La mémoire est une hyène. Elle fouille, trouve toujours un lambeau à arracher.
Quand on compte chaque pas, est ce que cela rend le chemin plus précieux ?
Les jeunes filles sont toujours surprenantes. Elles sont femmes là où on ne les attend pas. Ce ne sont ni les seins ni le maquillage qui les révèlent. C'est soudain un détail, à leur insu.
Tout ce que j'ai accompli, je l'ai accompli ici et maintenant. Pas d'ailleurs. Pas d'au-delà. Et ce que je n'ai pas accompli, les risques que je n'ai pas su prendre m'ont simplement maintenu ici et maintenant. Je n'ai jamais cru que quelque chose d'autre, un dieu, une croyance, pouvait m'aider, tenir ma main, ma tête, toutes mes facultés, pour les porter plus haut. Dépasser le fait d'être un homme, juste un homme de chair, de sang et de pensée.
Aujourd'hui je me donne droit au doute.
Un profane aussi a le droit de douter. Le doute n'est pas réservé aux croyants.
J'ai besoin d'autres êtres humains, comme moi, doutant, s'égarant, pour m'approcher de ce qu'est la vie. Parce que je suis vieux. Les religions ne m'intéressent pas. Ceux qui sont sûrs d'un dieu ou de l'absence d'un dieu ne me sont d'aucune aide. J'ai besoin de confronter mon doute à d'autres, issus d'autres vies, d'autres coeurs. J'ai besoin de frotter mon âme à d'autres âmes aussi imparfaites et trébuchantes que la mienne.
Je ne cherche à être sûr de rien mais je veux trouver la forme juste de mon doute. Simplement cela. Humblement. Je ne suis pas un grand philosophe. Je ne cherche rien pour les autres. Juste une façon de rester vivant. Ma façon.
Quand je n'ai plus de refuge, je vais dans les mots. J'ai toujours trouvé un abri, là. Un abri creusé par d'autres, que je ne connaîtrai jamais et qui ont oeuvré pour d'autres qu'ils ne connaîtront jamais. C'est rassurant, de penser ça. C'est peut-être la seule chose qui me rassure vraiment.
J'ai fait l'amour. Au fil des ans, j'ai attendu la venue des hommes qui étaient mes amants. J'ai aimé et détesté l'attente, l'état dans lequel elle me plonge. Présente intensément. J'ai guetté les bruits, l'ouverture d'une porte, le claquement d'une portière. Dans mon corps, chaque son résonnait. J'ai aimé les premières caresses, celle qui osent et qui se retiennent à la fois, celles qui cherchent. J'ai aimé sentir que peu à peu mon corps s'accordait à un autre corps.
Ces moments ont existé. Ce bonheur qui a été vécu , rien ne peut faire qu'il ne l'ait pas été . Même la mort. La mort ne balaie rien. Le chagrin peut tout brouiller.Un temps. Comme à chaque fois qu'on est séparé de ceux qu'on aime.
Réunir, ce n'est pas juste faire asseoir des gens dans la même pièce, un jour. C'est plus subtil. Il faut qu'entre eux se tisse quelque chose de fort.
Autour de moi, mais en dehors de moi.
Il ferme les yeux. Qu'est-ce qu'on sait des gens, même sous son propre toit ?
Quand on laisse la souffrance vous prendre trop longtemps, on fini par être paresseux de sa propre vie.