Paul Gauguin. Les affinités mystérieuses

Il voulait « avoir le droit de tout oser. » Et c'est sans doute cela qu'un siècle finissant ne lui aura pas pardonné.
« Un ennemi de Dieu et de tout ce qui est honnête » chapitrait l'évêque de l'époque en poste sur "ses terres" colonisées .

Il aura fallu quatre mois pour que l'annonce de sa mort parvienne à Paris.
Vingt ans pour que son nom s'inscrive sur sa tombe.
Graver sur le linteau de sa porte cette lumineuse adresse faite aux femmes «  Soyez heureuses, soyez amoureuses », voilà l'impardonnable pour une république colonialiste qui exhortait les femmes à livrer leur ventre pour le bien de la patrie.
La république avait besoin de mères et de veuves, elle ne pouvait supporter au sein de son "empire colonial" d'héberger un fou peignant la grâce des corps et la pureté des âmes.

Après sa mort, ses plus virulents détracteurs et accusateurs ne se privèrent pas de se ruer sur ses oeuvres. Mains basses furent faites sur ses toiles, ses sculptures ses céramiques. du moins celles qui parurent à ces âmes redoutables « acceptables ». Combien d'oeuvres ont ils jetées, détruites, brûlées ?...

Ce coloriste, ce peintre multiforme, «  le mâle et savant talent » comme l'appelait Octave Maus, Paul Gauguin immortalisa l'âme d' Hiva Oa.
Brel offrira ses lettres aux Marquises, Gauguin y trouvera la couleur.

« Je ne suis pas de ceux qui médisent quand même de la vie. Si on a souffert, on a joui aussi, et si peu que cela soit, c'est encore de cela qu'on se souvient ».

L'éditeur Alexandre Benois dira de lui : «  Gauguin est excellent,... mais il est dangereux de l'exposer au Louvre, il est bizarre.... »
Oui étrange que de rechercher le vrai bien plus que le beau, de rechercher l'expression et de ne pas se contenter de l'impression.
Il aura peint autrement, différemment.
Post impressioniste, synthéthiste, cloisonniste mais compositeur de couleur avant tout.
«  La couleur est la vibration de même que la musique est à même d'atteindre ce qu'il y a de plus général et partant de plus vague dans la nature : sa force intérieure. »
« La poésie littéraire du peintre est spéciale et ce n'est pas l'illustration ou la traduction, par des formes, des écrits. Il faut en somme en peinture plutôt rechercher la suggestion que la description, comme le fait d'ailleurs la musique ».
Gauguin le régisseur de la balance des couleurs : Jaune/ rouge/ bleu/ vert Veronese.
Sa gamme, Sa portée.
Les femmes de Gauguin ne sont pas immobiles, elles écoutent, elle tendent l'oreille, elle nous invitent à entendre. A entendre l'universel. Voilà ce que Gauguin recherchait : rendre audible par le visible l'unité de la création.

Il ne faisait pas naître la couleur de ses toiles, il la projetait  !
Et c'est incroyable de voir ce qu'il a réussi à faire apparaître.
La lumière ne vient pas de la toile, la lumière vient de la main. Gauguin transforme le pinceau en flambeau.
Il n'y a pas de soleil peint sur ses toiles. Il n'y a pas d'ombres.
Il fait face à la toile, la lumière vient de face. Voilà la technique de Gauguin.

Il n'a pas été entendu de son vivant, ce qui en soit n'est pas très grave, Van Gogh ne l'aura pas été non plus. Et c'est deux là avaient tellement à se dire. Gauguin aura été le seul à suivre Van Gogh à Arles.
Deux charges explosives mis en contact l'une de l'autre...L'étincelle du génie a opéré.

Gauguin, l'enfant du Pérou, le bourlingueur, le matelot, le colleur d'affiche, l'ami de Pissaro, de Cézanne, de Manet, Gauguin l'employé de Banque, le passant de Panama,de la Martinique, l'écolier de Pontaven , Gauguin le maître de « la maison du jouir », Gauguin l'inclassable, l'insatisfait, le sauvage, ...L' Oviri !

«  Ce que je fais maintenant est bien laid , bien fou, mon dieu, pourquoi m'avoir bâti ainsi ? Je suis maudit. ( 1892 ) ».

Gauguin, l'écrivain, le sculpteur, le céramiste, Gauguin l'amoureux de Michel Ange, de Giotto, de Raphaêl, de Rembrandt, des temples de Java, des reliefs du Parthénon, d'Hosukaï, de la mythologie grecque, admirateur de Puvis de Chavannes de Degas. de Manet., de la poésie turque, des peintures égyptiennes, des estampes japonaises....

Si Gauguin na pas été plébiscité par les salons parisiens, la Russie aura su très tôt reconnaître sa marque de son talent , la pâte de son authenticité.
Le vrai , voilà ce que Moscou et Saint Petersbourg auront su voir, entendre dans les toiles de Gauguin.

Gabar, Yakov Tugenhold, Yvan Morosov ont aimé ses peintures, Sergueï Chtchoukine en acquit un nombre très important, Sa collection Gauguin est l'une des plus belles au monde. Grâce à ces ventes Gauguin a pu respirer un peu financièrement et a pu continuer à travailler, lui qui par deux fois , à bout de force et de ressources avait tenté de mettre fin à ses jours.
Les plus grandes revues d'art russes ont commenté, et analysé, de son vivant, les oeuvres de Gauguin.

Pour la Russie, Gauguin été un événement, pour Paris Gauguin était une turbulence...

Le poète et peintre Maximilien Volochine connaissait parfaitement l'oeuvre de Gauguin.
«  Il ne cherchait pas en fin de compte une nouvelle peinture mais seulement de nouvelles images de la vie. Et lorsqu'il les trouva, les aima, et les comprit . C'est alors par la même occasion qu'il créa une nouvelle peinture. Il est de ceux qui, amoureux des choses, sont prêt à se sacrifier toute leur vie durant pour les formes passagères de ce monde. ».

Anna Barskaïa, Assia Kantor Goukovskaïa, et Marina Bessonova vous feront partager leur passion pour ce peintre de génie, et vous donneront l'occasion d'admirer la collection Gauguin que protègent les plus grands musées russes.

"L'immobilité du néant a cessé ; la vie existe et tout se meut. »
Noa Noa - Paul Gauguin

Astrid Shriqui Garain