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Julian West tome 1 sur 2
EAN : 9782884741330
304 pages
Infolio (06/11/2008)
3.7/5   32 notes
Résumé :
Julian West, jeune homme de bonne famille établi à Boston, fait une expérience sans précédent : il s'endort un soir de 1887 et se réveille en l'an 2000. Le monde qu'il découvre est pacifique, heureux, riche à souhait. Comment la transformation s'est-elle opérée ?
C'est ce que raconte Bellamy dans ce roman publié en 1888, qui fut un immense succès de librairie. Dans le futur qu'il met en scène, l'humanité a compris qu'industrialisation et urbanisation peuven... >Voir plus
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EN ARRIÈRE VERS L'UTOPIE !

«Nous vivons ces jours-ci l'année ultime du vingtième siècle, et nous bénéficions des bienfaits d'un ordre social si simple et si logique qu'il semble n'être que le triomphe du sens commun ; malgré tout, il est difficile, pour qui ne dispose pas d'une formation historique approfondie, d'appréhender le fait que l'organisation présente de notre société date en réalité de moins d'un siècle. Aucun fait historique, cependant, n'a été aussi fermement établi que le constat suivant : jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle, on croyait généralement que l'ancien système industriel, avec toutes ses conséquences sociales choquantes, était destiné à durer, peut-être au prix de quelques amendements, jusqu'à la fin des temps. Qu'il nous paraît étrange, presque incroyable qu'une aussi prodigieuse transformation morale et matérielle ait pu avoir lieu en si peu de temps ! On ne saurait décrire de manière plus frappante la facilité avec laquelle les hommes s'adaptent, au quotidien, à l'amélioration de leur condition, qui, quand elle est anticipée, ne laisse plus rien à désirer. Quel exemple à présenter pour modérer l'enthousiasme des réformateurs qui compte trouver leur récompense dans la gratitude vibrante des générations futures !

L'objet de ce volume est de venir en aide aux personnes qui, tout en désirant acquérir une idée plus précise des contrastes sociaux qui existaient entre le dix-neuvième et le vingtième siècle, sont intimidées par l'aspect formel des ouvrages historiques qui traitent du sujet. Instruit par notre expérience d'enseignant que le fait d'apprendre est perçu par l'élève comme une atteinte à l'intégrité du corps, l'auteur a cherché à adoucir les qualités pédagogiques du livre en le présentant sous une forme romancée, dont il imagine qu'elle présente en soi un certain intérêt.

Le lecteur, qui n'ignore rien des institutions sociales modernes et de leurs principes sous-jacents, pourra quelquefois estimer que les explications du Docteur Leete sont pour lui banales — mais il faut se rappeler que pour son hôte, elles n'étaient aucunement familières, et que ce livre est écrit dans le but d'induire également le lecteur à oublier qu'elles le sont pour lui.

Encore un mot. le thème presque universel des écrivains et des orateurs qui ont célébré cette époque bimillénaire a été le futur, plutôt que le passé. Non pas les progrès accomplis, mais les progrès qui restent encore à faire, toujours plus loin et plus haut, jusqu'à ce que notre race accomplisse son ineffable destin. C'est bien, tout à fait bien. Mais il me semble que nulle part, nous ne trouverons de meilleures bases pour anticiper le développement humain pendant les mille ans qui viennent, qu'en jetant ce « regard en arrière » sur les progrès accomplis pendant les cent ans qui viennent de s'écouler.

Espérant que les lecteurs intéressés par les thèmes de ce volume sauront pardonner les déficiences du traitement, l'auteur se met maintenant de côté pour laisser s'exprimer M. Julian West.»

C'est avec ces quelques lignes qu'Edward Bellamy introduisait dans sa version originale américaine de 1888 son étonnante utopie sociale, Cent ans après : Ou l'an 2000, la post-datant, comme pour jouer le jeu de l'uchronie jusqu'au bout, de cette manière-ci :

«Section d'Histoire de Shawmut College, Boston, le 26 décembre 2000.»

Les éditions suisse Infolio n'ont pas repris cette présentation qui, pour être anecdotique, n'en demeure pas moins une excellente introduction à ce que l'ouvrage présente par la suite.

À savoir que lorsque Julian West, rentier de la fin du XIXe siècle à Boston, se réveille, plus d'un siècle a passé, et sa ville n'est plus tout à fait la même : les Etats-Unis se sont débarrassés pacifiquement de l'économie de marché ! Plus d'argent (il existe cependant un système relativement prémonitoire de cartes de crédit), plus de propriété foncière, plus de concurrence ni de pauvreté ; la production et la distribution ont été nationalisées ; l'individualisme est mort et l'état est devenu le seul employeur. le service militaire a été remplacé par un service industriel obligatoire de 21 à 45 ans, qui sont d'ailleurs devenus l'âge d'une retraite largement méritée ! Quant aux femmes, idée assez révolutionnaire pour la fin de ce siècle qui ne leur a vraiment pas été favorable, elles bénéficient aussi d'un salaire en contrepartie d'un service industriel dédié, légèrement allégé et de moindre durée que celui des hommes (certes, les explications en seraient aujourd'hui jugées très paternalistes, mais c'est tout de même un sacré début). Quant à la motivation de ces travailleurs de courte durée humaine, elle repose sur un système méritocratique et égalitaire : tout le monde touche un revenu identique mais ce qui était considéré comme du luxe autrefois est désormais à la portée de tous. Cette société est résolument urbaine et de nombreux problèmes de développement y ont été réglé. On peut suivre son concert préféré ou la dernière pièce à la mode via un système téléphonique particulièrement pointu (sachant que l'invention attribuée à Graham Bell n'a que tout juste dix ans...) et préfigurant, à tout le moins, les développements de la radio-transmission, voire de tous nos moyens actuels de communication.

Certes, cette société est toute industrielle, mais c'est surtout sur le plan du développement social, de la fin de la guerre des classes, du règlement pacifique de la propriété individuel que cet ouvrage est à la fois des plus intéressant et... particulièrement utopique, faisant par ailleurs songer à une sorte d'idéal communiste - l'Etat y planifie presque tout - plutôt qu'à un socialisme utopique à la Fourrier, par exemple, et même si ce Cent ans après peut aisément se situer dans cette continuité d'ouvrages prétendant entrevoir un avenir pacifié. On pensera aussi au dialogue de Charles Péguy intitulé Marcel, premier dialogue de la cité harmonieuse qui lui est postérieur de quelques années mais plus encore au célèbre "News from Nowhere" (Nouvelles de Nulle Part en français), du poète, peintre, écrivain, intellectuel libertaire et essayiste britannique William Morris qui est une réponse directe à cet essai romanesque, Morris se situant bien plus dans cette lignée du socialisme utopique que du socialisme scientifique promu par Marx et Engels et que l'écrivain anglais comprenait comme décidément bien trop autoritaire, assujettissant toute forme de liberté individuelle à un égalitarisme pesant et dangereux.

Autres temps, autres écrits : Dès sa parution en 1888, l'ouvrage connut un grand succès avec 60 000 exemplaires vendus, 300 000 en 1890 et plus d'un million à la fin des années trente, sans compter les nombreuses traductions. Il y eu même un parti se reconnaissant des idées de Bellamy en Hollande ainsi que des clubs "nationalist" (c'est à dire favorable à la nationalisation des moyens de production, non du "nationalisme") aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde ! Tandis qu'un Mark Twain décrivait la misère des villes et des campagnes américaines des mêmes années, suivi de près par le futur trimardeur Jack London, ce sont des dizaines de textes utopiques de ce genre qui fleurirent en cette fin de XIXème, et si celui de Bellamy eut un tel succès, c'est aussi sans aucun doute grâce à la - relative - originalité de sa mise en texte qui détonait dans le paysage plus ardu des textes théoriques, souvent ternes, sévères ou mal écrits, de l'époque. le style peut certes en paraître un peu vieilli aujourd'hui, le procédé utilisé n'étant pas exactement neuf non plus - que l'on songe simplement à L'An 2440 du philosophe français de l'époque des Lumière Louis-Sébastien Mercier qui avait déjà imaginé un personnage se trouvant projeté loin devant lui dans le temps -, mais l'ensemble se lit avec grand plaisir, pour peu que l'on ne s'attende pas à un énième livre de science fiction d'antan ni à une succession de scènes d'action. Ce n'est est tout simplement pas le lieu...

Pour mémoire, l'immense et trop oublié Anatole France reprendra ce même principe d'utopie uchronique dans le dernier chapitre d'un texte (trop) méconnu de lui aujourd'hui : Sur la pierre blanche, ainsi qu'à la toute fin de son génial texte consacré à une histoire très revisité (et jubilatoire) de notre pays, L'île des pingouins.

Assurément, Edward Bellamy est aussi le témoin d'une époque où tout, y compris le meilleur - malgré ou peut-être à cause de la dureté violente et intransigeante de l'existence dans ces années-là - , semblait encore possible, lorsque notre contemporanéité s'adonne plus souvent à l'apocalypse, à la dystopie, au cauchemars plus ou moins éveillés. Il est vrai que le XXème siècle et son lot d'utopie funestes exalta trop souvent, et sous les yeux mêmes de ses contemporains terrifiés, les pires des hallucinations collectives, quand ce n'est pas la planète elle-même que nous voyons se débander par la faute de notre orgueil et de notre gloutonnerie insatiable.
Un petit zeste d'utopie bien réfléchie et sans dogmatisme serait peut-être la bienvenue ? Assurément, nous manquons aujourd'hui sérieusement de Bellamy, de Morris, de Fourrier, de France et de quelques autres de cet acabit. Pour se donner un peu d'air...

PS : Je tiens tout particulièrement à signaler l'excellente et très complète critique de CeCedille ainsi que le complément à découvrir - je m'y arrête rarement d'habitude - sur son excellent blog "Diacritique".
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Le roman date de 1888, et il est bien de son époque.
Un jeune homme fortuné du XIXème siècle, "messmérisé", se réveille au début du XXème dans une société utopique à l'opposé de la sienne, et - malheureusement - bien loin de la nôtre aussi.
Le grand mérite de l'auteur est d'avoir inventé un système idéal, même si cet idéal se discute. Les hommes vivent ainsi dans l'harmonie et l'égalité complète, l'argent n'existe plus et chacun reçoit selon ses besoins et travaille selon ses moyens.
Cependant, les grands entrepôts où l'on choisit des produits me font penser aux magasins de l'ex Union soviétique et, surtout, les femmes ont un rôle à part, leurs propres activités, car "elles sont plus faibles".
En bref, c'est un roman plaisant à lire, quelque peu visionnaire (invention des cartes de crédit, de la musique d'ambiance à la demande, des commandes sur catalogues, etc...) mais d'un absolu utopisme.
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Un jeune homme, soumis à d'importantes insomnies et ayant recours à une sorte d'hypnose pour y remédier, s'endort dans une chambre hermétique, un véritable bunker situé au sous-sol de son habitation. Suite à l'incendie de sa maison en surface, il se réveille, telle une belle au bois dormant, 113 ans plus tard. Nous sommes alors en septembre 2000.
Le tour de force de l'auteur est de nous décrire le Boston de la fin du XX° cent ans plus tôt, non régi par l'automatisme généralisé, les machines conquérantes, une science dominatrice mais de dévoiler une société idéale. Ou supposée idéale.
Il pousse à l'excès la concentration des entreprises, si bien qu'au bout du compte, on aboutit à un capitalisme d'état où la nation serait le seul et unique employeur. La société semble donc être empreinte du plus pur communisme (à chacun selon ses besoins et ses capacités), conclu non par une révolution sanglante mais en poussant le principe du capitalisme jusqu'à son aboutissement ultime. C'est gonflé! Là où d'autres (tous?) ont imaginé une société où l'humain est asservi par les machines (90% des romans d'anticipation), par les institutions (système soviétique), par un libéralisme dictant sa loi de la jungle (notre monde) ou encore assujetti par un dictateur tout puissant (et pourquoi pas extraterrestre?), l'auteur imagine une société moderne mais dans laquelle l'humain reste humain et l'homme est au centre de la société.
Le travail est organisé comme un service militaire, chacun doit donner 24 ans de sa vie au bien commun. Les tâches les plus ardues, dégradantes, repoussantes sont allégées et le temps de travail décroit en fonction de la pénibilité de l'activité.
L'argent, la rétribution n'ont plus cours et, comme de vrais soldats, les travailleurs ont d'autres motivations que le chèque de fin de mois : la gloire, la réputation, l'honneur de bien faire son travail, d‘apporter sa pierre à l‘édifice supérieur qu‘est la société. L'état encourage ces finalités. Chacun reçoit une carte de crédit (on excusera l'auteur de la présenter sous forme de coupons) qu'il peut à loisir utiliser comme bon lui semble. Rares sont ceux qui arrivent à l'épuiser annuellement. Ainsi on habite des maisons en rapport avec l'importance de sa famille, une trop grande maison demanderait trop d'entretien. Même chose pour l'accumulation d'objets, on n'en voit pas l'utilité. Tout cela donne envie. On signerait les yeux fermés, n'est-ce pas?
Seulement, l'auteur mise sur le bon fond de l'être humain et c'est là le seul problème du roman, de l‘utopie. Quoi qu'il en argumente, le système ne fonctionne que sur la bonne foi de chacun. Plus de coopération, de mutualisation, moins de concurrence. Ainsi les magasins ont disparu, remplacés par des entrepôts qui n'offrent que des échantillons sur lesquels on peut choisir de se faire livrer la marchandise (on pense naturellement aux différents sites d'achat sur le net, fonctionnant de la même manière).
La musique est proposée par un système qui emprunte autant à la radio qu'au téléphone, mais à la place d'oeuvres enregistrées et marchandisées, des orchestres jouent en continu, replaçant une fois de plus l'homme au centre de la société, même si les musiciens sont présentés ici comme des travailleurs qui se font remplacer une fois ayant atteint leur quotas d'heures.
Dans le Boston de l'an 2000, aucun métier n'est méprisé, mais le travail n'est pas voulu, c'est une obligation que tous doivent fournir à l'état. Les références à l'armée sont légion et parviennent à choquer mon antimilitarisme primaire. On aurait aimé un monde où, à la place de ce devoir citoyen, les hommes pourraient s'épanouir dans leur labeur quotidien, un métier choisi et apprécié. Et même une retraite bien mérité à 45 ans ne suffit pas à penser que quelque chose cloche dans cette utopie. Bellamy mise sur un développement des biens collectifs tandis que la propriété individuelle tendrait à se réduire puisqu'on en voit pas la nécessité. C'est bien mal connaitre le fond de l'âme humaine. Pareillement, on sent poindre une certaine suffisance, largement répandue parmi les classes dominantes de la fin du XIXème siècle (le héros en fait partie) : l'éducation, les bonnes manières, une certaine « classe » seraient réservées à une élite.
Bref, on ressort de ce roman un peu déçu. La présentation est trop scolaire, on aurait aimé davantage d'exemples, de mises en situation du héros dans cette société du futur en lieu et place d'un exposé de conférencier (son hôte). En un mot, un roman à la place de cet essai sur une société plus juste.
Enfin, Bellamy passe sous silence les conséquences d'une industrie (même si celle-ci veut le bien de ses employés) dont l'engagement n'est pas totalement volontaire. On ne parle pas de stress au travail et pas une ligne, pas un mot sur la pollution engendrée, mais il vrai que de telles considérations n'avaient point lieu en 1890.
Bellamy influença bon nombre d'utopistes, il se créa mêmes des clubs où l'on évoquait cette société dépeinte dans le roman.
Tout reste à faire, et comme le souligne Thierry Paquot dans sa préface, « à nous de (construire la société idéale de demain) de contrer les tendances à l'oeuvre qui détruisent la planète, désocialisent les humains et accroît leur dépendance à d'innombrables prothèses technologiques ».
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Un nantis américain du XIXème siècle, capitaliste convaincu, se réveille un beau matin au XXème siècle, dans la chambre d'un médecin et sa famille, soit 113 ans après qu'il se soit endormi. Ce personnage principal Julian West, est le héros d'un roman d'utopie, par lequel son auteur, Edward Bellamy entreprend une critique de son époque. Le texte se trame essentiellement autour de dialogues entre le héros et ses hôtes, émaillés des descriptions des deux mondes (le XIXème et le XXème), faisant apparaître un écrivain (ici traduit) à la plume élégante et surtout dont l'analyse politique est d'une pertinence rare. Le relire aujourd'hui donne l'occasion de ressaisir les principes de base du capitalisme à l'heure de sa naissance, d'en mesurer les échecs successifs, et de découvrir une pensée socialiste américaine issue de l'expérience même de cette naissance regrettable. En effet, il ne s'agit ni d'un communisme, ni d'un anarchisme, mais bien d'une pensée socialiste singulièrement progressiste et inventive, et qui redonne un sens à ce courant politique moribond aujourd'hui. La lecture de ce texte reste un moment de plaisir, de part la forme de suspens induite par la situation de départ (le réveil 113 après), mais aussi par l'intrigue discrètement amoureuse qui va lier le héro et sa jeune hôtesse. Une petite romance qui ne prend pas trop de place et allège le récit politique.
Succès international à sa parution, fin 1800, ce livre aurait initié des mouvements contestataires, soutenus par l'auteur, sur lesquels cette lecture donne envie de se pencher.
La maison d'édition l'Eternel, dont c'est la première publication, pourrait elle trouver dans cette thématique de quoi se forger une ligne éditoriale ?
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Lorsque, le lundi 30 mai 1887, Julian West, jeune Bostonien fortuné et insomniaque, s'endort à l'aide des passes magnétiques dans la chambre souterraine qu'il s'est fait construire pour sommeiller au calme, il ne se doute pas qu'il va se réveiller cent treize ans, trois mois et onze jours plus tard, dans une société américaine méconnaissable. Venu d'un siècle âpre au gain, cerné de misères et d'injustices, il découvre un monde apaisé, harmonieux et prospère. La famille de l'aimable docteur Leete, dans laquelle il se trouve, lui sert de guide pour dévoiler et expliquer les tenants et les aboutissants de ce monde édifiant. Et comme la jeune fille de la maison, la jolie Édith, a de bonnes raisons de s'intéresser à lui, le cours d'économie politique, de droit et de sociologie que vont lui délivrer ses hôtes est agréablement vaporisé d'eau de rose.

le procédé du récit de Bellamy n'est pas original. Louis-Sébastien Mercier, en 1771, dans son livre "L'An 2440, un rêve s'il en fut jamais", avait utilisé le même, faisant se réveiller son narrateur six cent soixante dix ans plus tard, dans une France enfin touchée par "Les Lumières". Mais les idées de Bellamy ont plus à voir avec l'électricité qu'avec les fulgurances, avec le raisonnement qu'avec l'imagination.

Dans la société qu'il imagine, c'est l'État qui a la haute main sur la production industrielle, et non le privé, qui disperse et multiplie des activités brouillonnes et peu efficaces.Une immense " fabrique" industrielle performante apporte la prospérité à tous, puisque chacun y contribue, selon ses capacités. Un impressionnant système d'orientation professionnelle est décrit, assez moderne et inventif. Chacun dispose d'un sorte de carte de crédit qui lui permet d'accéder à tous les services et les biens. L'argent a disparu de cette économie distributive. La retraite est à 45 ans, après 24 années d'activité, avec un argumentaire qui renvoie à des débats très actuels. le téléphone, qui est commercialisé à la fin des années 1870 aux États-Unis, est devenu en l'an 2000 la radio en haute fidélité à domicile, ce qui n'est pas trop mal vu.
Certes, il y a des "blancs" : rien n'est dit des moyens de transport, ni du problème noir. On marche à pied en ville. Et -last but not least- le souvenir de l'expérience soviétique de planification centralisée nourrit la circonspection du lecteur le plus bienveillant.

Reste une réflexion humaniste et vivante sur l'organisation sociale et les moyens de l'améliorer, en tenant compte des comportements individuels et collectifs. Intéressant exercice d'économie et de sociologie fiction, avec des bonheurs d'écriture, puisque certains passages, quelquefois résumés, ont été colportés dans la littérature ouvrière, pour le tableau saisissant et édifiant qu'ils traçaient de l'injustice sociale. Ainsi de la "parabole de la diligence" qui est restée dans la mémoire de la littérature politique et que l'on retrouvera dans la rubrique "citations".
Lien : http://diacritiques.blogspot..
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
je comparerai la société à une grande diligence à laquelle était attelée l’humanité, qui traînait son fardeau péniblement à travers les routes montagneuses et ardues. Malgré la difficulté de faire avancer la diligence sur une route aussi abrupte, et bien qu’on fût obligé d’aller au pas, le conducteur, qui n’était autre que la faim, n’admettait point qu’on fit de halte. Le haut du coche était couvert de voyageurs qui ne descendaient jamais, même aux montées les plus raides. Ces places élevées étaient confortables, et ceux qui les occupaient discutaient, tout en jouissant de l’air et de la vue, sur le mérite de l’attelage essoufflé. Il va sans dire que ces places étaient très recherchées, chacun s’appliquant dans la vie à s’en procurer une et à la léguer à son héritier. D’après le règlement, on pouvait disposer librement de sa place en faveur de n’importe qui ; d’un autre côté, les accidents étaient fréquents et pouvaient déloger l’heureux possesseur. À chaque secousse violente, bon nombre de voyageurs tombaient à terre ; il leur fallait alors s’établir eux-mêmes au timon de la diligence sur laquelle ils s’étaient prélassés jusqu’alors. Quand on traversait un mauvais pas, quand l’attelage succombait sous le poids du fardeau, quand on entendait les cris désespérés de ceux que rongeait la faim, que les uns, épuisés de fatigue, se laissaient choir dans la boue, que d’autres gémissaient, meurtris par la peine, les voyageurs d’en haut exhortaient ceux qui souffraient à la patience, en leur faisant entrevoir un meilleur sort dans l’avenir. Ils achetaient de la charpie et des médicaments pour les blessés, s’apitoyaient sur eux ; puis, la difficulté surmontée, un cri de soulagement s’échappait de toutes les poitrines. Eh bien, ce cri n’était qu’un cri d’égoïsme ! Quand les chemins étaient mauvais, le vacillement de ce grand coche déséquilibrait quelquefois, pour un instant, les voyageurs des hauts sièges, mais quand ils réussissaient à reprendre leur assiette, ils appréciaient doublement leurs bonnes places, ils s’y cramponnaient, et c’était là tout l’effet produit par le spectacle de la misère la plus poignante. Je répète que si ces mêmes voyageurs avaient pu s’assurer que ni eux ni leurs amis ne couraient aucun risque, le sort de l’attelage ne les eût guère inquiétés.
Je sais que ces principes paraîtront cruels et inhumains aux hommes du vingtième siècle ; mais voici les deux raisons qui les expliquent : d’abord, on croyait le mal irrémédiable, on se déclarait incapable d’améliorer la route, de modifier les harnais, la voiture même, la distribution du travail ou de l’attelage. On se lamentait généreusement sur l’inégalité des classes, mais on concluait que le problème était insoluble. Le second empêchement à tout progrès était cette hallucination commune à tous les voyageurs d’en haut, qui consistait à voir, dans ceux qui traînaient la voiture, des gens pétris d’une autre pâte qu’eux. Cette maladie a existé, il n’y a aucun doute, car j’ai moi-même voyagé, dans le temps, sur le haut du coche et j’ai moi-même été atteint du délire commun. Ce qu’il y a de plus curieux, c’est que les piétons, qui venaient de se hisser sur la voiture et dont les mains calleuses portaient encore les traces des cordes qu’ils tiraient tout à l’heure, étaient les premières victimes de cette hallucination. Quant à ceux qui avaient eu le bonheur d’hériter de leurs ancêtres un de ces sièges rembourrés, leur infatuation, leur conviction d’être substantiellement distincts du commun des mortels, n’avaient plus de limites.
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— Dame ! De mon temps, on estimait que les fonctions du gouvernement se bornaient strictement à maintenir la paix au dedans et à protéger les citoyens contre l´ennemi public.

— Hé ! Pour l´amour de Dieu ! S´écria le docteur, qui donc est l´ennemi public ? Est-ce la France, l´Angleterre, l´Allemagne, ou bien la faim, le froid et le dénuement ? De votre temps, les gouvernements n´hésitaient pas, pour le moindre malentendu international, à mettre la main sur des centaines de milliers de citoyens, à les livrer à la mort et à la mutilation, gaspillant leurs trésors comme de l´eau claire, et cela le plus souvent sans aucun bénéfice imaginable pour les victimes. Maintenant, nous n´avons plus de guerres et nos gouvernements n´ont plus d´armées ; mais, pour protéger chaque citoyen contre la misère, le dénuement, et pourvoir à ses besoins physiques et intellectuels, État se charge de diriger son travail pendant un nombre d´années déterminé. Non, monsieur West, je suis certain qu´après avoir réfléchi, vous comprendrez que c´était de votre temps, et non du nôtre, que les fonctions gouvernementales avaient pris une extension exorbitante.
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Mon hôte insista pour me faire prendre une autre gorgée de liquide, puis il me tâta le pouls.
---- Mon cher monsieur, dit-il, votre apparence est celle d'un homme cultivé, ce qui n'était pas, de votre temps, aussi ordinaire que du notre. Les effets sont adéquats aux causes, et les lois naturelles opèrent toujours et partout suivant une logique infaillible. Je m'attends à ce que vous soyez un peu saisi par ce que je vais vous dire ; mais j'ai la conviction que vous ne laisserez pas troubler mal à propos la sérénité de votre esprit. Vous avez l'apparence d'un homme de trente ans à peine, et vous n'êtes pas dans les conditions de celles où l'on se trouve en sortant d'un somme un peu trop prolongé, et pourtant nous sommes aujourd'hui le 10 septembre de l'an 2000 et vous avez dormi, tout juste, cent treize ans, trois mois et onze jours.
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I first saw the light in the city of Boston in the year 1857. "What !" you say. "Eighteen fifty-seven ? That is an odd slip. He means nineteen fifty-seven, of course." I beg your pardon, but there's no mistake. It was about four in the afternoon of December the 26th, that I frist breathed the east wind of Boston, which, I assure the reader, was at that remote period marked by the same penetrating quality characterizing it in the present year of grace, 2000.
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