leurs jardins bordés de fuseaux de lupins, de roses trémières et de pieds d'alouette, le village si paisible où les oies chapeautées se dandinent (…). Il suffirait d'un pas de côté, d'une échappée de rêve… de suivre le lapin blanc au bout de son terrier, de franchir le miroir, de sauter l'échalier, et l'on verrait à nouveau l'elfin sortir de l'églantier », lit-on dans l'introduction de
Pierre Dubois qui nous présente l'oeuvre de Cycely Mary Barker.
.
Férue de
Peter Pan, livre qui resurgira sur son oeuvre, Cycely est une illustratrice et poète qui nous fait pénétrer le jardin enchanté des fées avec ses flowers fairies qu'elle accompagne de quelques vers, via lesquels elle nous révèle les secrets des plantes. Mais les mots de
Pierre Dubois qui les présentent ne sont pas en reste, qui forment un écrin précieux à cet album.
.
« Les elfes et les fées grisés, par le vin de bruyère et le suc enivrant des chèvrefeuilles, s'adonnaient, les nuits de juin, à des rondes sans fin. Et au matin, dans la rosée des prés, on pouvait voir non-seulement les entrelacs des cercles qu'ils y avaient laissés, mais aussi les fragments et débris multicolores de leurs dentelles déchirées aux ronces par leurs folles cavalcades que les lueurs de l'aube avaient transformés en millier de fleurs de toutes les couleurs, de toutes les espèces, de tous les parfums. »
.
Au fil des pages « une à une, dépliant ses ailes engourdies, chaque fée s'étire, baille, dénoue une chevelure d'azur et s'envole jardiner les prés ».
.
« Les fées des oeillets
.
Le matin, de très bonne heure,
Quand les enfants dorment encore,
Ou au milieu de la nuit,
Sous le clair de lune argenté,
Que font-elles parmi les fleurs,
Ces deux fées aux cheveux d'or ?
Si vous pouviez venir sans bruit
Epier leurs gestes enchantés,
Vous surprendriez un secret,
Au plus profond du jardin,
Quelque chose d'ahurissant,
Que savent bien peu de gens :
Clic-clac font les ciseaux d'argent,
En découpant un à un
Tous les pétales des oeillets !
Oeillets roses ou oeillets blancs,
Oeillets simples, doubles oeillets -
Vous n'avez qu'à les regarder,
Vous verrez bien si je mens !
Seraient-ils si élégants,
Sans leur bordure dentelée ?
Or, il faut des ciseaux de fée
Pour la tailler joliment. »
.
Si l'on en croit l'oeuvre de Cycely, à chaque plante son elfe ou sa fée. Elle nous offre ici une illustration pour chaque elfin, avec un poème pour chaque illustration :
.
« Sur le bord des champs labourés, je pousse
Et aux passants je dis de ma voix douce :
« Quand à prédire le temps vous vous hasardez,
C'est moi, le mouron rouge, qu'il faut regarder ».
Quand la journée est chaude et superbe,
Je déploie mes fleurettes dans l'herbe ;
Mais si je les referme, il faut prendre garde !
C'est qu'il va bientôt tomber des hallebarde.
Aux murs des vastes maisons de maître,
On peut consulter des baromètres :
Moi qui gis souvent au plus profond des ornières,
Je suis le baromètre des traîne-misère ! »
.
Ne pouvoir que vous recopier quelques uns de ses mots est bien sûr une amputation terrible de son oeuvre : il faut encore s'imprégner de l'innocence et de toute la beauté de la nature en laissant notre regard s'attarder sur les dessins des fées entrelacées toujours différemment par Cycely dans les plantes qu'elles représentent, comme si elles ne formaient qu'un avec elles ! Les illustrations sont si réalistes que l'on reconnaît chaque plante pour l'avoir au moins croisée une fois et que l'on croirait, on jurerait, que les elfins sont les petits êtres les plus naturels du monde, toujours présents lorsqu'on regarde les jardins. Fondus en eux, mais présents, si l'on regarde bien, prêt à nous faire un clin d'oeil ou à disparaître dans un éclat de rire illusoire.
.
« Jadis, dans les cuisines où les gens s'affairaient,
La tanaisie avait de multiples usages :
Une fois hachée ou broyée, on s'en servait
Pour les desserts ou les gâteaux des enfants sages ;
On en faisait des infusions ou des potages ;
Pour purger ou parfumer, on l'utilisait.
(…) Mais de nos jours aussi,
Au bord des routes, où l'air des champs s'est répandu,
On me trouve encor, moi la jaune tanaisie,
Aux feuilles découpées, aux fleurettes menues,
Peut-on imaginer des boutons mieux conçus
Pour les costumes verts que les elfes ont choisis ?
Par trois je les couds,
Ils ont un chic fou ! »
.
Les illustrations, pour réalistes qu'elles soient, ne perdent rien en enchantement. Les regarder, c'est comme voir à travers un filtre ou derrière un miroir. Là où un oeil désenchanté ne perçoit qu'une forme de couleur sur fond de pelouse, l'oeil de Cycely et de son lecteur retrouve son âme d'enfant et, à travers les fées qui gambadent ou prennent la pause, se font d'un pétale une jolie robe, il retrouve l'imaginaire et les sensations de l'enfant découvrant le monde qu'il a été, celui qui percevait encore la magie qui nous entoure. Un univers qui grouille de vie.
.
"La fée des campanules
(…)
Quand s'étend la grisaille, amie du crépuscule,
On entend soudain, douces et cadencées,
Pour les jeux, les fêtes et les bals des fées,
Tinter tout bas les clochettes des campanules.
Elles ponctues les danses et les chansons si gaies
Des fées occupées à chasser l'ennui
Jusqu'à la dernière heure de la nuit,
Où l'aube froide et grise à l'horizon paraît
Et où le chant des fées dans le lointain se tait. »
.
Une époque où l'on allait, pieds nus et truffe au vent, humer la terre et le pollen, caresser le velours de la jupe des roses, sentir les ronces murmurer leurs menaces en pointillés de sang sur nos bras éraflés, tandis que nos crimes s'étalaient en traces violettes autour de nos bouches, pleines du fruit de notre larcin gourmand…
.
« Feutrez vos pas, vous qui passez,
Parlez tout bas, baissez la voix !
N'avez-vous donc pas remarqué
Là une grive tachetée,
Une grive, ou bien deux, ou trois,
Dans les sureaux chargés de baies ?
Elles tirent et se décarcassent,
Battent des ailes et font des sauts,
Piquent du bec et puis ramassent
Tout ce qui tombe du sureau :
Et peu leur importe s'il passe
Une loche ou un escargot.
Moi, je les regarde d'en haut ! » dit la fée perchée sur sa branche.
.
Si ses illustrations sont de délicieuses retombées en enfance visuelles, ses poèmes sont également de douces plongées dans nos souvenirs d'enfant : ce que l'on a pu observer ou penser des plantes qu'ils décrivent, mais aussi ce qu'on nous a dit sur telle plante poison, ou telle autre qui indique le temps. Entre les mots et l'image, c'est donc un album pédagogique que je vous invite à partager avec vos enfants.
.
« On me nomme morelle, ou bien la douce-amère ;
Ah, méfiez-vous de moi, chers mioches !
Quand vous m'apercevez, abaissez vos paupières
Et gardez vos mains dans vos poches.
Ne mangez pas mes baies, ne cueillez pas mes fleurs,
Le poison est à l'intérieur. »
.
Mais même pour un adulte, cet album est l'indispensable pour se laisser envahir de sensations oubliées, baguenauder dans les prairies oniriques, se laisser toucher par la grâce et la magie d'une nature merveilleuse, bienveillante et féérique. A lire et regarder pour le plaisir de se faire du bien !
.
Allez, un petit jeu pour la route ? Visualisez…:
.
« (…) Maintenant, la moisson est faite,
Le champ de blé est nu et vide ;
Mais, moi, je me tiens toujours prête,
Dans ma robe rouge splendide. »
.
Qui suis-je ?
.
Un dernier ?
.
« Près du ruisseau paisible, du bassin ombragé,
Je plonge dans les eaux mon feuillage allongé.
Sur l'onde, je m'incline tout le long du jour
Et vois jouer épinoches et vairons tour à tour.
Et quand la brise souffle, je danse gaiement,
Plongeant le bout des pieds dans le ruisseau charmant. »
.
Qui suis-je ?