Les premières phrases : Il m'est arrivé à plusieurs reprises d'animer un séminaire d'écriture pour étudiants doctorants, exercice qui exige un certain "culot". Car, normalement, on enseigne une matière quand on en sait quelque chose. Il est vrai que je pouvais prétendre à ce savoir dans la mesure où je produisais depuis près de trente ans des textes professionnels en tant que sociologue. J'ai bénéficié par ailleurs, de la part de plusieurs enseignants et collègues, non seulement de critiques de ma prose mais aussi de conseils innombrables sur la manière de l'améliorer. D'un autre côté, tout le monde sait que les sociologues écrivent fort mal et à un point tel que les littéraires arrivent à faire rire d'un style lamentable par une simple allusion à la "sociologie", tout comme des comiques de vaudeville font rire en citant des noms de lieu comme Trifouillis-les-Oies ou Petaouchnok (voir, par exemple, le texte polémique de Cowley, 1956, et la réponse de Merton, 1972). Toute cette expérience et les leçons prodiguées ne m'ont pas guéri des travers que je partage avec le gros de mes collègues.
Bon nombre de rituels avaient pour but de s'assurer que ce qui était écrit ne serait pas pris pour un produit "fini", pour que l'on n'ait pas de raison de s'en moquer. L'excuse était toute trouvée. Je pense que c'est pour cette raison que même des auteurs qui savent bien taper à la machine ont recours à des méthodes aussi laborieuses que l'écriture à la main. Il est clair qu'aucun texte écrit à la main ne peut être considéré comme achevé et ne relève donc pas de la critique destinée aux travaux finis. Il existe un moyen encore plus sûr d'en empêcher les gens de prendre vos écrits comme indices de capacité - c'et de ne pas écrire du tout. Personne ne peut lire ce qui n'a jamais été couché par écrit.
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D'un certain point de vue, ce que décrivaient mes collègues et étudiants étaient des symptômes névrotiques. D'un point de vue sociologique, toutefois, ces symptômes correspondaient à des rituels magiques. Selon Malinowski, les gens s'adonnent à de tels rituels afin d'influer sur le résultat d'un processus qu'ils ne croient pas pouvoir maîtriser de manière rationnelle.
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Conférence Les mondes de l'art de Howard Becker par Jean-Louis Fabiani En France ce que Wolfgang Lepenies appelle la troisième culture ces sciences sociales coincées entre le littéraire et le scientifique est paradoxalement assez peu reconnue la culture générale semble en effet trop souvent pouvoir s'en dispenser C'est un paradoxe dans la mesure où la France est avec Comte Tocqueville et Durkheim notamment l'un des berceaux de ce pan considérable de la pensée Sise entre les rues Emile Durkheim et Raymond Aron la Bibliothèque Nationale de France a décidé de lancer un cycle dédié aux grands livres qui dessinent une bibliothèque idéale des sciences sociales Il s'agit d'inviter à lire et relire quelques-uns de ces grands ouvrages en compagnie d'un chercheur contemporain manière de replacer ces livres dans l'histoire des idées mais aussi et surtout de souligner leur pertinence contemporaine les usages qui peuvent en être faits Cycle proposé par Sylvain Bourmeau Par Jean-Louis Fabiani sociologue directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
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