Je n'aurais pas entrepris la lecture de ce livre si je n'avais eu en mémoire quelques souvenirs de jeunesse liés à la ville d'Amiens : deux amis picards connus à Tours pendant nos années de fac m'avaient invité à leur mariage à Amiens, donc.
Jean-Paul, le marié, avait mentionné lors de nos rencontres tourangelles les "hortillonnages", ces jardins maraîchers cernés de canaux conçus au Moyen Âge par les moines, sans doute (et assurément façonnés par les serfs...) pour assainir la zone marécageuse que formait la Somme à cet endroit et, faisant d'une pierre deux coups, nourrir la population.
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Rendez-vous au Sourire d'avril" évoque les hortillonnages et, plus généralement, retrace l'évolution, fatale pourrait-on dire, d'un vieux quartier d'Amiens, le quartier Saint-Leu, entre 1950 et 1980. Au début des années cinquante, Louise
Bancquart, célibataire, la quarantaine énergique, disposant de quelques économies, abandonne sans regrets son travail de dactylo pour acquérir et redonner vie à un bistrot au coeur de ce quartier populaire, le Café Arthur, qu'elle renomme le Sourire d'avril. Elle y ajoute une épicerie, ce qui lui permet d'élargir sa clientèle et de côtoyer, en plus des consommateurs de mêlé-cass et autres Picon-bière, des femmes et des enfants qui viennent s'approvisionner, qui en lait frais, qui en bonbons. Pendant ces trois décennies correspondant plus ou moins aux Trente Gloriseuses, liquidatrices de traditions, certains comme le curé de la paroisse ou l'instituteur s'appliquent à relancer des traditions tombées en désuétude : la fête de
Saint-Germain coucou, sonore et coloré défilé d'enfants frappant aux portes pour une obole, ou le théâtre de cabotans, marionnettes à tringles et fils symbolisant comme ailleurs la contestation de l'ordre établi.
En 1980, alors que Saint-Leu a pratiquement perdu son âme, un cinéaste parisien venu se refaire une santé à Amiens tourne avec ses habitants encore gaillards ce qu'on appellerait aujourd'hui un docufiction : "
Rendez-vous au Sourire d'avril". le troquet ne survivra pas à la retraite de Louise, quelques années plus tard.