Les maisons sont comme des êtres chers, des lieux d'évocation qui nous constituent des souvenirs qui enchantent.
Lors d'un séjour chez sa chère grand-mère à Tunis, l'auteure nous invite à pénétrer dans ce havre de paix qui a abrité ses jeux d'enfants et ses rêves d'adolescente.
Les petits bruits d'un quotidien ordinaire sont autant d'évocation de moments de bonheur.
Un trottinement de mules, un tintement de clefs, une armoire et des tiroirs qui s'ouvrent, un froissement léger d'étoffes, des effluves de fleur d'oranger et de mandarinier sont autant de passerelles vers des souvenirs qu'il faut tenter de préserver.
A travers un roman d'une profonde émotion l'auteure rend un magnifique hommage à sa grand-mère.
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D'abord, il y a le plaisir de recevoir un petit livre facile à tenir d'une main, joliment recouvert de carton aux motifs orientaux qui donnent le ton, accompagné d'un mot gentil de la maison d'édition tunisienne qui en a fait l'envoi.
Et puis, il y a cette plongée à facettes multicolores dans le monde encore actuel – mais pour combien de temps ? - de la maison de la grand-mère de l'auteure. Avec elle et sous une plume d'une précision de laser nous abordons le quartier, les rues, LA rue El Mar où se trouve la maison, l'entrée, le patio, la construction qui ressemble à un plan de lieu sacré aux secrets bien gardés. L'auteure vient voir sa grand-mère, encore une fois, elle se plonge dans le monde oriental qu'elle a quitté pour une autre vie à Paris. Elle semble procéder comme un vidéaste, elle enregistre les images avec ses mots, elle fixe pour toujours ses sensations, les couleurs chatoyantes, les odeurs du jardin et de la cuisine, elle surprend et garde jalousement les conversations de ces femmes alanguies sur des sofas, ; gavées de sucreries et se complaisant dans des soupirs et lamentations usuelles sur ce qui a été, sur ce « de mon temps » international et intemporel. Elle saisit au vol et grave, de peur de l'oublier ? - tous ces petits riens qui remplissent une journée et un coeur.
Sa plume se fait incisive, et drôle, quand elle évoque les habitués du « Neptune », restaurant où il faut être vu, où se retrouvent les intellectuelles tunisiennes, les hommes d'affaires, ceux qui réussissent ou qui voudraient bien, celles qui arborent leur maquillage et leurs élégances de confection comme autant d'armes pour gagner un bon mari, ces mères qui soupirent, la vulgarité, le laissez-aller, le m'as-tu-vu de bon aloi.
Sa plume se fait douce et tendre quand elle évoque sa grand-mère, petite femme aux rides comme des souvenirs de la vie, qui dirige sa maison d'une main ferme, garde tout ce qui peut servir soudainement dans son corsage – clefs, mouchoirs, petits objets de sa petite-fille, qui garde intacte la chambre d'Hélé, le bureau, les meubles, les livres, rien ne bougera jusqu'à son retour. Elle nous fait percevoir cet amour que toute fille (ou petite-fille) perçoit dans la phrase que les mères prononcent quand on les quitte : « Quand est-ce que tu reviens ? »
Bien sûr, il y a des moments où on n'en peut plus de ces vagues de vocabulaire, de ces listes de mots, qui déferlent sur nous comme les torrents de souvenirs qu'Hélé enregistre. Procédé de style ou complaisance d'auteure à la plume facile, on ne sait pas et parfois, on a juste envie de sauter la fin de la phrase, interminable. Mais c'est aussi cette profusion qui séduit, répondant à la profusion des sensations, de cet orientalisme cher à nos peintres et écrivains. Aujourd'hui, on peut s'en agacer, demain, y prendre plaisir. Il me semble qu'il faut choisir un temps de silence et d'envie de rêverie chatoyante, odorante et nostalgique pour apprécier ce moment de littérature.
Ce qui n'a pas forcément été mon cas puisque j'ai lu ce livre au fond de la brousse africaine, loin des motifs orientaux et des arabesques, dans une ambiance totalement différente.
Pour autant, je ne regrette pas ce moment de découverte, et une fois de plus, j'apprécie les choix de cette maison d'édition, Elizad, qui ne m'a pas encore déçue.
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La narratrice, Tunisienne vivant à Paris, retrouve les lieux de son enfance à Tunis. C'est l'occasion de reconnaître la ligne de partage de la tradition et de la modernité, laquelle, de plus en plus envahissante et par ses aspects les plus vulgaires, est ressentie comme un danger., voire une souillure. Pas de narration dramatique mais une vibrante sensibilité que véhicule une écriture en souples inflexions, lente, attentive au moindre détail d'une époque qui s'évanouit.
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"Moi j'aime la vie. Dieu m'a fait le don de ma chaise longue, de ma maison, de ma bouteille d'eau, de ma bouteille de thé, de mon pain, que demander de plus ? Eux ils font de la réclame, la religion c'est leur commerce, une serviette où ils s'essuient les mains. (...) Je préfère l'ivrogne qui a le coeur bon, comme mon soûlard de neveu, plutôt que l'hypocrite qui n'a qu'un mot à la bouche : 'C'est péché'. Celui qui pèche le fait contre lui-même.
Au fond du patio, sur la droite apparaît la soubrette de grand-mère, celle que j'ai envie de surnommer la négresse d'Olympia, car elle semble être la jumelle de la servante d'Olympia peinte par Manet, debout derrière sa maîtresse avec la même éternité que l'autre derrière ma grand-mère, dont la corpulence assez fondue par l'âge se retrouve entière chez la servante, rehaussée par la ferme puissance de la jeunesse, que la couleur noire polit d'un brillant supplémentaire, comme un émail sur les arabesques d'une haute jarre.(p.41)
De ma chambre à coucher, ce matin, je l’entends trottiner, paisible, ignorante, compter ses prières, les recompter, marcher doucement le temps avec elle, revenir, fouiller un bric-à-brac, le cœur attendri, sans angoisse, ni savoir, dépouillée. Je l’entends vivre de la vie domestique, où le monde comme un lit défait retrouve un ordre matinal sous le lustre qui étincelle lentement, et je respire l’odeur de sa vie dépoussiérée et intacte, j’entends sur ses pas la vie ininterrompue de la maison se perdre en elle, son passé. Mystère de ma grand-mère, et de sa vieillesse éternelle, porteuse d’un temps sans faille, petite et dandinante, silhouette penchée des jours qui passent, contemplative, effacée, modeste grand-mère, s’ignorant elle-même, un peu désorientée quelquefois, me questionnant. Etre très vieille comme elle, analphabète, ne pas savoir.
Sur un fond de jardin cligne, dans un éblouissement, une paroi entrouverte, puis sous le plafond coulissant d’un ciel encore pâle, montent les parties du décor, l’arbre fruitier comme pivot, la fontaine dans le mur telle la niche d’une fausse fenêtre, la vasque du centre où coule l’impression d’une eau douce, des feuillages larges comme des rideaux, où pendent des bananes immangeables, un banc de pierre où l’on ne s’assoit jamais, une brise légère et ramassée comme pour une péripétie ou un coupe de théâtre, des coins de mur dont semble sortie une seconde vie du jardin
Je sens couler sur mon visage, par la fenêtre ouverte de la voiture, un onguent de chaleur, de lumière condensées, une moiteur thérapeutique, et comme nous venons de survoler les vergers les plus beaux de la capitale, je me plais à croire que les effluves d'orangers qui forment leur dernier rideau d'arbres juste avant la piste d'atterrissage parviennent jusqu'ici et me distillent grâce au vent qui balaye le terre-plein les essences florales que je retrouverai dans quelques instants dans la fiasques ventrues habillées de tricot rose, sur l'armoire de ma grand-mère, derrière la crénelure du bois comme une fortification, et dont une autre paire jumelle en laine bleue m'attend aussi sur la commode de ma chambre, formant ensemble une famille de quadruplés. (p.75)
Des/Confinés Entretien avec Hélé Béji.