Quelle jolie voix que celle d'
Henri Bauchau ! Très singulière, je la découvre avec ce livre «
Déluge » et je suis sous le charme. Ce livre m'a parlé, j'ai été portée par les couleurs, les fulgurances des personnages, par ce ton décalé et poétique. Par la psychologie qui pointe le bout de son nez à chaque page (Henri Bachau est psychanalyste de métier, un psychanalyste poète) et même si, sans doute, je n'ai pas toujours su interpréter les comportements et réactions des personnages, je me suis laissée portée par la beauté et l'émotion.
« Je suis celui qui ne comprend rien au monde et aux machines. Tous les autres savent, moi pas. » Il se présente comme ça, Florian, ce vieux peintre que l'on considère comme fou, pas à cause des oeuvres qu'il fait mais parce qu'il ne peut s'empêcher de s'agiter, de casser ou de brûler. de brûler ou de jeter la majorité de ses propres toiles. le tableau est tellement beau en brûlant. D'ailleurs, on les vend de plus en plus cher ses toiles, on parle des « tableaux de la folie de Florian ».
Ce livre, c'est tout d'abord l'histoire d'une rencontre, celle de Florence et de Florian ; de l'intellectuelle qui n'a pas vécu sa vie mais celle que sa mère aurait voulu avoir, qui a ainsi fait carrière, enseignante à
Sciences Po, mais qui est aujourd'hui malade, et de Florian le peintre décalé, à l'air fou et défoncé, qui est uniquement dans le ressenti, l'instant présent, la sensation, d'une beauté de tour ancienne, ravagée par le temps.
Sur les conseils de sa meilleure amie, Florence plaque tout pour une vie plus simple dans le Sud de la France. Florence rencontre Florian sur le port, en train de peindre, c'est un coup de foudre amical, elle va être celle qui va porter, aider le peintre caractériel à aller jusqu'au bout de son oeuvre ultime, intitulée «
Déluge », en tentant de ne pas la brûler, pour une fois, cette gigantesque oeuvre, la toile de sa vie. Une rencontre où la personne qui semble le plus aider, le plus porter est en fait celle qui est sauvée, comprise au plus profond d'elle-même. Une rencontre salvatrice pour tous deux.
Ce livre est un touchant plaidoyer pour la différence, la folie, cette façon différente d'appréhender le monde. Cette façon non pas de faire durer les instants mais de savoir les saisir. Florence est cérébrale, cette rencontre va transformer sa vie, lui apporter du viscéral, du tactile, de la créativité, de la beauté, de la poésie, de l'imprévu. Des choses à la fois simples et profondes qu'elle tenait à distance dans son monde parisien.
«
Déluge », c'est également une plongée dans le monde de la peinture, celui de la créativité, de l'épineuse question de son caractère durable ou éphémère. Pour Florian la peinture devient magnifique en la brûlant : « le tableau est devenu plus beau en brûlant, tellement beau que j'ai cru que j'allais jouir / Je peins un tableau et je n'ai pas envie de le détruire. Est-ce que je ne l'aime pas assez pour cela ? ». le monde de l'art, pour lequel les peintures sont avant tout appréhendées à l'aune de leur valeur marchande, en fait alors son fonds de commerce sur la base de l'implacable loi de l'offre et de la demande : les tableaux de Florian sont rares dont côtés donc hors de prix. Il voit en lui un nouveau
Van Gogh. Florian est donc richissime, il vit pourtant parfois tel un clochard. Les moments de bonheur sont simples et authentiques, jamais consuméristes : « J'aime pédaler seul sur de petites routes tournantes, le vélo aussi, nous devenons amis. Parfois je m'arrête pour faire un dessin ou sculpter une petite pierre ou un morceau de bois que j'abandonne sur place. »
Ce livre montre comment l'art peut être un moyen de guérison, de communication, de communion, de vie parfois au prix de bouleversements et de souffrances ; à l'image de la révolution de 1968, où, les barricades et la révolution devaient faire sortir l'herbe sous l'asphalte, le projet de Florian, même s'il n'en a pas vraiment conscience, est de faire sortir la lumière sous le chaos, la paix après le
déluge. Derrière le désordre, les taches, les salissures faire naître une harmonie ou, tout du moins, une discordance stimulante. Après la maladie, faire éclore la guérison et le bonheur.
Le livre montre également que la peinture s'apprend, se ressent, s'entend. Que pour la voir dans sa beauté, il faut des yeux capables de la voir.
Ce livre, enfin et avant tout, est également un message d'amour, l'amour le plus noble, telle que celui donné par un enfant, fait de contacts, de gazouillis au-delà des mots, de regards, d'acceptation totale de l'autre dans son unicité et sa spécificité, de patience. Un
déluge de sentiments subtilement et élégamment offert.
Un immense merci à Marlène et Croquignol, sans oublier @Pgilly pour m'avoir donné envie de lire ce livre et de m'avoir fait découvrir cet auteur, si étrangement touchant !