Egaré. Et puis soudain, dans l'immense trouée du ciel clair, devant lui, un lac. Une merveille. L'eau du lac était d'un bleu très doux, calme, étale comme le manteau d'une reine posé sur terre. Dans sa poitrine aussi alors, un espace paisible, protégé par le bleu du lac, le ciel clair. Un miracle. Cette sensation si douce de plénitude, à ce moment précis, il avait su qu'elle lui appartenait pour toute la vie. Des moments comme celui-là, magiques, ça vous arrache à tout, ça vous pose au centre de la beauté, comme un arbre. Ca permet de rester au monde.
Quand je n'ai plus de refuge, je vais dans les mots.
La nuit creuse sa route dans le coeur de chacun. Des paupières se ferment. D'autres abritent sous leur si mince membrane des visions que celui ou celle qui dort oubliera quand ses pieds se poseront au matin sur le sol, que le corps reprendra son poids sur terre. Pourtant parfois les visions reviendront, inattendues, au détour de la journée et quelqu'un ralentira son pas, se souviendra, s'interrogera peut-être. Dans le sommeil certains ont ri d'autres ont pleuré, parlé, crié. Quelques-uns ont volé, légers si légers, dans ce même corps du jour comme soulevé et tenu par un souffle. Libres. Le matin appesantit les corps mais quand on se souvient du vol, où qu'on suit, on sourit, on soupire, les ailes repliées, l'obscurité a fait son travail. Elle rend au jour les dormeurs.
Chaque jour un peu différents.
Un arbre, la façon dont la ramure dessine contre le ciel un entrelacs très fin, aléatoire. C'est beau parce que c'est. Voilà. C'est tout. Contempler ces branches-là, ces feuilles-là, rien d'autre. Juste ce qui s'offre. Il n'y a aucune intention dans un paysage, il n'y a aucune intention dans la ramure d'un arbre et ça, c'est un repos. S'absorber totalement à regarder. Se rendre.
Il faut utiliser la raison de façon raisonnable : donc seulement pour les choses raisonnables, pour le reste, ce ne serait pas raisonnable.
Et pourtant ce besoin chaque nuit de tirer à lui le bois qui va protéger l'obscur.
Polir la douleur dans l'ombre de chaque arbre resserré par la nuit.
Sentir l'écorce de chaque chose.
Et sentir que tout est là, toujours. Même si nuit après nuit le chagrin se dérobe. Comment expliquer que le chagrin s'en va et qu'aucune consolation ne prend sa place.
Comment enterre-t-on les souvenirs ? Dans quel charnier les abandonner une bonne fois ? La mémoire est une hyène. Elle fouille, trouve toujours un lambeau à arracher.
Le monde est acceptable si on voit les choses une par une. C'est l'emmêlement qui ne l'est pas.
Un peu plus tôt, un peu plus tard, peu importe, ce qui compte c'est qu'aucun vivant n'ignore que sa vie aura une fin.
Hélène Avèle, dès sa sortie de la grande maison, est allée droit à sa librairie de prédilection. Avant de rentrer chez elle, elle avait besoin d’un sas […] C’est un lieu où elle se sent bien. A l’abri et en même temps prête à toutes les aventures intérieures. Bordée. Elle est venue se glisser là comme entre les pages d’un livre aimé. Peut-être un sourire à échanger, quelques mots. Ce serait suffisant. Elle a besoin ce soir de s’appuyer à l’humanité discrète et forte de ceux qui lisent.