Moha est comme le vent, libre, sans frontières, visitant la maison des plus pauvres, le coeur de la jeune esclave violée par son maître, la solitude d'Aïcha, enfant domestique, la prison où son enfant est torturé, jour après jour.
Moha est peut-être le plus fou de tous, ou alors le plus sage. Son regard est limpide, acéré, rien ne lui échappe. Il raconte tout, le crie sur les places, continue à déclamer même enfoui sous la terre: il raconte le peuple, la pauvreté, le capitalisme, la colonisation, les femmes violées, battues, qui ne portent pas de nom, les hommes torturés.
Il raconte aussi dans un même tourbillon poétique la mer et ses vagues, le bruissement du vent dans les arbres, le jus de fruits savoureux, la douceur d'un sein, la profondeur des yeux noirs d'une enfant.
Texte poétique à souhait qui s'inscrit dans les légendes lyriques, il faut prendre le temps de le lire et surtout se laisser porter par les mots.
Lu une première fois quand j'étais à l'université, ça avait été une forte révélation.
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Moha, le narrateur, mais s'agit-il bien du narrateur? Il y a-t-il même un narrateur à ce texte décousu? Moha donc capte la douleur du monde, celle de son fils - mais est-ce bien son fils dont il nous parle? - son fils mort lentement dans la torture par des mains gantées anonymes, la douleur du monde, celle de l'esclave noire violée par ce mari qui l'a achetée au Soudan sur le chemin de la Mecque parce qu'il ne pouvait souffrir l'abstinence sexuelle, la douleur de la jeune servante que la femme du maître oublie de nourrir. Est-ce que Moha est plus qu'un fantôme, un être mythique de la légende saharienne? La police du pays a décidé de le punir, de le guérir! Faut-il le plaindre des électrochocs qu'il subit? Vit-il vraiment? Meurt-il vraiment? Peut-on mourir sans être né?...
Un texte qui accuse. Un texte que seul un fou peut se permettre. Peut-on cependant dire qu'il est lisible? Par moment oui, lorsqu'il est clair et aborde de manière très concrète les destins de ses personnages. Par moment non, lorsqu'il se fait hermétique et se perd dans des dialogues entre Moha et Moché (le pendant juif de Moha), entre Moha et l'Indien (et compare la terre du Maroc à la grande prairie américaine). Mais peut-être est-ce dû au pauvre lecteur que je suis et qui ne comprend pas assez la poésie de ce monde si lointain, celui du Maroc de 1978.
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O femmes, pourquoi vous cultivent-ils dans les ténèbres avec des sexes en bois, sans caresses, sans tendresse ?...
O femmes, ils vous écartent les jambes depuis des siècles. Ils ne vous parlent pas. Ils ne murmurent rien. Votre cri est absorbé et vos jambes posées sur leurs épaules. Munissez-vous de lames de rasoir et déchirez sans pitié leur visage et leurs certitudes...
Insatisfaites, cultivées, labourées par des siècles de silence et de brutalité légalisée par l'Autorité suprême. Quand je pense à tous ces corps cachés, battus, défigurés par l'absence et le manque...
Pourquoi ces mains sont-elles fermées à la caresse ? À quoi bon célébrer le cérémonial de votre propre négation ? Votre corps est annulé et vous continuez à être de la fête. Vous dansez pour faire bander des brutes; des gars heureux de se masturber quand vous faites trembler le ventre et les fesses....
Vous êtes toujours prêtes pour les travaux dans les champs ou pour faire la guerre. C'est vrai, vous avez fait la guerre contre les français. Vous étiez utiles et courageuses. Vous avez fait des opérations mémorables. Après la libération du pays, ils ont fermé les murs et verrouillés les portes. Même les terrasses vous sont à présent interdites. Zones dangereuses pour la sécurité du morceau de bois
Ils s'abattent sur vous comme des sacs de maïs, parce que là est leur droit. Ils agitent leurs fesses, bavent par le sexe et par la bouche. Ils sont contents : le devoir conjugal accompli. Et dire qu'ils prient avant ! Quel cérémonial ! Et quelle honte ! '' La femme est un champ à cultiver ... '' C'est vrai. C'est un champ. Mais un champ vivant, en droit d'exiger autre chose que la fêlure systématique et semence brève.
Je pense qu’un jour viendra où, dans mon pays, on mettra les vieux dans une maison spécialisée, bleue et musicale ; alors là, on mourra de vieillesse ; on mourra de lassitude et d’usure. L’âge sera un fardeau. Le temps un ennemi.
Les murs sont froids. Tes doigts se sont agrippés à la moisissure au moment où tu voulais résister. Tes doigts sont de verdure et de sable. Tes yeux bandés. mais tu vois. la nuit est une prairie d'étoiles traversée de quelques murmures. le ruisseau, tu l'entends. Une feuille de menthe entre les dents et les pieds dans l'eau. La nuit sera de cette absence. Les pierres suivent le courant et toi tu souris.
Dormir un siècle ! Un siècle de silence et de profonde solitude ! Un siècle semé de rêves interminables à la lumière de l'aube éternelle. Dans la grotte, le temps caresse mon front; les oiseux viennent faire leur nid dans mon corps. L'herbe douce, l'herbe très verte, pousse sur ce corps; elle me couvre de toute sa tendresse.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui, plus nus qu'avant. Avant, c'étaient les étrangers qui nous dépouillaient de nos habits traditionnels; aujourd'hui, c'est nous-mêmes qui les ôtons et les jetons dans la fosse de la honte.
Tahar Ben Jelloun vous présente son ouvrage "Les amants de Casablanca" aux éditions Gallimard.
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Note de musique : © mollat
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