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EAN : 9782707315199
166 pages
Editions de Minuit (17/02/1995)
2.83/5   3 notes
Résumé :
* Pièce de théâtre en trois actes pour dix-sept personnages. Ecrite en français vers 1947-1948.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« M. KRAP. – Je serai franc avec vous. J'étais écrivain.
MME MECK. – Il est membre de l'Institut !
M. KRAP. – Vous voyez.
DR PIOUK. – Quel genre ?
M. KRAP. – Je saisis mal.
DR PIOUK. – Je parle de vos écrits. A quel genre allaient vos préférences ?
M. KRAP. – Au genre merde. »




Samuel Beckett avoue peut-être s'assimiler à M. Krap. Eleutheria, qu'il faudrait d'abord lire avant la préface pour ne pas se gâcher le plaisir, est une pièce qui appartient certainement au genre merde, ce qui ne veut absolument pas dire qu'elle est mauvaise. Simplement, Eleutheria emmerde un grand nombre de choses : les écrivains, le théâtre, les spectateurs, la famille, l'amitié, la connaissance, l'amour, la vie.


Si Samuel Beckett se rapproche de M. Krap dans le cadre de cet échange de répliques, plus généralement, il ne serait pas invraisemblable de lui trouver des similitudes avec Victor, le personnage central de la pièce, le noeud du problème autour duquel se réunissent tous les autres personnages. Victor n'apparaît qu'au deuxième acte d'Eleutheria mais dès le premier acte, il suscite déjà d'intenses conversations entre sa famille, les amis de la famille et sa fiancée qu'il n'aime plus. Victor, qui était un jeune homme brillant, a détruit l'équilibre fragile de son entourage en se retirant dans une chambre d'hôte déserte, disant refuser toute visite mais se laissant finalement envahir par toutes sortes de personnages, à commencer par un vitrier et son fils qui sont censés réparer, jour après jour, une vitre qui ne cesse de se briser. Victor n'a plus aucune énergie de contestation. Il est grotesque jusque dans la faillite des entreprises les plus simples qu'il essaie de mener à bien, qu'il s'agisse de retrouver une chaussure ou de se cacher sous son lit pour échapper à une visite inopportune. Même lorsqu'il essaie de détruire les derniers vestiges de son existence, Victor échoue. Et on lui demande encore de se justifier…


MLLE SKUNK. – Tu n'étais pas comme ça, avant. Qu'est-ce qui t'a rendu comme ça ?
VICTOR. – Je ne sais pas. (Pause.) J'ai toujours été comme ça.
MLLE SKUNK. - Mais non ! Ce n'est pas vrai ! Tu m'aimais. Tu travaillais. Tu blaguais avec ton père. Tu voyageais. Tu…
VICTOR. –C'était du bluff. Et puis assez ! Va-t'en. »


Autour de Victor finit par naître une fascination malsaine. Il semblerait que personne dans son entourage ne se soit autant intéressé à lui que depuis qu'il est « malade ». Il semblerait eu fait que personne dans son entourage ne se soit autant intéressé à quiconque d'autre depuis qu'en tombant « malade », il est devenu un objet de foire, le centre de leur conversation, l'objet de fascination étrange qu'il s'agit peut-être de comprendre, en tout cas de critiquer et de vilipender. Pièce absurde par excellence, Eleutheria s'évertue à interroger un personnage dont le comportement intrigue mais qui n'a rien à dire pour se justifier. N'est pas absurde –c'est-à-dire dénuée de sens- la mort, mais l'est en revanche cette vie portée sur un piédestal alors qu'elle n'apporte rien. Ceux qui ne l'ont pas compris continuent à s'agiter sur scène en paroles d'apparat et en gestes de circonstance, ce que Samuel Beckett s'amuse à moquer en brisant l'illusion théâtrale, mettant en scène l'intrusion d'un faux spectateur, d'un souffleur et d'un scénario bidon.


Ce n'est qu'après avoir lu Eleutheria qu'il faudrait découvrir la préface de Jérôme Lindon. On y apprendrait alors que Samuel Beckett s'était fermement opposé à la publication de cette pièce, mourant sans jamais revenir sur cette décision. Jérôme Lindon semble lui aussi de cet avis et s'excuse de la publication d'Eleutheria, nécessitée toutefois par la publication de sa traduction en anglais par un éditeur moins scrupuleux de respecter les volontés des écrivains :


« Que ceux qui ont aimé les trente livres admirables publiés de son vivant nous pardonnent. Il se trouvera certainement quelques nouveaux venus qui, n'ayant jamais rien lu de l'oeuvre de Samuel Beckett, l'aborderont par Eleutheria. Je les supplie de ne pas en rester là. »


Mais qu'aurait écrit Jérôme Lindon si Samuel Beckett n'avait jamais rejeté aussi certainement cette pièce ? Elle n'est certes pas aussi brillante que les plus connues, En attendant Godot et Fin de partie en tête, mais elle ne s'écarte pas du propos que le dramaturge n'aura jamais cessé de tenir tout au long de l'élaboration de son oeuvre. Autour d'un personnage lucide, abattu par son dégoût de l'existence, sans force pour lutter, s'agitent des personnages rendus volontairement ridicules pour mieux creuser le contraste. Si l'on devait adresser un seul reproche à Samuel Beckett concernant cette pièce, ce serait peut-être de s'être montré trop explicite à travers le personnage de Victor. Alors que nous sommes habitués à l'ironie légère de pauvres sires pas totalement désenchantés, l'humour habituel de Beckett se tarit ici quelque peu par abus de spontanéité. Enfin, les interventions externes du spectateur et du souffleur visant à nous démontrer l'illusion théâtrale alourdissent inutilement un propos déjà dense et coupent le rythme bien forgé d'Eleutheria.


Sans doute, Eleutheria n'est pas une pièce à la hauteur de Samuel Beckett. Se laissant prendre au jeu de l'écriture et inventant des justifications permettant de rationaliser le comportement de son alter-ego Victor, peut-être s'est-il senti abusé par lui-même, qui crache sur toute tentative d'explication existentielle. Même s'il ne s'agit que d'une fiction personnelle, les lecteurs qui aiment s'abreuver à la source beckettienne sauront reconnaître des éléments pouvant habilement se glisser dans leur propre fiction personnelle. Victor est le personnage que nous aimerions parfois être, sans jamais avoir le courage de le devenir complètement…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Citations et extraits (16) Voir plus Ajouter une citation
MLLE SKUNK. - Tu ne veux plus coucher avec moi ?
VICTOR. – Non.
MLLE SKUNK. – Avec qui, alors ?
VICTOR. – Comment ?
MLLE SKUNK. – Avec qui veux-tu coucher maintenant ?
VICTOR. – Avec personne.
MLLE SKUNK. - Mais ce n’est pas possible ! (Silence.) Tu n’es pas franc ! (Silence.) Tu sais que je t’aime ?
VICTOR. – Tu me l’as dit.
MLLE SKUNK. – Tu n’as pas pitié de moi ?
VICTOR. – Non.
MLLE SKUNK. – Tu veux que je m’en aille ?
VICTOR. - Oui.
MLLE SKUNK. – Et que je ne revienne plus jamais ?
VICTOR. – Oui.
Silence.
MLLE SKUNK. - Qu’est-ce qui t’a tellement changé ?
VICTOR. – Je ne sais pas.
MLLE SKUNK. – Tu n’étais pas comme ça, avant. Qu’est-ce qui t’a rendu comme ça ?
VICTOR. – Je ne sais pas. (Pause.) J’ai toujours été comme ça.
MLLE SKUNK. - Mais non ! Ce n’est pas vrai ! Tu m’aimais. Tu travaillais. Tu blaguais avec ton père. Tu voyageais. Tu…
VICTOR. –C’était du bluff. Et puis assez ! Va-t’en.
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MME MECK. – Vous savez que votre mère a le cœur brisé à cause de vous ?
VICTOR. – Oui, elle me l’a dit. Allez vous-en.
MME MECK. –Et cela ne vous fait rien ?
VICTOR. – Je n’y peux rien.
MME MECK. – Vous pouvez rentrer à la maison.
VICTOR. – Je ne peux pas rentrer à la maison.
MME MECK. – Vous pouvez vivre autrement.
VICTOR. – Je ne veux pas vivre autrement.
MME MECK. – Vous savez qu’Olga est malade de chagrin ?
VICTOR. – Oui, elle me l’a dit et ma mère me l’a confirmé.
MME MECK. – Vous n’avez plus aucun sentiment pour elle ?
VICTOR. – Non.
MME MECK. – Ni pour personne ?
VICTOR. – Non.
MME MECK. – Sauf pour vous-mêmes.
VICTOR. – Non plus.
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VICTOR. – C’est vite dit. J’ai toujours voulu être libre. Je ne sais pourquoi. Je ne sais pas non plus ce que ça veut dire, être libre. Vous m’arracheriez tous les ongles que je ne saurais pas vous le dire. Mais, loin des mots, je sais ce que c’est. Je l’ai toujours désiré. Je le désire toujours. Je ne désire que cela. D’abord j’étais prisonnier des autres. Alors, je les ai quittés. Puis j’étais prisonnier de moi. C’était pire. Alors, je me suis quitté. (S’absente.)
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VICTOR. – Mais pourquoi cette soudaine fureur de comprendre quand il s’agit d’une vie comme la mienne ? Vous passez tous les jours devant des mystères sans nombre, tranquilles et indifférents. Et devant moi vous vous arrêtez, saisis, affamés de conscience, bassement curieux, acharnés à y voir clair. (Silence.) Jaloux ! (Silence.)
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M. KRAP. – […] Je suis la vache qui, devant la grille de l’abattoir, comprend toute l’absurdité des pâturages. Elle aurait mieux fait d’y penser plus tôt, là-bas, dans l’herbe haute et tendre. Tant pis. Il lui reste toujours la cour à traverser. Ça, personne ne pourra le lui ravir.
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Ce faisant, elle ouvre un espace de réflexion sur l'art. de Cabanel à Mia Khalifa, de Samuel Beckett à Grisélidis Réal, elle tisse des liens entre poésie, pornographie et oeuvres plastiques. Et dévoile ce que notre époque a de singulier et d'universel.
À lire – Rim Battal, x et excès, Castor Astral, 2024 – L'eau du bain, coll. « Poche poésie », Castor Astral, 2024.
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